Nos experts vous présentent leur analyse complète de toute l’actualité sur les marchés de l’énergie à la date de clôture du 5 décembre 2025.
Marché de l'électricité
Électricité : Un calme électrique avant la vraie épreuve
En France, la production nucléaire tourne à son plus haut niveau depuis six ans, offrant au marché une colonne vertébrale solide. Les renouvelables, dopés par une météo clémente, ajoutent un coussin supplémentaire, contribuant à détendre les prix à court terme. Cette abondance masque pourtant une vulnérabilité structurelle : la demande est exceptionnellement faible, et c’est elle, plus que l’offre, qui pilote la sérénité apparente du système.
Le marché du carbone raconte la même histoire : les EUA glissent légèrement vers 81–82 €/t, non par manque de tension, mais sous l’effet des prises de bénéfices et des échéances d’options qui figent les acteurs autour du seuil symbolique des 80 €. Cette respiration ne dit rien d’un véritable apaisement. Les positions longues restent massives, l’hiver peut encore réveiller la consommation, et le moindre choc météo ou géopolitique pourrait brusquement remettre les compteurs dans le rouge.
À la une
Les autoroutes de l’énergie : L’urgence invisible
L’Europe découvre que sa transition énergétique ne se joue plus seulement dans les parcs solaires ou la puissance des éoliennes, mais dans les kilomètres de câbles qui n’arrivent pas à suivre.
Le « paquet réseaux » de la Commission veut dénouer huit goulets d’étranglement qui paralysent le marché intérieur, renchérissent les prix et ralentissent la sortie des fossiles.
Les grandes liaisons stratégiques
Des Pyrénées à Bornholm, de Chypre à la mer Baltique, ces « autoroutes » électriques et gazières redessinent la carte énergétique européenne.
L’objectif : mieux connecter, mieux stocker, mieux répartir. Dans le gaz, le Trans-Balkan doit devenir un corridor inversé pour accélérer la dé-Russification de la région.
L’hydrogène en colonne vertébrale
Deux corridors H₂ – l’un ibéro-franco-allemand, l’autre reliant l’Afrique du Nord à l’Europe centrale – ambitionnent de transporter 2 Mt d’hydrogène vert par an d’ici 2030. Une réponse directe aux secteurs difficiles à décarboner.
Le coût du retard
La congestion coûte déjà 9 milliards par an et pourrait doubler d’ici 2030.
Avec une demande électrique en hausse de 71% d’ici 2050, l’Europe doit littéralement reconstruire son réseau en une génération.
L’essentiel à retenir ailleurs en Europe, par notre expert
Nucléaire Français : le retour en puissance
La France signe son meilleur millésime nucléaire depuis six ans : 333 TWh sur janvier-novembre, dopés par une disponibilité retrouvée après les crises du CSC et du Covid. Novembre atteint même un record décennal. Les renouvelables progressent aussi (+19%), offrant un cocktail de production qui renforce les exportations, en hausse à 9 TWh. EDF devrait boucler l’année autour de 369-370 TWh, au plus haut depuis 2019.
Royaume-Uni : le grand rattrapage réseau
Ofgem valide 28 milliards GBP pour moderniser les réseaux, première tranche d’un plan titanesque de 90 milliards d’ici 2031. Deux tiers iront au gaz, le reste au transport électrique. L’objectif : éviter un réseau devenu obsolète, tout en limitant l’impact sur les factures. Le régulateur promet discipline budgétaire, tandis que ONG et associations exigent une supervision stricte des opérateurs.
Lien Irlande–Espagne : entre vision et scepticisme
L’idée d’un câble de 1 000 km entre l’Irlande et l’Espagne divise. L’industrie doute de sa faisabilité technique et financière, malgré l’optimisme affiché par l’agence SEAI, qui cite le Celtic Interconnector comme preuve que « long » ne signifie pas « impossible ». Les ambitions de Dublin se heurtent toutefois à un système d’autorisations jugé l’un des plus lents d’Europe.
– Helder FARIA RUBIO,
Responsable Intelligence Economique chez Capitole Energie
Marché du gaz
Gaz : Des prix d’automne en plein hiver, une illusion dangereuse
Le gaz européen tutoie des niveaux qu’on n’attendait plus : 27–28 €/MWh, un plancher vieux de vingt mois. Météo d’octobre, vent généreux, GNL abondant, flux norvégiens solides… tous les astres se sont alignés pour offrir à l’Europe un confort inattendu. Mais ce cadeau cache un paradoxe : plus la détente semble évidente, plus la mécanique devient fragile.
Les stocks restent élevés mais inférieurs à l’an dernier, l’Asie dort encore mais pourrait se réveiller d’un seul coup, et les fonds massivement short entretiennent une pression artificielle qui peut se retourner en véritable coup de fouet si la météo durcit le ton. Sur le GNL, l’abondance est passagère : les États-Unis augmentent leurs capacités, l’Europe absorbe, mais les arbitrages géographiques finiront par rediriger les flux au moment même où les volumes russes disparaîtront du paysage.
À la une
L’Europe ferme le robinet russe
L’Union européenne vient de graver dans le marbre ce qui semblait encore inimaginable il y a trois ans : tourner la page du gaz russe. Après d’âpres négociations, États membres et eurodéputés ont scellé un accord fixant une interdiction totale du GNL russe dès fin 2026, et du gaz par pipeline à partir de l’automne 2027.
