Le 26 janvier 2024, la loi asile et immigration (ou “loi Darmanin”, du nom du ministre de l’Intérieur de l’époque) était adoptée au terme d’une séquence houleuse marquée par une motion de rejet et une censure partielle du Conseil constitutionnel. Malgré cela, le texte final se caractérisait par un recul brutal des droits des personnes étrangères, à rebours des engagements internationaux de la France. Un an après, le climat n’a guère changé.
Il y a un an : l’adoption d’un texte injuste et répressif
En janvier 2024, l’adoption de la loi asile et immigration se faisait dans la douleur, après des mois de mobilisation et d’opposition de la part de la société civile. Malgré la censure partielle par le Conseil constitutionnel, le texte finalement promulgué demeurait très préoccupant.
Parmi les points saillants :
- La facilitation des expulsions, y compris pour les personnes considérées jusque-là comme “protégées”, comme celles arrivées en France avant l’âge de 13 ans.
- Une succession de mesures durcissant encore davantage l’accès et le renouvellement des titres de séjour, avec la justification de ressources financières accrues ou le renforcement des exigences linguistiques
- Un durcissement de l’accès à la procédure d’asile, avec notamment des règles plus strictes pour bénéficier d’un hébergement, ou la généralisation de l’examen des demandes d’asile par un juge unique (plutôt que par trois juges)
→ Retrouvez notre décryptage sur la loi asile et immigration
La loi de 2024 est le vingt-neuvième texte sur l’asile et l’immigration qui a été adopté depuis 1980. Pourtant, dès le mois d’octobre 2024, le gouvernement Barnier annonçait une nouvelle loi immigration.
Un an après : un climat toujours plus toxique
Au moment de l’adoption de la loi Darmanin, le CCFD-Terre Solidaire dénonçait une loi adoptée grâce au soutien de l’extrême-droite qui avait obtenu que plusieurs de ses propositions historiques soient intégrées au texte :
Cette loi concrétise une victoire de l’extrême droite et de ses idées. Depuis des mois, le gouvernement a affirmé ne pas chercher à faire d’alliance avec des partis d’extrême droite ou prônant leurs idées.
CCFD-Terre Solidaire, janvier 2024
En un an, le climat politique sur le sujet s’est constamment détérioré.
Au moment des débats parlementaires sur la loi, Bruno Retailleau, alors chef de file des sénateurs Les Républicains, a fortement participé à durcir le texte. Il est devenu ministre de l’Intérieur à l’automne.
Dès sa nomination, il s’est focalisé sur les questions migratoires. Il a ainsi émis l’idée de restreindre l’Aide médicale d’Etat (AME) malgré l’avis défavorable du monde de la santé. Il a aussi annoncé sa volonté d’allonger les délais de rétention des personnes sans papier.
Enfin, il y a seulement quelques jours, le ministre de l’Intérieur a adressé une circulaire aux préfets leur demandant de durcir encore un peu plus les conditions de régularisation des personnes étrangères sans titre de séjour, mettant fin aux régularisations rendues possibles par la circulaire dite “Valls”.
Dans le même temps, le contexte européen s’est lui aussi fortement tendu. En mai 2024, le Pacte européen sur les migrations a été adopté par le Parlement européen, toujours dans une logique répressive et sécuritaire. Cette même année, de nombreux accords d’externalisation ont été conclus entre l’Europe et le Liban, la Mauritanie, l’Egypte ou encore la Serbie, malgré une violation des droits répétée et documentée.
On assiste à une hostilité grandissante à l’égard des personnes exilées dans quasiment tous les pays d’Europe, y compris en France, sans aucun fondement. Or, les décisions politiques prises dans ce contexte ont un impact direct sur la vie de milliers de personnes.
Ysé El Bouhali Bouchet, Chargée de plaidoyer migrations internationales au CCFD-Terre Solidaire
Un an après : un bilan toujours difficile à faire
Un an après l’adoption de la loi immigration, il est encore tôt pour dresser un bilan exhaustif. Il manque certains décrets d’application et d’autres sont arrivés tardivement. Par exemple, l’ancien gouvernement Attal a pris une série de décrets à la dernière minute avant sa démission, provoquée par la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron.
Les mesures dont se sont emparées assez rapidement les préfectures sont celles relatives à l’éloignement et aux refus de séjour, notamment en se fondant sur la notion de menace à l’ordre public. Ainsi, les associations constatent une augmentation du nombre de refus de séjour et des expulsions de personnes ayant des liens privés forts avec la France, ou originaires de pays en guerre, au motif d’une supposée “menace à l’ordre public”, une notion floue qui peut ouvrir la voie à des décisions arbitraires.
À noter que ces pratiques sont encouragées par le gouvernement, et plus précisément par une instruction de février 2024 (Darmanin) et une circulaire d’octobre 2024 (Retailleau). Les ministres de l’Intérieur ont vivement encouragé les préfets à se saisir rapidement de ces nouvelles possibilités.
En revanche, un zèle similaire n’a pas été constaté sur les quelques éléments de la loi Darmanin favorable aux personnes exilées. Ainsi, la possibilité qu’elle ouvre à la régularisation par le travail n’a montré quasiment aucun effet jusqu’à présent.
Un an après, nous constatons déjà les effets délétères de cette loi, comme nous l’avions annoncé lorsque nous la combattions. Il est urgent de sortir de cette logique répressive et d’envisager des politiques migratoires solidaires qui seront en réalité bénéfiques à l’ensemble de la société.
Ysé El Bouhali Bouchet, Chargée de plaidoyer migrations internationales au CCFD-Terre Solidaire
Photographie de couverture : Laure Boyer / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP