Alors qu’il a longtemps été célébré pour, notamment, son rôle de « revitalisateur » de la démocratie, le numérique est aujourd’hui l’objet de vives critiques. L’occasion de se poser la question de l’impact d’internet et des réseaux sociaux sur la polarisation des opinions, l’exacerbation des tensions et la propagation des fake news. Voici donc nos recommandations, certes subjectives et non exhaustives, des meilleurs livres pour comprendre l’influence d’internet et du numérique sur la démocratie.
Un profond désamour
Lors des Printemps arabes de 2010-2012, internet et les réseaux sociaux étaient loués comme moyens d’émancipations citoyennes. Et d’expressions d’opinions diverses. À tel point que Larry Diamond, corédacteur en chef du Journal of Democracy, qualifia alors le numérique de « technologie de la libération ».
Cependant, depuis l’élection de Donald Trump aux États-Unis, en 2017, et celle de Jair Bolsonaro au Brésil, en 2019, mais surtout après l’assaut du Capitole à Washington, en 2021, nous avons tendance à les rendre responsables de tous nos maux.
Le business de la haine de Jean-Louis Missika et Henri Verdier
Jean-Louis Missika et Henri Verdier dressent un tableau saisissant de la prolifération des discours haineux sur les plateformes numériques. Ils explorent les facteurs qui contribuent à cette propagation. Et mettent en lumière le rôle des algorithmes, de la quête de l’audience et de la fragmentation des espaces publics en ligne.
L’ouvrage, publié aux éditions Calmann Levy, décortique les rouages économiques qui alimentent ce « business de la haine ». Les auteurs démontrent comment la logique publicitaire des plateformes numériques, basée sur la personnalisation et la maximisation de l’engagement, peut favoriser la diffusion de contenus haineux.
Ils s’alarment également des conséquences néfastes des discours haineux sur les sociétés démocratiques. Ainsi, ils soulignent la capacité de ces discours à polariser les opinions. Mais également à fragiliser le tissu social et à menacer la liberté d’expression. Enfin, ils mettent en garde contre la banalisation de la violence verbale. Et soulignent le risque qu’elle ne se traduise par des actes de violence physique. Leurs propos sont illustrés par des exemples concrets, tirés de l’actualité récente.
L’illusion de la démocratie numérique de Jen Schradie
Dans cet ouvrage paru aux éditions Quanto, Jen Schradie commence par expliquer comment nous avons fait montre d’un optimisme exagéré : “ La naissance d’internet il y a plus de 25 ans déclenche une sorte de vertige révolutionnaire. Ses plus ardents défenseurs pensent qu’il a le potentiel de refaçonner fondamentalement chaque aspect de la civilisation, en mieux. […] Personnalisation, participation et pluralisme sont certains de faire advenir la démocratie numérique. […] L’activisme semble accessible, immédiat et ouvert à tous. Un hashtag accrocheur, ou l’actualisation judicieuse d’un statut semblent suffisants pour donner naissance à tout un mouvement. Soudain, tout un chacun est en mesure de changer le monde. ”
Pour finir par comprendre que le numérique avait probablement basculé du côté obscur de la force : “ L’ère de l’utopie numérique semble être sur sa fin. A l’avenir les activistes de tous bords vont tenter de s’emparer du pouvoir d’internet pour promouvoir leur cause. Si la fracture présente dans l’activisme numérique continue à s’élargir, seules les voix de certains privilégiés pourront se faire entendre dans la nouvelle ère à venir. Un tel scénario signerait l’arrêt de mort du rêve technologique comme force de progrès, mais aussi de la possibilité d’une société réellement démocratique. “
La démocratie Internet de Dominique Cardon
Avec cet essai paru aux éditions du Seuil, Dominique Cardon décrit l’émergence d’Internet comme une révolution démocratique. Qui aurait permis un élargissement de l’espace public et un déplacement de la frontière entre représentants et représentés.
