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Les contrats-programmes : l’outil qui a fait ses preuves pour révéler et mettre en oeuvre le potentiel des marchés d’assurance FANAF

l’Assureur Africain n°122
Guillaume GILKES & Lossani ZINA

Les pays ayant mis en place un contrat programme voient leur secteur des assurances croître plus vite que le reste de leur économie

Le lien entre le niveau de richesse des pays (mesuré par le PIB par habitant) et le développement de l’industrie de l’assurance est constaté à l’échelle mondiale.

Cependant, le marché de l’assurance peut croître plus rapidement que la richesse générale du pays, si l’État et les acteurs du secteur organisent le développement du marché.

Un cas d’étude intéressant de ce phénomène se trouve dans les pays du Maghreb, qui mérite une analyse approfondie. Par exemple, malgré le fait que le Maroc présente historiquement le PIB/habitant le plus faible d’Afrique du Nord, il affiche néanmoins le taux de pénétration d’assurance et la densité les plus élevés dans la région. Cette situation démontre que d’autres facteurs sont à l’œuvre pour favoriser le développement de l’assurance dans ce pays. La Tunisie se situe à mi-chemin entre l’Algérie et le Maroc, mais connaît depuis 2013 un spectaculaire rattrapage.

Le tableau ci-dessous permet de constater que les pays ayant mis en place un contrat programme (Maroc en 2011, Tunisie en 2013) ont un secteur des assurances plus développé que les autres (Algérie), et croissant plus vite que le niveau de développement de leur pays.

Entre 2011 et 2021 au Maroc, alors que la richesse par habitant croît de 16% en 10 ans, le taux de pénétration du secteur des assurances augmente de 38% et la densité de 61%.

En Tunisie, malgré une baisse de la richesse en USD par habitant (-8% sur la période), le marché des assurances se maintient en densité (+8%) voire progresse largement en pénétration (+17%).

À l’inverse, en Algérie, la densité du marché (primes/PIB) chute au même rythme que le PIB/Habitant (-29%), seul le taux de pénétration stagne (+0%).

Au Mali, qui a élaboré son contrat-programme en 2017, de premiers résultats sont également constatés : la densité du secteur au Mali est passée de 2 448 FCFA de primes/habitant en 2016 à 3 175 FCFA de primes/habitant en 2021, soit +30% de hausse en 5 ans. Le taux de pénétration a également cru fortement, de +22% en 5 ans, passant de 0,49% à 0,60% pour les primes/PIB. La croissance du secteur est bien plus rapide que celle du pays en général puisque sur la même période, le PIB/habitant a cru beaucoup plus lentement : +6% en 5 ans.

Ces exemples montrent clairement que le développement de l’assurance peut être influencé par des facteurs spécifiques propres à chaque pays, indépendamment de son niveau de richesse. Par conséquent, les acteurs du secteur doivent être proactifs et chercher à identifier et à exploiter ces leviers spécifiques pour stimuler efficacement la croissance de l’assurance dans leur pays. La mise en place de politiques et de réformes adaptées peut s’avérer essentielle pour libérer le plein potentiel du marché de l’assurance dans ces contextes particuliers.

Comment expliquer cette « exception marocaine » et ce dynamisme tunisien ?

Le Maroc précurseur

Au Maroc, le contrat programme de 2011 est venu clôturer les deux phases antérieures du redressement du secteur.

La première phase (1995-2002) a été déclenchée par des actions décisives de l’autorité de contrôle. En 1995, en effet, l’ancêtre de l’actuelle ACAPS (Agence de Contrôle des Assurances et de la Prévoyance Sociale) a pris l’initiative de liquider 5 compagnies insolvables, ses actions se sont poursuivies en 1996 par un renforcement des règles de provisionnement (Dahir du 10 juin 1996) et de reporting à l’ex-DAPS (actuelle ACAPS), avant de se conclure emblématiquement en 2002 par l’adoption et la publication du nouveau Code des assurances.

La seconde phase (2002-2009) a permis au secteur, sur des bases désormais saines et modernes, de se renforcer considérablement, d’enrichir sa gamme de produits, d’améliorer sa qualité de service et ses performances économiques, et de conforter sa solvabilité. Cette seconde phase a été confirmée symboliquement par quelques opérations de conquête de l’assurance marocaine en Afrique (rachat de COLINA par SAHAM).