Une rupture programmée, mais graduelle, pour ne pas fragiliser un système énergétique encore marqué par les séquelles de 2022.
Contrats sous haute surveillance
Le texte découpe finement le calendrier : les contrats courts basculeront sous embargo dès le printemps 2026, tandis que les contrats longs verront leur couperet tomber entre janvier et novembre 2027 selon la nature du flux. Une architecture pensée pour éviter un choc brutal.
Débats, dérogations et lignes rouges
Le Parlement voulait aller plus vite ; certains États enclavés demandaient des garde-fous. D’où la clause de suspension temporaire en cas de risque sur l’approvisionnement.
Une concession pour rallier les derniers réticents, Hongrie et Slovaquie en tête.
La fin d’une dépendance historique
Pour Bruxelles, l’heure est symbolique : « Enfin, nous coupons le robinet russe ».
Une page se tourne, et avec elle disparaît un levier géopolitique longtemps utilisé comme un instrument de pression.
Tour d’horizon des autres faits marquants, par notre expert
La Norvège sonne la fin de l’innocence
Oslo refuse toute sortie anticipée du pétrole et du gaz : tant que l’Europe achète, la Norvège vendra. Le gouvernement lance néanmoins une commission chargée d’imaginer l’après-hydrocarbures, un tournant symbolique pour le premier fournisseur gazier du continent. En filigrane, l’assurance qu’Équinor maintiendra sa production au moins jusqu’en 2035, tandis que la fiscalité carbone continuera de grimper après 2030.
La Turquie entre ambition et réalités
Ankara rêve de devenir un véritable hub gazier. Les infrastructures existent ; la transparence, la liquidité et la liberté commerciale beaucoup moins. Le poids dominant de Botas, l’opacité des prix et des contrats peu flexibles freinent la naissance d’un véritable marché. À cela s’ajoute une géopolitique incandescente qui rend son rôle d’intermédiation fragile.
L’Italie muscle son bouclier énergétique
Rome déploie un arsenal de mesures pour amortir la facture énergétique : 1 Md€ de réductions pour ménages vulnérables et PME, mécanismes pour dynamiser les PPA, et une sortie volontaire des anciens régimes d’incitation renouvelables en échange de repowering. Le gouvernement prévoit aussi de liquider 2,1 bcm de gaz stocké en 2022, de réduire le spread PSV-TTF et d’alléger les coûts de transport.
– Helder FARIA RUBIO
Responsable Intelligence Economique chez Capitole Energie
Zoom sur l'énergie verte
Transition sous pression : l’UE face au mur de l’énergie propre
L’Europe lance sa première enchère pour la chaleur industrielle décarbonée
Sous l’impulsion du Fonds Innovation, Bruxelles déploie un dispositif inédit : une enchère dotée d’un milliard d’euros pour électrifier la chaleur industrielle – ce ventre mou de la transition, encore largement dépendant des combustibles fossiles. L’objectif est clair : convertir les fours, chaudières et procédés haute température de la chimie, de la sidérurgie ou du ciment grâce à des technologies propres comme les pompes à chaleur, inductions électriques ou torches plasma. Un détail qui change tout : l’électricité utilisée n’a pas besoin d’être verte, mais les porteurs de projets devront démontrer qu’ils savent la sécuriser.
Les règles sont strictes, le classement se fera au coût d’abattement par tonne de CO₂, pay-as-bid, et les projets devront être opérationnels en moins de quatre ans. Exclusion notable : la chaleur nucléaire, toujours politiquement sensible.
La stratégie anti-Chine menace les ambitions solaires de l’UE
L’Europe veut une industrie solaire souveraine… mais risque de freiner sa propre transition. En voulant limiter les modules chinois via le règlement NZIA, Bruxelles se heurte à une réalité implacable : sa capacité de production – quelques gigawatts – est dérisoire face aux 350–400 GW annuels des cinq premiers acteurs chinois.
Pour atteindre les 700 GW installés visés en 2040, l’UE devra collaborer avec Pékin, affirment industriels et universitaires. Sans assouplissement, les coûts exploseraient, les projets ralentiraient, et l’Europe manquerait son virage solaire.
La CRE veut élargir les coupures de production solaire et éolienne
Face à la multiplication des prix négatifs – 363 heures au premier semestre – la CRE pousse à élargir les arrêts obligatoires des installations sous obligation d’achat. Elle veut inclure tous les parcs solaires >10 MW, réduire les compensations et instaurer dès 2028 un calcul dynamique. L’objectif : limiter les coûts publics, éviter les à-coups réseau et discipliner un système saturé de production excédentaire.
Bruxelles ouvre des enchères de 4,2 milliards pour technologies net-zéro et hydrogène
Deux appels massifs sont lancés : 2,9 milliards pour des technologies net-zéro (stockage, industrie, carbone, renouvelables) et 1,3 milliard pour l’hydrogène propre – désormais incluant l’hydrogène bas-carbone issu du nucléaire. Surfondés par le marché carbone européen, ces dispositifs offrent des primes fixes sur 10 ans, dans un contexte d’appétit croissant : la précédente édition avait été sursouscrite plusieurs fois.
– Helder FARIA RUBIO
Responsable Intelligence Economique chez Capitole Energie