Vos ami·es vous ont peut-être déjà tanné·e pour rejoindre un club de cinéma ou de lecture. La multiplication de ces « clubs », qui font d’une activité traditionnellement individuelle un moment collectif, marque notre besoin de faire communauté. Surfant sur la tendance, certains médias proposent justement à leurs abonné·es de devenir des membres à part entière en rejoignant des clubs. En choisissant de souscrire ces offres, plus ou moins onéreuses, il devient ainsi possible d’intégrer une communauté et de bénéficier d’avantages comme des réductions sur certains produits ou des accès exclusifs à des contenus.
Cette stratégie peut renforcer ou créer un lien de confiance avec les lecteur·ices qui se sentent ainsi inclus·es dans le projet. Selon le dernier rapport de l’Institut Reuters, 65 % des personnes interrogées déclarent que leur représentation équitable dans un média est un facteur de confiance. Inclure les citoyen·nes dans le processus éditorial et/ou décisionnaire leur permet d’être elles·eux-mêmes acteur·ices et d’être directement représenté·es dans ces institutions.
Au-delà de faire participer la communauté à des projets au sein du média, les clubs peuvent parfois offrir des contreparties plus étonnantes, souvent de l’ordre du service, en lien avec leurs thématiques. Le média américain Prior, spécialisé dans le voyage, fait le choix de proposer ses services à ses membres. Pour 2 750$ par an, l’équipe du magazine crée des itinéraires personnalisés pour vos voyages et vous permet d’accéder à leurs listes d’adresses.
Certains médias spécialisés préfèrent proposer à leurs membres d’assister à des conférences en lien avec leur domaine. Philosophie magazine anime régulièrement des rencontres avec un·e philosophe auxquelles les abonné·es peuvent participer en présentiel ou à distance. Le média américain Puck, focalisé sur les enjeux de pouvoir aux États-Unis, permet chaque trimestre à ses membres de discuter avec des expert·es des secteurs de pouvoir couverts par la rédaction.
Participer au projet éditorial
Au-delà d’avantages exclusifs, l’objectif de ces clubs est souvent d’inclure les lecteur·ices dans le projet éditorial. Vert, média en ligne traitant de l'écologie, a lancé en juin 2023 une offre qui permet à des donateurs·ices régulier·ères de profiter de moments « apéros » avec l’équipe pour réfléchir ensemble à l’avenir du média.
Depuis trois ans, le magazine Chut !, spécialisé dans les questions numériques, propose à ses lecteur·ices d’adhérer à un club « édito » pour 170€ par an. Ses membres reçoivent quatre magazines par an et ont accès à la version en ligne mais surtout, ils et elles peuvent participer à quatre ateliers de rédaction par an.
Pendant ces réunions de deux heures, les participant·es élaborent ensemble une tribune collaborative qui sera publiée dans le prochain numéro du magazine. Une piste de sujet a été pensée en amont par la rédaction et envoyée aux membres. La création de ce club a notamment permis à certain·es lecteur·ices assidu·es de s’investir. « Les membres de ce club sont des personnes qui étaient déjà assez proches de nous et qui ont trouvé que c’était assez naturel de s’engager, analyse Sophie Comte, cofondatrice du magazine, ils et elles ont déjà participé à des campagnes et nous écrivent. »
Au mois de mars, l’équipe de Chut ! a même choisi de lancer un nouveau club à l’occasion de la sortie de leur numéro sur la place des femmes dans l’espace numérique. « C’est un club plus enrichi », explique Sophie Comte. Pour 490€ par an, ses membres participent aux conférences de rédaction pour la tribune collaborative mais aussi à quatre événements en présentiel. Ils et elles ont également accès à un canal Discord qui agit comme un « réseau » dans lequel les membres, comme la rédaction, peuvent partager leurs ressources et leurs connaissances. Parmi la vingtaine de membres, beaucoup travaillent dans le numérique.
Certaines entreprises peuvent d’ailleurs adhérer aux différents clubs proposés par le magazine. En étant spécialisé dans un domaine précis, les clubs peuvent s’adresser plus spécifiquement à des expert·es et des entreprises. Le « club des bons ancêtres » d’Usbek et Rica, une revue qui s’intéresse au futur, propose ainsi à ses membres de participer chaque trimestre à une discussion avec l’équipe du média, à la publication d’une tribune mais aussi de bénéficier de dix abonnements pour leurs collaborateur·ices ainsi que des invitations à tous les événements du magazine. L’ensemble de ces contreparties a un coût : 12 500 € (HT) par an.
