Comment, à 20 ans, devient-on enfant d’aidant, et même aidant ?

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Les aidants les plus proches sont, la plupart du temps, les conjoints et les conjointes. Les sœurs et les frères le sont également bien souvent, en particulier quand la personne malade vit seule. Les enfants peuvent également remplir ce rôle d’aidant, parfois à un âge où ils commencent leur vie en dehors du foyer, à un âge où ils ne sont pas forcément encore armés pour cela. Témoignages de deux jeunes aidantes.  

Alice et Claire ont plusieurs points en commun, le principal étant celui-ci : elles sont des enfants d’aidant et les filles d’une personne qui a été diagnostiquée Alzheimer à un âge précoce. Elles- mêmes sont devenus des aidantes.

La maman d’Alice a été diagnostiquée quand elle avait 54 ans, en 2018. La jeune femme en avait alors 24. « La nouvelle est tombée officiellement en 2018 mais en réalité, la première fois que nous en avons parlé avec papa, c’était en 2014 », glisse la jeune femme. « Je suis la fille unique de ma mère et j’ai un demi-frère et une demi-soeur qu’elle a élevés comme ses enfants. J’ai une relation très fusionnelle avec ma maman et j’ai remarqué très vite que quelque chose clochait. Mon papa aussi. Ma mère était prof et je me souviens des rentrées scolaires catastrophiques où il fallait lui faire réviser les cours qu’elle allait donner. »

« Personne ne nous croyait, c’était dur, c’était violent »

Mais l’entourage ne partageait pas l’inquiétude d’Alice et de son père. « Je me souviens d’engueulades avec le reste de ma famille. Ils disaient que nous hallucinions. C’était pareil avec le premier neurologue que nous avons consulté. Il a enguirlandé ma mère parce qu’elle ne parvenait pas à faire les tests. Il lui disait de se concentrer, que c’était dans sa tête, que tout allait bien. C’était dur, c’était violent, cette errance médicale, cette incompréhension vis-à-vis des malades jeunes. C’était un véritable enfer, ces années où nous n’étions pas pris au sérieux. »

La famille a ensuite décidé de changer de neurologue. Et le diagnostic est tombé. « À l’époque, j’avais 24 ans et j’habitais en Suisse où j’étudiais », poursuit Alice. « Je suis rentrée à Toulouse pour terminer mon master et pour accompagner mes parents au début. Puis, nous sommes partis deux mois en voyage en famille, à trois, à Madagascar. J’ai ensuite passé neuf mois avec mes parents. Nous n’avions pas encore d’aide à la maison. Je suis restée à la maison pendant cette période de transition. Je comptais partir étudier à Harvard, mais ça n’a pas été possible. Je rêvais également de travailler pour des ONG et de partir au bout du monde, mais cela n’a pas été possible non plus. Je suis devenue aidante. J’ai également voulu un peu voyager après mes études, mais après trois mois, j’ai dû rentrer. J’ai ensuite toujours été plus ou moins dans l’action, comme aidante et comme enfant d’aidant. »

La maman d’Alice réside aujourd’hui au Village Alzheimer à Dax, dans le dépar tement des Landes. « Elle s’y sent bien, très bien même. Et depuis qu’elle y est installée, j’ai commencé le processus de deuil blanc. C’est violent comme période. C’est très dur, même. On réalise trop tard tout ce que l’on aurait pu faire avant. J’aurais tant aimé vivre d’autres moments avec maman, lui poser plein de questions alors que je viens de me marier et que j’aimerais avoir des enfants. Mais tout cela, ce n’est plus possible. »

« Cinq bonnes années dans le déni, pour me protéger aussi »

L’histoire de Claire est similaire à celle d’Alice. On retrouve les mêmes éléments, les mêmes marqueurs, même si Claire se trouve aujourd’hui plus « dans le dur du deuil blanc ». « Pour ma maman, le diagnostic est tombé il y a 5 ans », se souvient la jeune femme, une néo-Parisienne qui a grandi à Blois et septième enfant d’une sororie de huit filles. « Ma mère avait alors 58 ans et moi, j’en avais 26. J’étais dans ma deuxième année professionnelle. Nous avions déjà remarqué des signes de la maladie avant que le diagnostic ne tombe, bien sûr. J’ai malgré tout été surprise quand papa m’a appelée pour me le dire. Je me souviens. J’étais dans le métro. J’ai pleuré. »

Claire est ensuite entrée dans un mode qu’elle qualifie de « carpe diem ». « Je me suis dit qu’il fallait profiter de maman le plus possible. C’était d’autant plus difficile à vivre que j’avais eu une adolescence compliquée. Quand le diagnostic est tombé, j’avais une belle relation avec ma maman depuis 5 ans. Je voulais profiter d’elle, profiter de notre relation. Mais en réalité, j’étais dans le déni. Cinq belles années de déni. Je voyais bien ce qui se passait, mais la suite, je ne voulais pas la voir, je ne voulais pas savoir ».

La jeune femme explique être sortie de ce déni en avril dernier. « Les troubles se sont intensifiés chez ma mère et nous avons commencé à lui donner à manger nous-mêmes. C’était ce que je redoutais le plus, je pense. Ce moment également où on perd le lien, où le fil est de plus en plus ténu. Ça a été très dur. Ça a été un véritable choc émotionnel. J’ai compris ce qui se passait, et je suis peu à peu entrée dans ce que l’on appelle le deuil blanc. Ce déni, c’était aussi, je pense, une forme de protection pour moi. Je ne parlais d’ailleurs pas de la maladie de ma maman à mes amis, à mon entourage à Paris, où j’avais trouvé mon équilibre depuis 5 ans. »

Contrairement à la maman d’Alice, celle de Claire vit encore à domicile. « Mes parents vivent à Toulouse pour l’instant. Quand j’y vais, c’est pour accompagner maman et aider papa. C’est pour être présente. Papa a pour projet de repartir début 2025 dans le Loir-et-Cher où nous avons grandi et pour se rapprocher de nous, les filles. »

« J’ai mis du temps à comprendre que j’avais besoin d’aide »

Devenir aidant à 20 ans, à un âge où l’on se projette, où l’on construit son avenir, ce n’est pas évident. « Quand nous discutons, Claire, moi et les jeunes qui sont en train de passer par là, nous avons tous un point commun : cela s’est traduit par quelque chose de physique. Moi, j’ai eu des crises d’angoisse, d’autres font des malaises », souligne Alice. « Y aller à fond, être présent, profiter à fond de sa maman ou de son papa qui est malade autant que possible, c’est très bien, mais ça peut être destructeur. Nous pouvons ensuite mettre des années pour nous en remettre. Moi, je suis encore en train de travailler sur ces angoisses qui sont devenues une normalité pour mon corps. Ça s’est installé en moi. À l’époque, je n’avais personne pour vivre cette transition. Il ne faut pas oublier que quand un parent est malade, l’autre est épuisé. Il entre parfois en dépression. Les enfants peuvent encore porter leurs parents parce qu’ils sont tournés vers l’avenir mais il leur faut trouver des béquilles. Au début, pour moi, ma béquille, c’était mes potes, et je faisais de la méditation. Puis, j’ai trouvé mon homme. Mais ça n’allait pas mieux. »

Les deux jeunes femmes se sont rendu compte, dans leur parcours, que les enfants d’aidants ont, eux aussi, besoin d’être aidés, d’être accompagnés. « J’ai mis du temps à comprendre cela, à comprendre que j’avais besoin d’aide », glisse encore Alice. « J’aurais dû m’occuper de moi plus tôt. J’ai vu une psychologue, puis un psychiatre. Ça m’a été très utile. »

« J’ai également cherché de l’aide », enchaîne Claire. « J’étais larguée et j’ai contacté France Alzheimer pour comprendre ce qui se passait. J’ai vu une psychologue,ainsi qu’une sophrologue pour apaiser tout ça. Aujourd’hui, j’arrive à dire les choses à mon papa. Il m’écoute, mais j’ai toujours envie de le préserver, de le protéger. Lui, il vit cela au quotidien. Pas moi. »

« C’est encore dur à avaler aujourd’hui »

Aujourd’hui, Alice a trouvé son équilibre. « Bon, je ne mène pas la vie que je m’étais imaginée, mais je suis très heureuse. J’ai un travail, je vis à Lausanne en Suisse et j’ai tous mes amis autour de moi. Ceux qui m’ont beaucoup aidée au début. Comme je vous l’ai dit, je me suis mariée et maman n’a pas pu venir au mariage. Tout ça, c’est encore difficile à avaler aujourd’hui. Avec le travail et la distance, ce n’est pas facile non plus. Les premières années, mes cinq semaines de vacances, c’était pour être avec maman. Ce n’était pas vraiment des vacances. Maintenant, j’ai demandé des congés de proche aidant pour voir maman. J’aimerais la voir toutes les semaines, mais ce n’est pas possible. »

Claire tente également, bon an mal an, de trouver son équilibre. « J’ai de chouettes amis, j’arrive à m’épanouir professionnellement. Je m’y réfugie aussi beaucoup d’ailleurs, dans mon travail. En revanche, c’est plus compliqué sur le plan sentimental. Je dois accepter de construire ma vie alors que je suis en train de perdre ma maman. Je suis devenue adulte, j’avance dans ma vie, et ma mère n’est malheureusement pas là pour le voir. J’en suis à ce stade où je dois accepter que c’est OK d’avancer. Je me pose beaucoup de questions et tout cela m’épuise. Je me suis beaucoup appuyée sur mes amis, sur ma petite soeur aussi. J’ai également vu une psychologue. Je suis dans le dur du deuil blanc mais aujourd’hui, j’ai trouvé une nouvelle façon d’être avec ma maman, par exemple avec des chansons, des massages, des batailles de bisous. Ces petits moments me nourrissent et ils aident au quotidien. »

« Il faut trouver des refuges, où l’on peut se sentir bien »

Pour les deux femmes, les jeunes enfants d’aidants, pas toujours armés pour vivre une telle épreuve, doivent trouver des béquilles pour continuer à avancer. Ils doivent savoir où se tourner quand ça ne va vraiment pas, grâce à un entourage social et médical notamment.

« Il faut trouver des refuges, des safe places comme on dit en anglais, où l’on peut se sentir bien, parler et être écoutés », glissent-elles encore. « Avec notre groupe de parole, nous avons créé le nôtre, de refuge. Nous échangeons, nous partageons, nous questionnons nos vécus et nos expériences d’enfants d’aidant. Ce groupe de parole nous procure de véritables moments de ressource où nous nous sentons compris. Des moments qui nous permettent également d’aider d’autres personnes, de se sentir utiles. »

Claire et Alice ont également l’impression que cette épreuve qu’elles traversent les rend plus fortes émotionnellement, qu’elles font la part entre ce qui est grave, et ce qui l’est moins. Cela les aide à dédramatiser parfois, à faire une distinction entre ce qui est essentiel, et ce qui est superflu.

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Gabriel Leroux