RDC : déchainement de violences contre les femmes pendant les évasions massives, les victimes de criminels en liberté en danger dans tout le pays

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  • La Fédération Internationale pour les droits humains (FIDH) et ses organisations membres et partenaires (voir signataires plus bas), alertent sur la terrible vague de violences sexuelles contre les femmes en République du Démocratique du Congo (RDC) suite aux évasions massives des prisons dans l’est du pays. Les viols de masse et la mort de centaines de femmes à la prison de Goma en février 2025 doivent appeler à une réaction forte.
  • Les organisations alertent également sur les menaces et représailles exercées par des criminels de guerre récemment évadés contre les victimes et témoins dans le cadre de procédures judiciaires à leur encontre, ainsi que contre les défenseur·ses des droits humains qui les ont accompagnées.
  • Alors que l’Examen périodique universel (EPU) sur la RDC est en cours d’adoption par le Conseil des droits de l’Homme, les organisations signataires enjoignent aux autorités congolaises de prendre des mesures d’urgence pour améliorer drastiquement les conditions de détention dans le pays et de protéger en particulier les femmes détenues.

Kinshasa, Kisangani, Paris, 25 mars 2025. Avec l’arrivée du Mouvement du 23 Mars (M23) au Nord et au Sud-Kivu à l’est de la RDC dès fin janvier 2025 et la désintégration des autorités locales, des milliers de prisonniers se sont échappés des prisons. Les rapports font état d’évasions massives à la prison de Muzenze à Goma au Nord-Kivu, mais aussi à Bukavu, Uvira et Kalehe, au Sud-Kivu, et à Kalemie dans la province du Tanganyika.

Pire encore, à Goma, des centaines de femmes elles aussi incarcérées ont été violées par les détenus qui étaient en train de s’évader. C’est une mutinerie de prisonniers qui aurait causé l’évasion massive, alors que le M23 arrivait dans la ville et que les gardiens de prison avaient fui. Plusieurs centaines de ces femmes ont par la suite péri dans le feu qui s’était déclenché dans la prison.

Ces faits atroces ne sont de toute évidence pas un acte de violence localisé. Ils s’inscrivent dans un schéma profondément ancré de violence sexuelle à l’encontre des femmes en milieu carcéral. Pour rappel, en septembre 2024, à Kinshasa, lors d’une évasion massive de détenus, des centaines de femmes détenues ont été violées par les prisonniers. En janvier 2020, à Lubumbashi, ce sont 50 femmes détenues qui avaient été violées pendant deux jours au cours d’émeutes dans la prison de la Kasapa.

Dans la majorité des évasions massives qui se sont produites récemment à l’est du pays, les détenus étaient en détention préventive prolongée. Il s’agissait à la fois de civils, de militaires et de membres de groupes armés. Dans la plupart des cas, ce sont les autorités pénitentiaires congolaises qui ont ouvert les portes des cellules avant de fuir. En RDC comme dans quasiment tous les conflits, le viol est utilisé comme une arme de guerre, pour affirmer sa domination, semer la peur et briser les communautés. L’agression de ces femmes déjà vulnérables, est une illustration des les risques auxquels sont confrontées les détenues.

L’incapacité à protéger les détenues est le reflet d’une négligence systémique plus large, qui doit être traitée immédiatement. Les prisons, qui devraient offrir un environnement contrôlé et sécurisé, ne doivent pas devenir des lieux de criminalité supplémentaire . Assurer la sécurité et la dignité des femmes détenues n’est pas seulement une obligation légale, c’est un droit humain fondamental qui doit être appliqué.

Des représailles pour les victimes et les témoins

Ces évasions font courir des risques importants pour la sécurité des victimes et des témoins. Ils risquent de subir des représailles en toute impunité, dans un contexte de vide sécuritaire dans les zones nouvellement sous contrôle du M23 ou de faiblesse de l’autorité de l’État dans d’autres zones. À titre d’exemple, le chef milicien Donat Kwengwa Omari, condamné pour crimes contre l’humanité en novembre 2024 par la justice militaire du Sud-Kivu, s’est évadé de la prison centrale de Bukavu et a regagné son ancienne zone d’influence dans le territoire de Shabunda. Il a repris le commandement de son groupe, désormais rallié au mouvement Wazalendo dans la lutte contre le M23. Il mobilise aujourd’hui ses ressources militaires pour traquer et intimider ceux et celles qui ont témoigné contre lui. Des représailles violentes ont déjà visé certain·es défenseur·ses des droits humains, tandis que les victimes, menacées, sont contraintes de se déplacer pour échapper aux violences. De plus, avec le retrait de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) de la province du Sud-Kivu et de la province du Tanganyika, la protection des civils et la sécurité des défenseur·es ne sont plus assurées par la Mission et demeurent aux mains des autorités congolaises, dont les moyens sont limités ou menacés avec l’avancée du M23.

La Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseur-ses des droits humains a récemment alerté sur les menaces reçues par les défenseur-ses en représailles de leurs activités de soutien aux victimes et témoins de condamnés pour crimes graves. Le personnel pénitentiaire et judiciaire est également également visé par des risques de représailles émanant des détenus et des membres de groupes armés contre qui des procédures judiciaires avaient été ouvertes. Par ailleurs, la plupart de dossiers judiciaires ont été détruits dans le saccage des installations par les détenus en train de s’évader. Dans de rares cas, des dossiers avaient été mis dans des coffres forts qui n’ont pas pu être forcés.

Si le contexte de conflit armé semble avoir favorisé ces évasions récentes, cela s’inscrit toutefois dans une problématique plus générale et structurelle des prisons en RDC. La surpopulation carcérale, les mauvaises conditions de détention des prisons (hygiène, accès à la nourriture, et aux soins, et la violence qui y règne) en RDC constituent un risque pour la santé mentale et physique des détenu·es. Des violences et des évasions massives arrivent fréquemment en RDC où trop souvent les femmes détenues sont visées en premier lieu par des co-détenues masculins, tandis que les gardes emploient l’usage de la force létale de façon indiscriminée.

Recommandations :

A l’occasion de l’adoption de l’EPU sur la RDC par le Conseil des Droits de l’Homme durant sa 58ème session, les organisations signataires alertent sur les violences sexuelles et basées sur le genre dans le cadre des évasions massives de prison en RDC, ainsi que sur les conditions générales de détention dans le pays.

Les organisations signataires demandent à l’Etat congolais de mettre en œuvre au plus vite les recommandations faites dans le cadre de l’EPU sur l’amélioration des conditions de détention.

En outre, nos organisations demandent à l’État congolais de :
 Améliorer les conditions de détention, notamment en réduisant les détentions préventives et les délais de traitement des affaires ;
 Assurer la sécurité des femmes détenues dont les cellules sont à proximité de celles de hommes et fournir une assistance psycho-sociale et médicale aux femmes violées ;
 Diligenter des enquêtes sur les évasions de prison ;
 Permettre en tout temps l’accès des prisons au Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l’Homme (BCNUDH) dans le cadre de son mandat de monitoring des droits humains ;
 Accélérer la mise en place d’un mécanisme de prévention de la torture ;
 Garantir la protection des défenseur·ses des droits humains, des victimes et des témoins de crimes commis par des détenus en fuite, y compris dans les zones sous contrôle des FARDC et de leurs alliés, en prenant des mesures concrètes pour prévenir les représailles et assurer leur sécurité ; 
 Assurer la sécurité des prisons et protéger les droits des détenus dans les zones sous son contrôle.

Et aux Nations Unies, y compris la Mission d’établissement des faits du haut-Commissariat aux droits de l’Homme de :

 Diligenter des enquêtes sur les cas de violences sexuelles et basées sur le genre commises dans le cadre des évasions de prisons, dans le cadre du conflit ;
 Renforcer le suivi et la documentation des menaces, représailles et violences commises par d’anciens détenus en fuite, et plaider pour des mesures de protection adaptées aux victimes, témoins et défenseur-ses des droits humains.

A la Communauté internationale de :
 Soutenir la mise en place d’un mécanisme d’assistance d’urgence à destination des défenseur·ses des droits humains capable de répondre à leurs besoins vitaux sur le court terme et à faciliter leur délocalisation temporaire ;
 Soutenir la mise en place de mécanismes de protection des victimes et témoins ;
 Soutenir les efforts visant à apporter un soutien d’urgence aux femmes victimes de violences sexuelles et basées sur le genre dans le cadre des évasions.

Aux partenaires de la RDC de :
 Soutenir la digitalisation des dossiers judiciaires ;
 Dans le cadre de l’assistance technique fournie, intensifier l’appui aux renforcement de capacités en droits humains aux détenu-es et autorités pénitentiaires ;
 Renforcer le rôle et l’intervention de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH) dans le monitoring des conditions de détention en prison et le reporting sur les prisons.

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Coordonnées
Maxime Duriez