Pour lui, Internet est une formidable opportunité pour la démocratie. Car c’est un système qui a été fondé sur des principes égalitaires. Mais il risque, pour des raisons purement économiques, de se transformer en média de masse vertical. Au point d’en devenir antidémocratique. « Car le pouvoir de Google ne relève pas de la coercition. En épousant les idéaux de l’Internet, il a simplement su transformer en service monopolistique le travail d’intelligence collective dont font preuve les internautes. Aussi, pour saisir le lien entre les entreprises phares du capitalisme numérique et l’esprit du web, faut-il comprendre comment Internet a élargi l’espace public en donnant aux internautes le pouvoir de produire des informations et de les hiérarchiser.«
Qu’est-ce que l’actualité politique ? de Luc Boltanski et Arnaud Esquerre
Quel est le poids de l’actualité dans nos sociétés ? Et à quel point celle-ci nous informe et/ou façonne nos opinions ? C’est à ces questions et bien d’autres que tente de répondre cet essai paru aux éditions Gallimard, dont l’originalité réside dans l’analyse du lien entre commentaires en ligne et démocratie.
En effet, Luc Boltanski et Arnaud Esquerre ont travaillé sur deux corpus composés de commentaires mis en ligne par des internautes à propos d’articles ou de vidéos d’actualités. Le premier est composé d’environ 120 000 commentaires adressés au journal Le Monde, par des lecteurs abonnés numériques de ce quotidien au cours des mois de septembre et d’octobre 2019. Le second est constitué d’environ 8 300 commentaires postés depuis janvier 2021 sur deux chaines YouTube de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA).
Une enquête qui met en lumière deux processus :
- Une politisation de l’actualité qui consiste à incorporer du non-politique au politique avec comme conséquence l’exacerbation des conflits et oppositions.
- L’accès d’un nombre de plus en plus important d’internautes à la parole médiatique via le commentaire va normalement dans le sens de la démocratie, mais cet engagement suppose la responsabilité de celui qui s’engage au travers de son opinion, et malheureusement la plupart des commentateurs interviennent sous forme de pseudonyme ; marquant ainsi leur irresponsabilité.
La face cachée d’Internet de Rayna Stamboliyska
Dans ce livre paru aux éditions Larousse, Rayna Stamboliyska explore la face cachée d’internet. Tout y passe : Hackers, Bitcoin, WikiLeaks, anonymat, dark web, Tor, vote électronique, cryptage… De plus, elle explique avec beaucoup de clarté ce qui se cache derrière les notions de piratage, de distribution de logiciels malveillants, de surveillance nationale et/ou internationale, de vol de données personnelles…
En somme, un guide qui nous permet de mieux comprendre le côté obscur d’Internet pour mieux le maîtriser. À lire absolument dans ce contexte de défiance généralisée envers les médias et les institutions, propice aux fake news que nous vivons. « Il est souvent difficile de bien distinguer les bons et les brutes, les Anonymous et lanceurs d’alerte, les « chapeaux blancs », les « chapeaux noirs » et toutes les nuances de gris qui façonnent le paysage numérique toujours mouvant.«
Internet en mal de démocratie (Revue Esprit)
L’ouvrage collectif Internet en mal de démocratie, publié par la Revue Esprit, offre une analyse éclairante des défis auxquels sont confrontées les sociétés démocratiques. Face à la prolifération des plateformes numériques et à la dématérialisation croissante de l’espace public.
Ainsi, l’essor d’Internet a indéniablement bouleversé le paysage démocratique. D’un côté, il a permis une participation citoyenne accrue, l’accès à une information plus large et la mobilisation de nouveaux publics autour de causes communes. De l’autre, il a engendré de nouveaux défis, tels que la propagation de fausses nouvelles, la montée des discours de haine, la manipulation de l’opinion publique et l’emprise croissante des intérêts privés sur l’information.
Face à ces défis, l’ouvrage propose plusieurs pistes de réflexion pour une démocratie renouvelée à l’ère numérique. Il appelle notamment à un renforcement de l’éducation aux médias et à l’information, à une meilleure transparence des algorithmes des plateformes numériques, à un soutien à un journalisme de qualité et à une implication plus active des citoyens dans la gouvernance des technologies numériques.
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Hakim Aoudia.