L'alexithymie chez l'adolescent autiste : quand on ressent sans pouvoir nommer - DYNSEO - App educative et jeux de mémoire

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Introduction : des émotions sans mots

“Comment tu te sens ?” Cette question simple peut provoquer un véritable blocage chez certains adolescents autistes. Non pas qu’ils ne ressentent rien – au contraire, ils peuvent être submergés par des sensations internes intenses – mais parce qu’ils n’arrivent pas à identifier ce qu’ils ressentent ni à mettre des mots dessus.

Ce phénomène porte un nom : l’alexithymie. Du grec a (absence), lexis (mot) et thymos (émotion), ce terme désigne littéralement “l’absence de mots pour les émotions”. L’alexithymie touche environ 50% des personnes autistes, contre seulement 10% de la population générale. C’est donc une caractéristique fréquente, mais souvent méconnue et mal comprise.

L’alexithymie n’est pas un manque d’émotions. Les adolescents alexithymiques ressentent les émotions avec autant d’intensité – parfois même plus – que les autres. Mais ils peinent à les identifier, à les différencier les unes des autres, à les relier à leurs causes, et à les exprimer verbalement. C’est comme si leur monde émotionnel intérieur était une masse confuse de sensations sans étiquettes.

Cette difficulté a des répercussions importantes sur la régulation émotionnelle, les relations sociales et le bien-être psychologique. Comprendre l’alexithymie est essentiel pour accompagner efficacement votre adolescent autiste dans la gestion de ses émotions.

Dans cet article, nous explorerons ce qu’est l’alexithymie, comment elle se manifeste, quelles sont ses conséquences, et surtout, comment vous pouvez aider votre adolescent à développer une meilleure conscience et expression émotionnelle.

Qu’est-ce que l’alexithymie ?

Une difficulté à plusieurs facettes

L’alexithymie est un concept complexe qui englobe plusieurs dimensions distinctes mais liées. La première dimension concerne la difficulté à identifier les émotions. La personne alexithymique peine à reconnaître ce qu’elle ressent. Elle peut percevoir une activation physiologique (accélération du cœur, tension musculaire, boule dans la gorge) sans pouvoir nommer l’émotion correspondante. Elle peut confondre des émotions différentes (prendre de la colère pour de l’anxiété, par exemple) ou ne pas distinguer les nuances émotionnelles.

La deuxième dimension est la difficulté à décrire les émotions. Même quand une émotion est partiellement identifiée, l’exprimer verbalement reste un défi. Le vocabulaire émotionnel peut être limité, les descriptions peuvent rester vagues (“je me sens bizarre”, “je ne sais pas”, “mal”). Les émotions peuvent être décrites en termes physiques plutôt qu’émotionnels (“j’ai mal au ventre” plutôt que “je suis anxieux”).

La troisième dimension touche à la pensée orientée vers l’extérieur. La personne alexithymique tend à se concentrer sur les faits concrets et les événements extérieurs plutôt que sur son vécu intérieur. Elle peut avoir du mal à introspection et à réfléchir sur ses propres états mentaux. Les conversations sur les émotions peuvent sembler abstraites ou sans intérêt.

Enfin, une quatrième dimension concerne la difficulté à distinguer émotions et sensations corporelles. Les émotions s’accompagnent de manifestations physiques, mais chez la personne alexithymique, ces sensations corporelles ne sont pas correctement “traduites” en expérience émotionnelle. La faim peut être confondue avec l’anxiété, la fatigue avec la tristesse, l’excitation avec l’angoisse.

L’alexithymie et l’autisme : un lien étroit

La prévalence élevée de l’alexithymie chez les personnes autistes (environ 50%) suggère un lien significatif entre ces deux conditions. Plusieurs hypothèses expliquent cette association.

L’hypothèse intéroceptive propose que l’alexithymie serait liée à des difficultés de traitement des signaux corporels internes (intéroception). Les personnes autistes présentent fréquemment des particularités intéroceptives, ce qui pourrait expliquer leur difficulté à percevoir et interpréter les manifestations physiques des émotions.

L’hypothèse du développement social suggère que les difficultés précoces de communication et d’interaction sociale chez les personnes autistes peuvent affecter le développement normal de la conscience émotionnelle. L’apprentissage de l’identification des émotions se fait largement à travers les interactions sociales et le langage, domaines où les personnes autistes peuvent rencontrer des obstacles.

