Trump : la promesse d’une nouvelle ère erratique sur les marchés pétroliers  - IRIS

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Lors de son investiture lundi 20 janvier, Donald Trump a affirmé dans son discours inaugural que les États-Unis redeviendraient « une nation riche, et c’est l’or liquide qui se trouve sous nos pieds qui nous y aidera ». Dans ce contexte, que peut-on anticiper sur les marchés pétroliers pour les mois qui viennent ?Le point avec Emmanuel Hache, directeur de recherche à l’IRIS, spécialiste des questions relatives à la prospective énergétique et à l’économie des ressources naturelles

La politique de Donald Trump va-t-elle renforcer la position américaine sur les marchés pétroliers ?

Le discours inaugural n’est en rien étonnant puisque le désormais 47e président des États-Unis n’avait cessé durant la campagne électorale de 2024, de reprendre le slogan de la campagne de 2008 de John McCain « drill, baby, drill », proposant un plan d’intensification massive des forages en cas de réélection. Déclarant l’état d’urgence énergétique (National Energy Emergency) dès le premier jour de son mandat, il a signé l’ordre exécutif amenant à « libérer l’énergie américaine » soit le « réexamen immédiat de toutes les actions de l’Agence susceptibles d’entraver le développement des ressources énergétiques nationales ». Derrière ces messages forts, il y a une volonté de D. Trump d’augmenter de manière significative la production pétrolière aux États-Unis en assouplissant notamment les restrictions sur les forages en Alaska et en levant la suspension des exportations de gaz mise en place durant l’administration Biden.

Les États-Unis, deuxième consommateur mondial d’énergie et deuxième émetteur mondial de CO2, sont redevenus depuis le milieu des années 2010 le premier producteur mondial de pétrole et de gaz et le premier exportateur mondial de gaz. Depuis le premier mandat de Barack Obama début 2009, la production américaine a été multipliée par 2,6. Elle a enregistré une progression de 72 % durant l’ère Obama, de 25 % durant le premier mandat de Trump et de 21 % sous l’ère Biden. Cette dynamique leur a permis de ravir à l’Arabie saoudite et à la Russie la première place en termes de production mondiale depuis 2017. En 2024, les États-Unis ont produit 13,2 millions de barils par jour en moyenne, et chaque baril supplémentaire renforcera leur rôle sur les marchés.

Cette politique intervient-elle à un moment opportun sur les marchés pétroliers ?

La volonté deD. Trump d’augmenter significativement la production avec le pétrole américain intervient dans un contexte d’incertitudes sur les marchés pétroliers. Depuis début janvier, la conjonction de conditions climatiques très rigoureuses aux États-Unis, d’une nouvelle diminution des stocks de pétrole américain, des nouvelles sanctions sur le pétrole russe ainsi qu’une révision à la baisse des prévisions d’excédent pétrolier pour 2025 par l’AIE ont sensiblement poussé les prix à la hausse, ces derniers touchant des plus hauts de six mois à plus de 82 dollars le baril autour du 15 janvier. Depuis cette date, ils ont commencé à diminuer, un mouvement accéléré par l’investiture de D. Trump et les incertitudes provoquées par les différents décrets présidentiels. L’inquiétude actuelle résulte notamment des futurs équilibres offre-demande sur le marché. En effet, dans son dernier rapport, l’AIE a revu à la baisse l’excédent d’offre pour 2025 (autour de 0,7 mbj contre 1 mbj auparavant), arguant d’une hausse de la demande hivernale et d’une possible diminution de l’offre sur les premiers mois de l’année. En outre l’AIE estime qu’un renforcement des sanctions contre l’Iran et la Russie pourrait complètement rééquilibrer le marché en 2025 en retirant la production de ces deux pays sur les marchés. De son côté, le département américain à l’énergie estimait dans ses derniers exercices de prévisions un marché en léger surplus, en insistant sur les fortes incertitudes géopolitiques actuelles. Seule l’OPEP entrevoit un marché légèrement déficitaire avec une projection de demande de près de 1,45 mbj en 2025 (contre 1 mbj pour l’AIE et 1,3 pour le département américain à l’énergie) et une projection d’offre de 1,5 mbj. Dans ce contexte les conséquences d’une production américaine supplémentaire pourraient théoriquement déséquilibrer le marché en accentuant le surplus d’offre.

