Religion au travail : une croissance marquée du phénomène

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Depuis 2013, l’Institut Montaigne mesure la place de la religion dans les entreprises françaises à travers son baromètre annuel. L’édition 2024 publiée le 22 novembre dernier, révèle une hausse sensible des faits religieux en milieu professionnel, accompagnée de tensions parfois croissantes.

71,3 % des entreprises sont désormais concernées par le fait religieux.

Le fait religieux s’invite de plus en plus au sein des entreprises. En 2024, 71,3 % des entreprises françaises déclarent avoir été confrontées à des manifestations religieuses dans leur fonctionnement quotidien, selon le dernier baromètre annuel. Ce chiffre marque un nouveau record depuis 2013, date de la première édition de cette étude, et traduit une progression par rapport à 2022, où le pourcentage était de 66,7 %.

La religion au travail s’impose comme une question importante pour les employeurs. Les manifestations recensées sont variées : le port visible de signes religieux, tels que des vêtements ou des bijoux, a connu une forte hausse, passant de 21 % en 2022 à 34 % en 2024. Des demandes d’aménagement du temps de travail pour permettre des pratiques spirituelles ont également été enregistrées, tout comme des situations plus complexes, impliquant parfois des comportements discriminatoires ou de stigmatisation.

Toutes les confessions sont concernées par ces manifestations, mais l’islam arrive en tête des faits signalés, suivi par le catholicisme, les cultes évangéliques et le judaïsme.

Tensions et discriminations : une situation qui se dégrade

Malgré une meilleure prise en compte du fait religieux par les entreprises, les tensions persistent. En effet, 15 % des situations rapportées impliquent des comportements négatifs à l’égard des femmes pour des raisons religieuses, tels que le refus de travailler sous leurs ordres ou de les traiter comme leurs homologues masculins. Ce chiffre est en hausse par rapport à 2022, où il était de 13 %.

L’étude met en lumière une tendance préoccupante : la hausse significative des cas de stigmatisation et de discrimination. Les salariés de confession musulmane et juive sont les plus touchés. En particulier, la stigmatisation envers les salariés de confession juive a fortement augmenté, passant de 16 % à 32 % des cas signalés. Cette stigmatisation se traduit souvent par des remarques dévalorisantes, des mises à l’écart lors de moments de socialisation, ou des discriminations dans les processus de recrutement et d’évolution de carrière.

L’étude révèle également que 71 % des cas de discrimination à l’embauche observés par les sondés concernent des personnes de confession musulmane. Le phénomène de prosélytisme, bien que moins fréquent, est signalé dans certaines entreprises, notamment en lien avec les cultes évangéliques.

Derrière l’Islam, les pratiques catholiques, juives et évangéliques restent présentes mais avec des proportions moins élevées. La religion catholique serait souvent plus discrète, se manifestant principalement par des demandes d’aménagement de planning ou le port de signes discrets, tels que des croix. Le judaïsme est présent dans environ 15 % des situations, tandis que les cultes évangéliques apparaissent dans environ 16 % des cas.

Le profil des salariés exprimant leur religion au travail

Les salariés exprimant leur religiosité sont souvent jeunes : 79 % des cas relevés impliquent des personnes de moins de 40 ans, principalement des tranches d’âge de 26 à 35 ans. Par ailleurs, l’expression religieuse au travail se féminise davantage. La proportion de situations impliquant des salariées est passée de 17 % en 2022 à 24 % en 2024, marquant une progression significative de la visibilité des femmes dans ce domaine. Cependant, les situations de conflit, de prosélytisme et de refus de coopérer restent majoritairement masculines.

Le fait religieux est plus présent chez les salariés ayant des niveaux de qualification moindres. Ainsi, les catégories d’ouvriers et d’employés sont les plus représentées. Plus les salariés sont qualifiés, moins le fait religieux est observé dans les entreprises. Ce phénomène s’explique en partie par une plus grande intériorisation des règles de neutralité en entreprise parmi les salariés qualifiés.

Le rôle de l’entreprise

La question de la religion au travail est plus prégnante que jamais. Selon le baromètre, 77 % des répondants estiment que le principe de laïcité devrait s’appliquer dans le secteur privé tout comme dans le secteur public. Cet équilibre passe par la formation des managers, qui doivent apprendre à gérer tensions et conflits, tout en soutenant les salariés victimes de stigmatisation ou de discrimination.

Dans la pratique, la majorité des entreprises parviennent à gérer les faits religieux sans problèmes majeurs. Les situations marquées par des tensions et des conflits restent minoritaires (21 %), mais elles existent, avec une hausse des comportements dits rigoristes et des demandes plus affirmatives et revendicatives de certains salariés pratiquants.

Cependant, le principal comportement religieux au travail reste l’invisibilisation. La majorité des salariés croyants et pratiquants, quelle que soit leur religion, choisissent de séparer les sphères professionnelle et religieuse. Deux raisons principales expliquent cette invisibilisation : d’une part, la conviction que la pratique religieuse n’a pas sa place au travail, et d’autre part, la crainte de la stigmatisation et de la discrimination.

Source : Baromètre du fait religieux en entreprise.

Baromètre réalisé entre avril et août 2024 et basé sur les réponses d’environ 1 300 cadres et managers et 1 400 salariés croyants et pratiquants

Lionel Honoré « Manager la religion au travail » (Dunod 2023)

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