Une petite métaphore parfaite - IRIS

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Le 4 décembre, dans le magnifique siège de l’Institut américain pour la paix, à deux pas du célèbre Mall de Washington, Donald Trump a parrainé la signature « historique » d’un accord de paix final entre la République démocratique du Congo et la République du Rwanda. Les présidents des deux pays étaient présents pour signer le document, et plusieurs autres chefs d’État africains, la présidente de l’Union africaine, et des médiateurs des États du Golfe avaient fait le déplacement pour assister à la cérémonie. Cet accord, ainsi que les autres signés ce jour dans la capitale américaine, représentaient, selon le département d’État américain, un profond engagement à « mettre fin à des décennies de conflit, favoriser la coopération économique et jeter les bases d’une paix durable ». Une victoire pour la politique étrangère américaine.

Peut-être. Pourtant, à bien des égards, cet événement dans l’Institut américain pour la paix aujourd’hui dissout était la métaphore parfaite de tout ce qui est creux, intéressé et hypocrite dans la politique étrangère de Washington à l’ère de Donald Trump.

Pour commencer, on peut légitimement s’interroger sur les motivations de l’administration Trump dans l’accouchement de cet accord. S’il y avait sans doute des membres de la délégation américaine sincèrement engagés à mettre fin à des décennies de conflit dans la région, Trump lui-même semble, publiquement du moins, principalement pressé à ajouter le Congo à son dossier de candidature pour le prix Nobel de la paix. Dans son message sur les réseaux sociaux consacré à la signature d’un accord préliminaire en juin dernier, Trump a à peine mentionné l’accord lui-même – ou les centaines de milliers d’Africains profondément affectés par les hostilités – préférant se lancer dans une plainte acerbe sur le fait qu’il ne serait jamais reconnu pour tous ses efforts en faveur de la paix. « Non, je n’obtiendrai jamais un prix Nobel de la paix quoi que je fasse », s’est-il lamenté. Une explication plus plausible de l’intérêt américain pour la région réside dans la richesse de ses ressources minérales, et plus particulièrement dans les minerais rares. Au moment même où il signait l’accord de paix, le gouvernement de la RDC a également mis en place une commission conjointe avec les États-Unis visant à accroître l’accès américain à l’or et aux ressources minérales congolaises. Étant donné la fixation de Trump sur les terres rares et l’implication profonde de la Chine dans leur exploitation dans l’est du Congo, son nouvel intérêt pour ce conflit africain de longue date devient plus compréhensible.

En outre, il y a une certaine ironie à voir l’administration Trump se poser en championne de la médiation africaine alors que le président minimise ses relations avec l’Afrique et s’en prend à la diaspora africaine aux États-Unis. Deux jours seulement avant la cérémonie de signature, Trump avait lancé une attaque publique venimeuse contre les Somaliens vivant aux États-Unis, les qualifiant d’« ordures ». L’administration Trump a totalement ou partiellement interdit l’entrée sur le territoire américain à dix pays africains, les relations des États-Unis avec des dirigeants africains comme ceux d’Afrique du Sud ou du Nigeria se sont détériorées après des attaques verbales de Trump, et l’administration a laissé expirer l’initiative commerciale phare des États-Unis avec le continent, l’African Growth and Opportunity Act. L’Afrique n’obtient que trois maigres paragraphes sur la toute dernière page des 30 pages de la nouvelle stratégie de sécurité nationale de Trump.

Comme c’est si souvent le cas, l’administration Trump a commencé à chanter les louanges du président avant même que tout le travail difficile ne soit accompli. Le secrétaire d’État Marco Rubio n’y est certainement pas allé de main morte lors de la signature de l’accord préliminaire en juin. « Le président Trump est un président de paix. Il veut vraiment la paix. Il la priorise avant tout », s’était enthousiasmé Rubio. Malgré cette priorité accordée à l’harmonie, la paix n’a pourtant pas encore fleuri dans l’est du Congo. Le lendemain de la signature, de violents combats ont de nouveau éclaté entre groupes rebelles et forces gouvernementales. Le groupe rebelle AFC/M23, soutenu par le Rwanda, continue de tenir des territoires cruciaux au Nord et au Sud-Kivu, et des civils continuent de mourir dans les affrontements.

Il y a ensuite le lieu choisi pour la cérémonie. L’US Institute of Peace (USIP) est — ou plutôt était — un petit groupe de réflexion créé par le Congrès dans les années 1980 pour soutenir la résolution des conflits. Il produisait des analyses très respectées sur les questions de paix et de sécurité dans le monde, organisait des discussions entre experts, et menait de petites initiatives de consolidation de la paix dans des zones sensibles à travers le globe, y compris en Afrique. En février, Trump a signé un décret supprimant l’agence, bien qu’il reste peu clair qu’il en avait l’autorité, et le « Département de l’efficacité gouvernementale » d’Elon Musk a pris possession du bâtiment en mars, licenciant presque tout le personnel de l’Institut. Juste avant la cérémonie de signature, le bâtiment a été rebaptisé, bien sûr, « Institut Donald Trump pour la
paix ». Toutes les recherches internet sur les programmes et initiatives de l’USIP renvoient désormais au communiqué de presse sur la cérémonie.

Voilà. Au bout du compte, nous avons un accord de paix sponsorisé par Trump qui n’a pas encore apporté la paix, une grande initiative de paix africaine portée par une administration qui ne s’intéresse guère au continent autrement que pour ses richesses minérales, et une cérémonie dans une institution désormais estampillée Trump qui ne poursuit plus ni la paix ni quoi que ce soit d’autre. Quelle petite métaphore parfaite de la politique étrangère américaine de nos jours.


Retrouvez régulièrement les éditos de Jeff Hawkins, ancien diplomate américain, chercheur associé à l’IRIS, pour ses Carnets d’un vétéran du State Department.

Coordonnées
Déborah Yapi