En outre le facteur pétrolier ne peut être isolé des autres problématiques économiques actuelles. En effet, d’une part le contexte économique observé en Chine (principal contributeur à la croissance de la demande pétrolière) n’incite pas aujourd’hui à l’optimisme et d’autre part le monde économique reste suspendu à la politique tarifaire envisagée par les États-Unis sur ses principaux partenaires commerciaux. Une récente note du CEPII a évalué l’impact sur le PIB et sur le commerce international d’une hausse des droits de douane de 10 % sur les importations en provenance de tous les pays et de 60 % en provenance de Chine. Dans ce scénario central, les exportations mondiales globales diminuent, en volume, de 3,4 % et le PIB mondial recule de 0,5 %, ce qui affecterait inévitablement les marchés pétroliers et in fine les prix. Les calculs mettent également en évidence que les deux pays les plus touchés par cette politique seraient la Chine…et les États-Unis, ce qui irait totalement à l’encontre des intérêts du nouveau président élu, qui vantait lors de son investiture que : « Le rêve américain sera bientôt de retour et prospérera comme jamais auparavant ».

Quels acteurs Donald Trump veut-il favoriser ?

La volonté de Trump d’accélérer la production américaine sur le territoire a deux objectifs qui là aussi paraissent contradictoires. En effet le premier est de favoriser une diminution des prix de l’énergie sur le marché américain pour répondre aux attentes de la classe moyenne tout en bénéficiant d’un dividende potentiel sur le marché de l’emploi. Cet effet ne doit cependant pas être compensé par une hausse des prix des autres matières premières et des biens de consommation qui seraient forcément affectés par la hausse des droits de douane de la politique commerciale de Trump. Or, l’énergie ne représente aujourd’hui qu’une faible part de l’indice des prix aux États-Unis (moins de 6,5 %), alors que les biens de consommation (hors énergie et alimentation) près de 18 %. Dans ce contexte la politique commerciale de Trump contrecarrerait totalement sa volonté d’augmenter le pouvoir d’achat de son électorat. De plus, dans un environnement de prix bas, les incitations pour les producteurs de pétrole seraient forcément réduites ! En effet, les producteurs de pétrole non-conventionnels aux États-Unis ont montré par le passé une forte propension à être très dépendants du signal prix pour leurs activités. Les incertitudes soulevées aujourd’hui par l’administration Trump ne sont cependant pas susceptibles d’offrir un contexte de stabilité pour les producteurs sauf à imaginer des politiques de subventions massives (taux préférentiels, fiscalité). Là encore, même s’ils ont opéré une diminution depuis quelques mois le niveau des taux d’intérêt, ceux-ci restent élevés et la FED (Banque centrale américaine) ne devrait pas opérer de changements profonds au vu des incertitudes économiques et géopolitiques actuelles. Enfin, les producteurs américains ne seraient pas à l’abri d’une réaction similaire à celle de l’OPEP en 2014, à savoir une hausse de la production pour faire baisser les prix et ainsi les exclure du marché, ceux-ci ayant des coûts de production bien plus élevés.

Au vu des contradictions des politiques envisagées par l’administration Trump, il ressort donc qu’il ne pourrait n’y avoir aucun gagnant : ni les consommateurs, ni les producteurs. La seule certitude de ces politiques reste les conséquences environnementales d’une politique pro-fossiles et les possibles conséquences de la sortie des États-Unis des accords de Paris, avec le risque que d’autres pays leur emboitent le pas. Faire de la sobriété un angle majeur des politiques européennes est nécessaire, mais elle ne s’envisage que sur le long terme et l’Europe devra probablement subir les arbitrages et la diplomatie transactionnelle de Trump à court et moyen terme. Pour les marchés pétroliers, Trump pourrait se révéler ainsi comme un marchand de doutes alimentant la fragilité et la volatilité des marchés… Par conséquent, Donald Trump à la tête des États-Unis, c’est la promesse d’une nouvelle ère erratique sur les marchés pétroliers !

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