L’hypothèse neurologique pointe vers des différences dans le fonctionnement des régions cérébrales impliquées dans le traitement émotionnel, notamment l’insula (intéroception) et le cortex préfrontal (régulation émotionnelle).

Quelle que soit l’explication, l’alexithymie est aujourd’hui reconnue comme une caractéristique fréquente de l’autisme, distincte de l’autisme lui-même mais souvent associée. Certaines difficultés émotionnelles attribuées à l’autisme pourraient en fait être liées à l’alexithymie co-occurente.

Alexithymie n’est pas absence d’émotions

Il est crucial de distinguer l’alexithymie de l’absence d’émotions (anhédonie) ou de l’indifférence émotionnelle. L’adolescent alexithymique ressent les émotions, parfois même de manière très intense. Il n’est pas froid, insensible ou dépourvu d’empathie. Il a simplement du mal à identifier et à exprimer ce qu’il ressent.

Cette distinction a des implications importantes pour l’accompagnement. L’objectif n’est pas de “créer” des émotions chez votre adolescent, mais de l’aider à prendre conscience de celles qu’il vit déjà et à développer un vocabulaire pour les exprimer.

Le stéréotype de la personne autiste “sans émotions” est largement faux et peut être dommageable. Beaucoup de personnes autistes vivent leurs émotions de manière très intense ; c’est leur expression qui peut sembler atténuée ou atypique, notamment en raison de l’alexithymie.

Comment se manifeste l’alexithymie au quotidien ?

Les réponses vagues aux questions émotionnelles

Le signe le plus visible de l’alexithymie est la difficulté à répondre aux questions sur les émotions. “Comment tu te sens ?”, “Qu’est-ce qui ne va pas ?”, “Ça te fait quoi de…?” : ces questions peuvent provoquer chez votre adolescent un silence, un haussement d’épaules, un “je ne sais pas” sincère, ou une réponse purement factuelle qui évite la dimension émotionnelle.

Ce n’est pas de la mauvaise volonté ni un refus de communiquer. Votre adolescent ne sait vraiment pas répondre à ces questions. Son monde intérieur lui est en partie opaque à lui-même.

La confusion émotionnelle

L’adolescent alexithymique peut confondre des émotions différentes. Il peut ne pas distinguer la colère de la frustration, l’anxiété de l’excitation, la tristesse de la fatigue. Toutes les émotions négatives peuvent se fondre en une masse indifférenciée de “mal-être”, sans nuances ni distinctions.

Cette confusion rend la régulation émotionnelle très difficile. Comment calmer une anxiété si on ne la distingue pas de la colère ? Comment répondre à un besoin émotionnel si on n’identifie pas quelle émotion signale ce besoin ?

L’expression physique des émotions

En l’absence de conscience et de vocabulaire émotionnels, les émotions s’expriment souvent par le corps. Votre adolescent peut somatiser : maux de ventre, maux de tête, tensions musculaires, fatigue inexpliquée. Ces symptômes physiques sont réels et peuvent être la seule façon dont son corps exprime une détresse émotionnelle non identifiée.

L’expression peut aussi être comportementale : agitation, agressivité, retrait, comportements répétitifs intensifiés. Ces comportements peuvent sembler “sortir de nulle part” car l’adolescent lui-même ne perçoit pas l’émotion sous-jacente qui les motive.

Les crises émotionnelles soudaines

Paradoxalement, l’alexithymie peut conduire à des explosions émotionnelles soudaines et intenses. Les émotions non identifiées s’accumulent sous la surface sans être régulées. Quand elles finissent par émerger, elles peuvent le faire de manière disproportionnée et incontrôlable.

Ces crises peuvent surprendre l’entourage (“tout allait bien et soudain…”) comme l’adolescent lui-même. Il peut ne pas comprendre pourquoi il réagit si fortement, ce qui ajoute de la confusion et de la détresse à la situation.

La difficulté à anticiper les réactions émotionnelles

L’alexithymie rend difficile l’anticipation émotionnelle. Votre adolescent peut ne pas prévoir qu’une situation va le stresser, qu’une personne va l’irriter, qu’une activité va l’ennuyer. Il peut accepter des engagements sans réaliser qu’ils lui coûteront émotionnellement, ou se retrouver dans des situations difficiles qu’il aurait pu éviter s’il avait anticipé sa réaction.

