Le temps d’enseignement perdu est devenu un sujet de débat public comme en témoigne, de façon croissante, la mobilisation de parents d’élèves auprès des établissements, des rectorats et dans les médias. Alors que le remplacement des enseignants a été érigé en politique prioritaire du Gouvernement en 2023, une part significative (9 %) des heures de cours obligatoires n’a pas été assurée dans les collèges publics en 2023-2024, un niveau légèrement en hausse par rapport à l’avant-crise sanitaire (2018-2019). Saisie par la Défenseure des droits, la Cour a analysé le temps d’enseignement perdu par les élèves au collège, dans les secteurs public et privé sous contrat, entre 2018 et 2025. La Cour identifie des contextes où le remplacement est un défi et souligne les risques d’iniquité pour les collégiens, en particulier les plus fragiles socialement. Afin d’assurer la continuité pédagogique sur tout le territoire, elle formule plusieurs recommandations pour mieux mesurer et piloter le temps d’enseignement perdu, mieux mobiliser le vivier d’enseignants, mieux prévenir les absences des enseignants et mieux informer les familles.
Dans quelle mesure l’organisation du système éducatif permet-elle de quantifier le temps d’enseignement perdu et d’en maîtriser les causes ?
Dans son rapport sur La gestion des absences des enseignants (2021), la Cour constatait que le ministère ne disposait pas d’une véritable stratégie, faute d’outils de pilotage robustes et de données permettant de suivre les absences de courte durée (inférieures à 15 jours). Depuis 2023, le ministère s’est organisé pour mieux les mesurer et mieux les remplacer, grâce à la mise en place du « Pacte enseignant ». Toutefois, si la quantification progresse, elle demeure lacunaire, les données de courte durée devant encore être fiabilisées et complétées pour le secteur privé sous contrat. Par ailleurs, une hausse des absences des enseignants pour raison de santé – constatée également pour l’ensemble des salariés – et la crise durable du recrutement ont accru les besoins de remplacement entre 2018 et 2025, limitant la portée des mesures engagées. Ainsi, malgré la hausse de 52 % des crédits consommés pour le remplacement depuis 2018, l’efficacité du remplacement de courte durée ne progresse que légèrement et celle du remplacement de longue durée se dégrade. Cela a conduit le ministère de l’éducation nationale à diffuser un nouveau plan pour le remplacement de longue durée en 2025. La Cour conclut que l’organisation actuelle ne permet pas encore de mesurer de manière exhaustive le temps d’enseignement perdu ni d’en maîtriser pleinement les causes, et formule en conséquence plusieurs recommandations, notamment concernant l’intégration du privé sous contrat dans les indicateurs, la fiabilisation de la saisie des données, le déploiement d’un outil national de pilotage du remplacement de longue durée et le renforcement de la prévention des risques psycho-sociaux.
Le temps d’enseignement perdu est-il une source d’inégalités territoriales et sociales ? Quelles sont les conséquences sur la réussite scolaire et l’orientation des collégiens ?
Le temps d’enseignement perdu varie selon les académies, les territoires et les types d’établissements. Dans certains territoires – zones rurales, zones urbaines tendues − il est plus difficile d’affecter et de remplacer. Les académies ne disposent pas toutes des mêmes moyens humains, financiers et informatiques pour y répondre. Il est à noter que les collèges de l’éducation prioritaire cumulent davantage d’heures perdues (11 % contre 8 % hors éducation prioritaire) ; les conditions et l’organisation du travail occasionnant plus d’absences, que ce soit pour raison de santé ou raison institutionnelle (plus de formation, de coordination, de suivi individualisé, de sorties pédagogiques, induits par les besoins des élèves…). Les effets sur la réussite scolaire et l’orientation demeurent difficiles à mesurer en l’absence de données fines au niveau des élèves. Néanmoins, la Cour a pu établir une corrélation entre le temps d’enseignement perdu et les résultats des élèves au diplôme national du brevet. Cependant, le temps d’enseignement perdu n’a qu’un léger impact sur les résultats des collégiens, bien moins fort que d’autres facteurs, comme leur position sociale et leur niveau scolaire à l’entrée en sixième.
Tous les leviers sont-ils bien actionnés pour limiter le temps d’enseignement perdu et assurer la continuité pédagogique ?
Malgré les efforts engagés depuis 2023 par l’ensemble des acteurs de l’éducation nationale
pour optimiser les affectations, renforcer les remplacements et réduire le temps d’enseignement perdu, la Cour constate que des marges de progrès subsistent. Si certaines actions menées au niveau
des collèges, des académies et du ministère permettent déjà de limiter une partie des absences institutionnelles (quand les professeurs participent à des formations, réunions pédagogiques, sorties scolaires…) et de faciliter le recours au remplacement, elles restent à poursuivre et amplifier pour garantir la continuité pédagogique. Les solutions numériques, conçues ou déployées depuis la crise Covid comme alternatives ou appui au remplacement en présentiel, demeurent inégalement utilisées, faute de promotion suffisante des outils ainsi que, parfois, d’équipements adéquats et d’assistants d’éducation disponibles. Par ailleurs, les difficultés persistantes de recrutement et les problématiques locales mettent en évidence les limites d’une gestion uniformisée des ressources humaines.
La Cour souligne que le contexte de transition démographique − qui se traduit par une baisse globale du nombre de collégiens contrastée selon les territoires − peut constituer une opportunité pour limiter le temps d’enseignement perdu. La Cour encourage à actionner l’ensemble des leviers pour réduire les absences institutionnelles et assurer la continuité pédagogique au quotidien. La réduction durable du temps d’enseignement perdu exige en outre des réformes structurelles portant notamment sur
l’annualisation des heures de service des enseignants, l’assouplissement de la gestion des ressources humaines et la diversification du vivier d’enseignants.
Pour Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes : « La question du temps perdu au collège préoccupe fortement et légitimement nos concitoyens, car elle est vectrice d’inégalités et met en question l’exercice du droit à l’éducation. Notre rapport est donc essentiel pour étayer le travail de la Défenseure des droits et des décideurs publics. La collaboration entre nos deux institutions contribue ainsi à alimenter le débat public ».
« Lorsque des heures de cours sont perdues au collège, l’effectivité du droit à l’éducation, garantie par les textes constitutionnels, n’est plus respectée. C’est pour documenter l’impact concret de ces heures manquantes et les inégalités qu’elles génèrent pour les jeunes que j’ai souhaité cette étude. L’Etat a une obligation de continuité du service public d’enseignement et chaque enfant doit pouvoir bénéficier d’un enseignement continu, effectif et égal, quel que soit son lieu de vie. Défendre l’effectivité de ces droits et alerter les pouvoirs publics est ma mission », souligne Claire Hédon, Défenseure des droits.