Avoir une voix sur de grandes décisions
Si les membres peuvent être impliqué·es dans le processus éditorial, ils et elles peuvent aussi avoir un pouvoir décisionnaire. « Le club de Vert », composé de donateur·ices, a par exemple été sondé par la rédaction alors que celle-ci s’interrogeait sur la pertinence d’un partenariat avec Konbini. 80 % de ses membres avaient approuvé ce choix permettant à la rédaction de le mettre en œuvre, avec le soutien de sa communauté. Le média prend ainsi la température avant d'acter d’importantes décisions et d’éviter de faire fausse route.
De l’autre côté de la Manche, le Bristol Cable, média local indépendant, permet à ses abonné·es, à partir d’1£ par mois, de voter à leur assemblée générale annuelle depuis 2014. Les lecteur·ices s’expriment au sujet de grandes décisions opérationnelles comme « devrions-nous demander une subvention à Google ? ».
À l’occasion de leur campagne de financement l’été dernier, d’autres formules d’adhésion ont été proposées aux abonné·es leur donnant d’autres avantages. Pour £5 par mois, le journal est livré à domicile et pour £10 les membres bénéficient également de réductions sur les événements organisés par le journal.
Enfin, les membres Patron, qui donnent £1 000 par an ou plus, reçoivent des contenus exclusifs : un rapport d’impact annuel sur le travail financé par leur contribution, une sélection de merch en édition limitée créé par des artistes locaux ou encore une archive entièrement antidatée du Bristol Cable en version imprimée. Le journal, dont l’objectif est d’être complètement financé par ses membres, est actuellement financé à 35 % par l’adhésion et compte 2 600 abonné·es dont 15 membres Patron.
Porter ses valeurs
Créer un lien concret avec sa communauté de lecteur·ices permet enfin à ces médias de renforcer les valeurs qui font leur identité. Pour beaucoup de médias indépendants, la transparence et la volonté de faire un journalisme plus accessible sont les moteurs de leur ligne éditoriale. Ces clubs sont une manière d’incarner concrètement ces valeurs. « Ils nous permettent de porter aussi nos messages autrement que via le canal d'un magazine - même si c'est déjà très bien - mais d'aller encore plus loin dans nos engagements, dans ce pourquoi on milite et on peut le faire au travers d'événements », affirme Sophie Comte.
Ces médias créent aussi de nouveaux modèles dans lesquels les gens veulent investir, plus inclusifs et plus éloignés des Gafam. « D'après mon expérience, la plupart des gens aiment vraiment le Cable, mais au lieu de faire partie de la « communauté du Cable », ils veulent simplement soutenir quelque chose qu'ils considèrent comme une bonne idée, et veulent en tirer des avantages », explique Eliz Mizon, responsable de la stratégie du Bristol Cable.
Les offres de clubs permettent aussi aux médias indépendants de justifier un prix d’abonnement plus cher sans pour autant perdre en bénéfices. « Il est tout de même plus rentable, pour une entreprise de média indépendante, de vendre des clubs plutôt que des abonnements ou des magazines à l'unité », admet Sophie Comte.
Cette logique de membres peut aussi devenir une contrepartie lors de levées de fonds et encourager les donateur·ices à donner davantage. Le premier club de Chut ! a été créé lors d’une campagne de dons sur KissKissBankBank. Les différentes offres d’abonnement sont aussi des contreparties de l’actuelle campagne d’adhésion annuelle du Bristol Cable pour a pour objectif d’élever ses revenus à £175 000 par an.
En étant très engagé·e à l’échelle du média, les membres deviennent également de bons porte-paroles pour le faire connaître. « Ils et elles sont des ambassadeur·ices de Chut !, qui parlent de nous, nous font connaître et publient du contenu sur leurs réseaux, affirme Sophie Comte, donc cela grandit la communauté, ce sont des investissements que l’on n'a pas à faire par ailleurs en achat publicité sur Meta par exemple. » Comme la fonctionnalité « offrir des articles », les clubs découlent de stratégies organiques qui ne dépendent pas de la communication par les réseaux sociaux. Elles souffrent donc moins de la chute de trafic en provenance de ces derniers.
Pour aller plus loin :
- Le dernier Digital News Report de l’Institut Reuters.
- Pourquoi voit-on si peu de titres de presse indépendante dans nos bibliothèques et médiathèques ? Entretien avec Sébastien Marchalot, fondateur de Bibliopresse.
- Élargir sa communauté en tant que média indépendant est un défi. Sans dépenser des moyens logistiques et financiers importants, les partenariats et recommandations entre médias permettent de cibler de nouvelles communautés, souvent plus engagées. Retour d'expérience avec les médias Voxe et Vert.
Agathe Kupfer est journaliste indépendante. Pour Médianes, elle analyse les stratégies marketing et éditoriale des médias.
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