Les conséquences de l’alexithymie

Sur la régulation émotionnelle

La régulation émotionnelle repose sur la capacité à identifier ce qu’on ressent pour pouvoir y répondre de manière appropriée. L’alexithymie compromet cette première étape essentielle. Sans conscience de l’émotion, il est impossible de mettre en œuvre des stratégies de régulation adaptées.

L’adolescent alexithymique peut donc sembler avoir une régulation émotionnelle défaillante, alors que le problème se situe en amont, au niveau de l’identification. Les formations DYNSEO sur la gestion des émotions abordent cette distinction cruciale et proposent des stratégies adaptées. Découvrir la formation “Gérer les émotions d’un adolescent autiste”

Sur les relations sociales

Les relations sociales reposent largement sur la communication émotionnelle. Exprimer ce qu’on ressent, comprendre ce que l’autre ressent, ajuster ses réponses en fonction des émotions en jeu… Toutes ces compétences sont compliquées par l’alexithymie.

Votre adolescent peut sembler distant, froid ou désintéressé alors qu’il ressent en réalité beaucoup. Il peut avoir du mal à répondre de manière empathique car il ne sait pas exprimer la compassion qu’il éprouve. Il peut blesser involontairement en ne montrant pas les émotions attendues dans certaines situations.

Sur la santé mentale

L’alexithymie est associée à un risque accru de difficultés psychologiques : dépression, anxiété, troubles somatoformes. La difficulté à identifier et exprimer les émotions peut empêcher de chercher de l’aide appropriée (“je ne sais pas ce qui ne va pas, donc je ne consulte pas”) et compliquer les thérapies classiques basées sur l’exploration du vécu émotionnel.

Le lien avec le burnout autistique est également significatif. L’accumulation d’émotions non identifiées et non régulées peut contribuer à l’épuisement caractéristique du burnout. [Découvrir nos articles sur le burnout autistique]

Sur l’autonomie et les prises de décision

Les émotions jouent un rôle important dans la prise de décision. Elles nous signalent ce qui est bon ou mauvais pour nous, ce qui correspond à nos valeurs et nos besoins. L’alexithymie peut donc compliquer les décisions importantes : choix d’orientation, relations amicales et amoureuses, activités de loisir.

Votre adolescent peut avoir du mal à savoir ce qu’il veut vraiment, ce qui lui plaît, ce qui le rend heureux. Cette incertitude identitaire peut être source de confusion et de frustration.

Aider votre adolescent à développer la conscience émotionnelle

Partir du corps

Puisque les émotions ont des manifestations physiques, partir du corps peut être une voie d’accès à la conscience émotionnelle. Aidez votre adolescent à identifier les sensations corporelles : où ressent-il quelque chose dans son corps ? Quelles sensations ? Tension, chaleur, froid, nœud, picotement ?

Progressivement, vous pouvez l’aider à faire le lien entre ces sensations et des émotions. “Quand tu as cette boule dans le ventre et ces mains moites, souvent c’est de l’anxiété.” Ces associations ne sont pas universelles (chacun ressent les émotions différemment dans son corps), donc observez et apprenez ensemble le “vocabulaire corporel” spécifique de votre adolescent.

Utiliser des supports visuels

Les émotions sont abstraites, ce qui les rend difficiles à appréhender pour de nombreuses personnes autistes qui pensent de manière plus concrète et visuelle. Des supports visuels peuvent aider : thermomètres émotionnels, roues des émotions, pictogrammes, images représentant les expressions faciales et les situations.

L’application MON DICO de DYNSEO permet de créer un dictionnaire visuel personnalisé des émotions. Vous pouvez y ajouter des photos de votre adolescent exprimant différentes émotions, des images de situations qui déclenchent certaines émotions chez lui, et des pictogrammes qu’il trouve parlants. Ce support personnalisé peut devenir un outil de communication précieux pour exprimer des états émotionnels difficiles à verbaliser. Découvrir MON DICO

Développer le vocabulaire émotionnel

Un vocabulaire limité limite la conscience émotionnelle. Aidez votre adolescent à enrichir son répertoire de mots émotionnels, en allant au-delà des termes basiques (content, triste, en colère) pour explorer les nuances : frustré, déçu, irrité, anxieux, serein, enthousiaste, nostalgique, soulagé…

Les livres, les films, les séries peuvent être des supports pour explorer et nommer les émotions des personnages. “À ton avis, qu’est-ce qu’il ressent dans cette scène ? Pourquoi ?” Ces discussions indirectes peuvent être moins confrontantes que de parler directement des émotions de votre adolescent.

