Tunisie : l'affaire du

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45 ans de prison contre plus de 40 opposant·es, avocat·es, journalistes et militant·es : le verdict rendu ce 28 novembre 2025 par la Cour d’appel de Tunis est un point de bascule pour un régime en pleine dérive autoritaire.

Paris-Tunis, le 2 décembre 2025. Le jugement rendu dans l’affaire dite du « complot contre la sûreté de l’État  » illustre la dérive autoritaire du régime tunisien. Comme en première instance, ce procès aussi massif qu’inéquitable, dirigé contre plus de 40 personnalités, opposant·es, avocat·es, journalistes, militant·es, s’inscrit dans une offensive coordonnée visant à écraser toute forme d’opposition politique.

La chambre criminelle spécialisée en matière de terrorisme de la Cour d’appel de Tunis a prononcé des peines d’une sévérité exceptionnelle : entre 10 et 45 ans de prison pour les accusé·es en détention, entre cinq et 35 ans pour celles et ceux laissé·es en liberté. Les peines visant les personnes jugées par contumace ont été confirmées ou alourdies. Elles atteignent jusqu’à 43 ans, avec exécution immédiate. Plusieurs amendes et mesures de confiscation d’avoirs ont également été ordonnées.

Parmi les condamnations prononcées par contumace, celle visant la militante Chaïma Issa illustre la dimension profondément politique du dossier. Condamnée en appel à 20 ans de prison, contre 18 ans en première instance et à une amende de 50 000 dinars, elle a été arrêtée dès le lendemain, le 29 novembre, en plein cœur de Tunis, alors qu’elle participait à un rassemblement pacifique dénonçant la dérive autoritaire du régime. Cette arrestation expéditive, exécutée immédiatement après le verdict d’appel, confirme le caractère répressif du jugement et l’usage de la justice comme instrument d’intimidation contre les voix dissidentes.

Les droits de la défense méthodiquement piétinés

Les accusé·es, parmi lesquels des opposant·es politiques, des militant·es, des avocat·es, des journalistes, des acteurs et actrices de la société civile, ainsi que des figures de premier plan comme Jaouhar Ben Mbarek, Issam Chebbi, Ghazi Chaouachi, Ridha Belhaj et Khayam Turki, Noureddine Bhiri, Abdelhamid Jelassi ont été poursuivi·es sur la base d’accusations infondées. Pour Yosra Frawes, responsable du bureau Maghreb et Moyen-Orient à la FIDH, « ce procès n’a rien de judiciaire, il est intégralement politique. »

En appel comme en premier instance, les violations des droits fondamentaux se sont multipliées : refus de comparution en présentiel, refus d’entendre les plaidoiries, audiences à huis clos, recours massif à la visioconférence, exclusion de la presse indépendante, refus de reporter malgré l’état de santé critique de certain·es prévenu·es, notamment Jaouhar Ben Mbarek, en grève de la faim depuis un mois. Les accusations d’ingérences et d’« instructions  » politiques pesant sur la magistrature ont achevé de vider la procédure de toute crédibilité.

Une justice instrumentalisée au service de la répression des voix dissidentes

Le verdict prononcé aujourd’hui n’émane pas d’une justice indépendante, mais d’un pouvoir qui instrumentalise la loi antiterroriste pour éliminer ses adversaires et pour faire taire toute voix critique. Cette affaire confirme les conclusions du rapport de la FIDH, Du coup d’État à l’étouffement des droits (2021–2025). La justice est utilisée comme un outil de contrôle politique, incompatible avec les standards internationaux et les garanties fondamentales de l’état de droit.

Face à ce verdict, la FIDH réaffirme sa solidarité totale avec les prisonnier·es d’opinion, leurs familles et tou·tes celles et ceux qui se battent pour préserver les libertés en Tunisie.

Elle appelle les autorités tunisiennes à :
 annuler les condamnations prononcées dans cette affaire et l’ensemble des poursuites reposant sur la loi antiterroriste détournée de son objet ;
 libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes détenues pour avoir exercé leurs droits fondamentaux, y compris les opposant·es politiques, les militant·es, les journalistes, les syndicalistes, les avocat·es et les défenseur·es des droits humains ;
 garantir le droit à un procès équitable, l’indépendance de la justice et la fin des ingérences politiques dans les procédures judiciaires ;
 restaurer un véritable espace civique, où la critique, le débat et la liberté d’association sont protégés.

La FIDH appelle également l’Union européenne, ses États membres et les partenaires de la Tunisie à :
 condamner explicitement ce verdict et les violations systématiques du droit à un procès équitable ;
 conditionner tout soutien politique, financier ou sécuritaire au respect des droits fondamentaux et de l’état de droit ;
 soutenir activement les défenseur·es des droits humains, les journalistes, les avocat·es et les organisations de la société civile menacé·es.

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Coordonnées
Raphaël Lopoukhine