Ce long processus de modernisation en profondeur a franchi une nouvelle étape à partir de 2009 : les compagnies d’assurance, représentées par la Fédération Marocaine des Sociétés d’Assurance et de Réassurance, et l’État, représenté par l’ex-DAPS (aujourd’hui ACAPS), ont souhaité encadrer cette nouvelle phase de développement en signant un « Contrat Programme », document confirmant solennellement les engagements et les attentes de part et d’autre. Ces deux acteurs ont alors commandé une étude pour réaliser le diagnostic du secteur, identifier ses points de blocage et proposer des réformes.

Le travail réalisé en six mois d’analyses a débouché sur un contrat programme bâti autour de 5 axes, structurés en 20 initiatives, détaillées en 75 mesures. Le travail a été décliné pour chaque ministère impliqué (Finance, Justice, Transport, etc.). Par la suite, un cabinet a été retenu par la FMSAR pour faire le suivi des recommandations.

Ces mesures visent principalement à valoriser la profession, à accroître le taux de pénétration de l’assurance dans l’économie et la société, à encourager l’épargne à long terme, à améliorer le service offert aux assurés et à renforcer le secteur en tant que moteur du développement économique, social et financier du pays.

Depuis leur adoption en 2011, la mise en œuvre de ces actions a été un puissant moteur du développement des assurances : toutes les branches ont bénéficié de cet élan et particulièrement les assurances vie et capitalisation lesquelles ont vu leur croissance moyenne annuelle passer d’à peine 4% avant 2011 à +17% depuis.

L’élaboration d’un contrat programme et la mise en œuvre de ses recommandations ont fait du marché marocain un marché de premier plan sur le continent africain et dans le monde arabe.

En Tunisie, même impulsion conjointe du régulateur et des acteurs, et mêmes résultats positifs

Quelques années après, la Tunisie a adopté le même mécanisme : l’autorité de supervision du secteur, le Comité Général des Assurances, a pris l’initiative de réunir les acteurs du secteur et ils ont ensemble mené des études pour analyser les blocages du secteur et proposer des réformes.

Après une concertation de neuf mois entre tous les acteurs au sein de comités de pilotage, le plan stratégique en Tunisie a été adopté formellement en 2013.

Trois ans plus tard, grâce à un suivi actif du Comité Général des Assurances, de nombreuses mesures avaient déjà été mises en place pour atteindre quatre objectifs majeurs : (i) rétablir l’équilibre de la responsabilité civile automobile, (ii) assainir le marché en ne conservant que des acteurs solvables et durables, (iii) développer la pénétration de l’assurance en Tunisie, notamment par le contrôle des assurances obligatoires et (iv) créer un environnement favorable à l’émergence d’acteurs solides.

Le contrat-programme en Tunisie représente donc un projet d’envergure visant à établir des bases solides favorables au développement du secteur. Bien qu’il reste encore du chemin à parcourir, les effets des réformes lancées en 2013 se font déjà ressentir : le secteur enregistre un taux de croissance réel moyen annuel d’environ 8,3% entre 2013 et 2021, contre 2,7% au cours des trois années précédentes (hors inflation). Ces premiers résultats prometteurs laissent entrevoir un avenir favorable. Cela pourrait inciter les pays de la zone CIMA à suivre l’exemple du contrat-programme.

Au Mali, les premiers effets du contrat programme de 2017 se font déjà sentir

Le Mali a très récemment rejoint ce club fermé des pays ayant initié un « contrat- programme » :

Après 6 mois d’élaboration participative de ce plan stratégique pour le secteur, ont été organisés de premiers États Généraux de l’Assurance du 25 au 27 juillet 2017. Ce plan d’action pour le développement du secteur malien des assurances, réalisé conjointement avec les assureurs, a reposé sur un bon équilibre entre l’exigence de la réglementation, le contrôle par l’autorité de supervision, la technicité des acteurs, la qualité des réseaux de distribution et la demande des assurés.

La mise en œuvre des résolutions issues de ces États Généraux, s’est faite à travers un plan d’actions 2019-2021, structuré en six (06) axes stratégiques, financé par l’État et le secteur privé, qui a fait l’objet d’une présentation en Conseil des Ministres le 28 février 2019.

Les premiers résultats sont déjà là : +30% de densité du marché en 5 ans (2016-2021), +22% de taux de pénétration, alors que le PIB/habitant n’augmentait que de 6% sur la même période.