Pratiquer l’identification en temps réel

Plutôt que de demander rétrospectivement “comment tu t’es senti ?”, essayez d’aider votre adolescent à identifier ses émotions sur le moment, quand les indices sont encore présents. “Je vois que tu serres les poings et que tu respires vite. C’est peut-être de la colère ou de la frustration ?”

Cette pratique régulière aide à créer des connexions entre les manifestations observables et les étiquettes émotionnelles. Avec le temps, votre adolescent pourra internaliser ce processus et commencer à identifier ses émotions de manière plus autonome.

Les journaux émotionnels

Un journal émotionnel peut aider à développer la conscience émotionnelle. Il peut prendre différentes formes selon ce qui convient à votre adolescent : écriture libre, cases à cocher (émotions prédéfinies à sélectionner), échelles d’intensité, codes couleur, dessins.

L’objectif n’est pas la performance mais la pratique régulière de l’introspection émotionnelle. Même des entrées simples comme “Aujourd’hui j’ai ressenti : 😐 le matin, 😠 à la cantine, 😊 en rentrant” peuvent aider à développer l’habitude de porter attention à ses états émotionnels.

Ne pas forcer

Il est important de ne pas transformer chaque interaction en questionnement émotionnel. Certains adolescents peuvent se sentir harcelés par des questions répétées sur leurs émotions, surtout s’ils vivent ces questions comme des épreuves qu’ils échouent systématiquement.

Alternez les moments d’exploration émotionnelle avec des temps de simple présence sans attente. Acceptez les “je ne sais pas” sans insister. Le développement de la conscience émotionnelle est un processus long qui ne peut pas être forcé.

Les programmes DYNSEO comme outils de développement

COCO et la reconnaissance émotionnelle

Le programme COCO PENSE et COCO BOUGE pour les 5-10 ans inclut le jeu “Mime une émotion” qui travaille spécifiquement la reconnaissance émotionnelle. En mimant et en devinant des émotions de manière ludique, les enfants développent progressivement leur capacité à identifier les expressions émotionnelles chez les autres et, indirectement, chez eux-mêmes.

Les consignes audio adaptées de COCO prennent en compte les besoins spécifiques des enfants autistes, rendant l’expérience accessible et valorisante. Découvrir COCO

JOE et les fonctions cognitives

Pour les adolescents et adultes, le programme JOE renforce les fonctions cognitives impliquées dans la conscience émotionnelle : l’attention (porter attention à son vécu interne), la mémoire (se souvenir des situations et des émotions associées), et les fonctions exécutives (analyser et catégoriser les expériences émotionnelles).

Un entraînement quotidien de 10-15 minutes avec JOE peut contribuer à améliorer les capacités cognitives qui sous-tendent le développement de la conscience émotionnelle. Découvrir JOE

Les formations pour les parents

Comprendre l’alexithymie est essentiel pour accompagner efficacement votre adolescent. La formation “Gérer les émotions d’un adolescent autiste” aborde cette thématique et vous donne des outils concrets pour aider votre enfant à développer sa conscience émotionnelle tout en respectant ses particularités. Découvrir la formation

La formation “Autisme : Gérer les Situations Difficiles au Quotidien” vous aide à comprendre les comportements liés à des émotions non identifiées et à y répondre de manière appropriée. Découvrir la formation

L’accompagnement professionnel

Quand consulter ?

Si l’alexithymie de votre adolescent a un impact significatif sur sa vie quotidienne, ses relations ou son bien-être, un accompagnement professionnel peut être bénéfique. Des psychologues formés à l’autisme peuvent proposer des interventions ciblées sur le développement de la conscience émotionnelle.

L’ergothérapie et la psychomotricité peuvent travailler sur la dimension corporelle de l’alexithymie, en aidant à développer l’intéroception et la conscience des liens entre corps et émotions.

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