Mis à jour le 13/11/2025
Le numérique a profondément reconfiguré le milieu de l’édition scientifique, en permettant la multiplication des revues en ligne. TheoretiCS, dédiée à l’informatique théorique, est l’une d’elles. Son objectif est de rassembler les thématiques de recherche et de proposer des articles d’un haut niveau scientifique, le tout sur un modèle ouvert. Pour cela, les scientifiques impliqués s’appuient sur la plateforme Episciences, co-gérée par Inria. Ils racontent ce qui a motivé la création de TheoretiCS, et les défis liés à la gestion d’une revue scientifique.
Ouvrir les publications scientifiques
La publication d’articles est une étape centrale de la recherche scientifique. Lorsque les chercheurs et chercheuses soumettent leurs résultats à une revue spécialisée, leur travail est revu et évalué par d’autres scientifiques, qui valident – ou non – leur contribution. Cette relecture par les pairs a pour but de garantir la qualité des publications scientifiques. « Beaucoup de revues existent depuis les années 1970, et appartiennent à des sociétés savantes, ou à des sociétés privées », observe Antoine Amarilli, chercheur dans l’équipe-projet Inria D-Dal, commune avec le laboratoire CRIStAL de l’Université de Lille.
Mais à partir de l’arrivée du Web dans les années 1990, le numérique a profondément transformé le milieu de l’édition scientifique. Il a permis de s’affranchir de l’impression des journaux sur papier, et a remis en question le modèle économique classique, reposant sur les abonnements. C’est ainsi qu’a émergé le mouvement Open Access (libre accès), qui vise à mettre à disposition de tous et toutes les informations issues de la recherche scientifique, sans obstacles financiers, juridiques ou techniques.
Impliquer une communauté
C’est dans ce modèle que s’inscrit la revue TheoretiCS, lancée en décembre 2021, qui traite d’informatique théorique. Il existait déjà dans ce domaine des revues en libre accès, dont Theory of Computing et LMCS (Logical Methods In Computer Science). « Mais elles sont spécialisées dans l’une deux branches principales de la discipline : d’une part, les algorithmes et structures de données, et les automates et la logique d’autre part », retrace Antoine Amarilli, ancien secrétaire éditorial de TheoretiCS. « Il existait donc un besoin pour une revue réunissant ces deux aspects. »
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Verbatim
Il est facile de créer un journal en ligne. Mais si l’on veut qu’il soit de qualité, par où commencer ?
Auteur
Thomas Schwentick
Poste
Chercheur, université technique de Dortmund
Thomas Schwentick, chercheur en informatique théorique à l’université technique de Dortmund (Allemagne), est l’un des initiateurs du projet. « Pour que la revue soit crédible, il fallait que la communauté soit impliquée », explique-t-il. « Ainsi, au cours des deux premières années, nous avons sollicité chacune des grandes conférences en informatique théorique, en vue d’intégrer l’un ou l’une de leurs représentants à notre comité scientifique. Et toutes ont joué le jeu ! Nous avons ainsi réuni des scientifiques parmi les meilleurs du domaine. »
Les conférences FOCS, STOC, SODA et LICS, de rang A*, sont ainsi représentées au sein de TheoretiCS, ainsi que ICALP, STACS, et MFCS, les meilleures conférences européennes du domaine selon Thomas Schwentick. « Nous avons l’ambition de faire de TheoretiCS l’un des meilleurs journaux en informatique théorique », complète le chercheur. « Pour que nous acceptions un article, celui-ci doit être d’un niveau de qualité comparable à celui des deux journaux de référence, Journal of the ACM et SIAM Journal on Computing. »
Construire une réputation
Mais, à ce stade, comment convaincre les scientifiques de soumettre leurs travaux à une revue encore jeune ? Publier dans des revues prestigieuses peut jouer un rôle important dans l’avancement d’une carrière, en particulier pour les jeunes chercheurs et chercheuses. Mais être reconnu comme un journal de haut niveau nécessite d’attirer des contributions de grande qualité ! « C’est le serpent qui se mord la queue », résume Hélène Lowinger, coordinatrice du pôle édition scientifique d’Inria. « Le soutien de la communauté joue donc un rôle important. »
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Verbatim
Choisir de publier dans une jeune revue comme TheoretiCS est souvent une démarche volontaire, pour soutenir le modèle ouvert. Il est important que les scientifiques établis fassent ce choix : ce sont eux qui peuvent faire le renom d’une revue !