Au Burkina Faso, le chemin est désormais tracé, depuis la tenue des états généraux en juin 2023 devant déboucher sur l’adoption prochaine d’un contrat-programme

Le marché des assurances burkinabé se positionne aujourd’hui comme le 4ème plus gros marché de la zone CIMA en termes de primes totales en 2021. Le marché est essentiellement porté par le segment Non Vie (55% des primes totales en 2021), la responsabilité civile automobile étant la branche prédominante en raison notamment de son caractère obligatoire. La contribution du secteur au PIB du pays demeure marginale et se situe à 1,1% en 2021.

En dépit de cette dynamique et du potentiel important, le secteur des assurances au Burkina Faso fait face à des défis multiples et variés qui compromettent sérieusement son développement. Afin de lever ces barrières et d’exploiter le plein potentiel du marché, les acteurs clés du secteur, le régulateur, les assureurs et les intermédiaires, ont décidé de s’associer pour mener une réflexion profonde sur les leviers à activer pour stimuler la croissance du secteur. Ainsi, la Direction des Assurances (DA), l’Association Professionnelle des Sociétés d’Assurance du Burkina (APSAB) et l’Association Professionnelle des Courtiers d’Assurance du Burkina (APCAB) ont conjointement lancé une étude pour élaborer et détailler un plan d’action pour le développement du secteur burkinabé des assurances, devant reposer sur un bon équilibre entre l’exigence de la réglementation, le contrôle par l’autorité de supervision, la technicité des acteurs, la qualité des réseaux de distribution et la demande des assurés. Le 13 juin 2023 ont eu lieu les états généraux des assurances au Burkina, regroupant l’ensemble des acteurs du secteur, pour discuter des perspectives de croissance du secteur. L’ensemble des résolutions et recommandations issues des échanges, dont le fondement est l’étude qu’ils ont faite réaliser, feront l’objet d’un contrat programme.

L’étude a mis en évidence plusieurs leviers d’accélération du développement du secteur des assurances au Burkina Faso : (i) le renforcement de l’autorité de contrôle, (ii) la sophistication de la distribution, (iii) l’aménagement du cadre fiscal, (iv) l’amélioration de la qualité de l’indemnisation et (v) le renforcement du cadre institutionnel.

Et dans les autres pays de la CIMA ? Pour révéler leur potentiel et le concrétiser, les contrats-programmes constituent l’outil idéal

La plupart des pays de la CIMA présentent à la fois des niveaux de PIB/habitant relativement faibles, et des niveaux de primes d’assurance faible. Cependant, ailleurs dans le monde, de nombreux pays affichent de meilleures performances de leur secteur des assurances, par rapport à leur richesse nationale. En d’autres termes, la majorité des pays CIMA n’exploitent pas pleinement leur potentiel, et ce de manière significative.

Pour révéler ce potentiel et le concrétiser, les contrats-programmes constituent l’outil idéal. En effet, dans toute la zone CIMA, de nombreux obstacles doivent être surmontés, et cela ne peut être réalisé que par une action concertée de tous les acteurs, notamment de l’État et des compagnies d’assurance.

Du côté des compagnies, un effort considérable est nécessaire. Il est primordial de trouver des solutions pour les nombreuses compagnies qui sont trop petites pour être viables et qui exercent une politique de dumping, impactant négativement le marché. L’innovation produit doit être renforcée, en particulier en s’adressant au secteur informel, en développant l’assurance agricole et l’assurance mobile. L’informatisation doit également être encouragée, et le règlement des sinistres doit être accéléré, tout en continuant à réduire les frais généraux qui affectent la rentabilité globale du secteur.

Cependant, les régulateurs, qu’ils soient nationaux ou régionaux, ne sont pas exempts de responsabilité. Ils doivent agir pour retirer les agréments des compagnies peu solvables, créer un environnement fiscal plus favorable, favoriser la micro-assurance et l’assurance agricole indicielle, faire respecter les assurances obligatoires et les étendre aux professions libérales.

La question de savoir qui doit faire le premier effort, l’État ou les compagnies, trouve sa réponse dans les contrats-programmes : les deux doivent agir simultanément. En instaurant un échange de bénéfices mutuels, garanti par un document formalisé et signé à la fois par les représentants de l’État et des assureurs, les contrats-programmes peuvent apporter un vent de changement au secteur de l’assurance dans la zone CIMA.

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