Auteur
Hélène Lowinger
Poste
Coordinatrice du pôle édition scientifique d’Inria
La reconnaissance passe également par un référencement dans des bases bibliographiques, sur la base de critères stricts. TheoretiCS a obtenu de figurer dans le DOAJ (Directory of open access journals). D’autres plateformes, comme Scopus ou Web of science, sont gérées par des éditeurs commerciaux. Ce sont elles qui attribuent les "facteurs d’impact", critères souvent retenus pour juger de la renommée d’un journal, mais largement discuté par la communauté scientifique. TheoretiCS n’y figure pas encore, mais l’équipe mène les démarches nécessaires pour y parvenir.
Faciliter la gestion
La revue avance un autre argument pour attirer les contributions : « Nous promettons une réponse préliminaire en trois mois pour les articles qui nous sont soumis, sur la base de la pertinence et de l’importance des résultats », indique Mikaël Monet. Chercheur dans l’équipe-projet D-Dal, il est l’un des deux secrétaires éditoriaux actuels de TheoretiCS. « Habituellement, pour un article de 50 à 100 pages, une revue met 6 mois à 1 an pour donner son verdict. » Réduire ce délai demande une organisation rigoureuse. TheoretiCS y parvient grâce à la plateforme Episciences, soutenue par le CNRS, Inria, l’Inrae et l’Institut Fourier.
« Les articles que nous publions sont hébergés dans des archives ouvertes, telles que HAL ou arXiv », décrit Mikaël Monet. « Episciences met à notre disposition un site web pour présenter ces articles, mais également une interface permettant aux candidates et candidats de soumettre leurs travaux. La plateforme facilite la répartition des articles auprès des relecteurs et relectrices, mais aussi le suivi de ce processus, et les relances automatiques pour tenir les délais. » TheoretiCS compte en permanence plusieurs dizaines d’articles en cours de traitement.
Emmanuelle Perrin-Touche, chargée d'édition scientifique chez Inria, accompagne les revues publiées via Episciences : « Nous assurons un support technique, et répondons aux demandes d’amélioration de la plateforme », décrit-elle. « Mais nous avons également un rôle de conseil, notamment pour aider les revues à atteindre les critères de qualité éditoriale des bases bibliographiques en vue de leur référencement. » Pour Thomas Schwentick, « Episciences a grandement facilité le démarrage de la revue. »
Pérenniser l’organisation
Après quatre ans d’existence, TheoretiCS se porte bien : « Nous comptons environ 50 à 60 soumissions d’article par an », compte Mikaël Monet. Emmanuelle Perrin-Touche décrit une « croissance fulgurante » : 2 articles publiés en 2022, puis 12 et 26 les années suivantes, et à ce jour 25 en 2025. « À ce stade, il nous faut pérenniser l’existence du journal, pour garantir une visibilité à long terme de ces publications », estime Antoine Amarilli.
« Jusque-là, TheoretiCS fonctionne bien », estime Thomas Schwentick. « Mais dans les prochaines années, nous devrons stabiliser son organisation. Il faudra que le fonctionnement du journal ne dépende d’aucune personne en particulier, de sorte que les fondateurs puissent laisser la main aux suivants ! » Pour se renouveler, l’équipe de TheoretiCS assure chaque année une présence dans les principales conférences d’informatique théorique. « Nous sommes toujours en recherche de nouveaux volontaires pour contribuer à l’aventure ! », conclut le co-fondateur de la revue.
scientifiques dans le comité éditorial
Une revue open access "diamant"
Le modèle open access regroupe différentes modalités de publication des articles scientifiques. Certaines revues proposent un accès ouvert aux articles publiés, mais facturent aux auteurs et autrices des frais de publication (APC, pour article processing charges). TheoretiCS, ainsi que toutes les revues hébergées par Episciences, suivent le modèle dit "diamant" : en libre accès immédiat pour les lecteurs et sans frais de publication pour les auteurs. Ce modèle est généralement financé par des institutions scientifiques – dont Inria, qui porte la plateforme Episciences avec le CNRS, l’Inrae et l’Institut Fourier. Le DOAJ (Directory of open access journals) recense les revues scientifiques en accès libre : actuellement, parmi les 22 134 journaux listés, 13 920 fonctionnent selon le modèle diamant.
En savoir plus
- The Drain of Scientific Publishing (en anglais), arXiv, 6/11/2025
- Reconnaître le rôle du logiciel dans la recherche : des scientifiques Inria s’engagent dans Nature, Inria, 30/10/2025
- LibScience, ouvrir et partager la connaissance, Inria, 06/02/2024
- Science ouverte : quelle politique de prise en charge des APC pour Inria ?, Inria, 10/02/2022
- HAL : une infrastructure exemplaire pour contribuer à une édition scientifique ouverte, publique et pérenne, Inria, 24/11/2021