Retour sur le colloque triennal de la Société internationale pour l’Architecture et la Philosophie (IGAP) à l’École normale supérieure
Dans le prolongement des colloques organisés depuis 2012, la Société internationale pour l’architecture et la philosophie (IGAP) organise en décembre 2025 à Paris un colloque international sur le thème « Architecture, temporalité, historicité ».
Ce colloque a été organisé par :
Mildred GALLAND-SZYMKOWIAK (CNRS/ENS-PSL)
Théodore GUUINIC (ENSA Montpellier UPVM, LIFAM)
Petra LOHMANN (Universität Siegen)
Estelle THIBAULT (ENSA Paris-Belleville/IPRAUS)
Le temps de l’architecture
Conçue pour résister aux éléments, l’architecture s’ancre dans la durée, pour sculpter l’espace et le temps. Modelée par des facteurs matériels, sociaux, autant que politiques et climatiques, elle forme pour l’histoire et la philosophie un objet d’étude privilégié dont la complexité défie les cadres d’analyse des disciplines traditionnelles. Le croisement de multiples éclairages est ainsi nécessaire pour saisir l’ambivalence d’un objet qui, tout en se laissant façonner par son milieu singulier, est aussi apte à inventer et instaurer des lieux. Pourtant, derrière son apparente pérennité, elle reste soumise au passage du temps qui, en l’exposant à des perceptions et des usages changeants, lui assigne une position d’objet frontière, au croisement de diverses époques.
Les édifices et les villes s’inscrivent en effet dans une temporalité longue spécifique : nous utilisons quotidiennement des édifices produits par des mondes culturels qui n’existent plus. L’architecture est (relativement) pérenne alors que les mondes historiques se succèdent. Cela a en outre pour conséquence que les « mondes architecturaux » s’entrecroisent et se tissent les uns aux autres au lieu de simplement se succéder (pensons seulement au feuilleté des époques architecturales à Rome ou plus généralement aux questions de réemploi etc.). Si nous considérons que l’architecture est formatrice du monde humain, nous pouvons poser la question : qu’est-ce que vivre dans l’architecture produit sur la conscience que l’être humain a de sa propre temporalité ? de son appartenance à une histoire ? Pouvons-nous mesurer les
conséquences, pour la perception humaine du temps et l’auto-compréhension de l’être humain, mais aussi pour la réflexion historique, anthropologique, philosophique sur les êtres humains et les cultures, de la vie dans un monde architecturé ? Comment l’architecture contribue-t-elle à créer non pas seulement l’espace mais bien le temps humain ?
L’historicité de l’architecture
Tissées de contingences et de déterminations, les modalités selon lesquelles l’architecture se déploie dans l’histoire et s’en trouve en retour transformée soulèvent toute une série de questionnements touchant à son historicité. Loin de toute lecture téléologique, les enjeux de telles réflexions se présentent comme multiples et portent autant sur les logiques de l’intelligibilité de l’architecture, que sur son opérativité au cours de l’histoire, tout particulièrement aux époques moderne et contemporaine.
À partir du XIXe siècle, l’émergence d’une conscience de l’historicité de l’art de bâtir se confronte à l’idée de critères architecturaux universellement valables et cette tension reste sensible dans la philosophie de l’architecture et dans ses théories au cours du XXe siècle.
Parallèlement, l’accent mis sur la notion de style, les approches évolutionnistes de la construction, ou encore l’hypothèse selon laquelle l’espace architectural s’appréhende dans le temps ont complexifié l’analyse des relations entre architecture et temporalité. Divers changements de paradigme se sont en outre opérés ces dernières décennies, qu’il s’agisse d’envisager le développement historique des manières de bâtir et de concevoir l’espace, de considérer l’inscription des théories architecturales dans un contexte social, culturel et historiquement situé, ou encore de questionner la valeur mémorielle des monuments, mais aussi la durabilité des édifices et de leurs composants dans une époque de grande incertitude.
Les mutations contemporaines, tout particulièrement la conscience de la responsabilité de l’urbanisation quant aux bouleversements environnementaux et à l’épuisement des ressources, ont considérablement impacté l’architecture et ses modes de conception. Elle apparaît partagée entre la fuite en avant vers des i nnovations technologiques de plus en plus sophistiquées et le retour à des façons de construire et d’habiter plus sobres, voire archaïsantes. Les manières d’envisager le développement de la discipline architecturale, son rapport à son passé et à l’avenir s’en voient profondément modifiées. Un tel contexte impose ainsi de renverser certaines perspectives. Des courants importants de la pensée contemporaine, à l’image des théories postcoloniales et décoloniales, ou encore de la théorie critique et des philosophies
environnementales, questionnent profondément la discipline architecturale et sa définition anthropocentrée du temps.
Pour toutes ces raisons, il semble nécessaire de penser à nouveau frais les régimes d’historicité au sein desquels s’inscrit l’architecture au cours de son lent développement à travers les âges, jusqu’à aujourd’hui, et de prendre philosophiquement la mesure du rapport spécifique de l’architecture, comme pratique et comme savoir, au temps et à l’histoire.
La Société internationale pour l’architecture et la philosophie/Internationale Gesellschaft für Architektur und Philosophie, fondée en décembre 2010, regroupe des architectes, des théoriciens et des historiens de l’architecture, et des philosophes (site web). Les travaux de l’association sont consacrés aux interfaces, points d’intersections et échanges entre architecture et philosophie. Elle se comprend comme un lieu de discussion ouvert et veut favoriser le dialogue entre les cultures de ces deux disciplines, d’un point de vue théorique aussi bien qu’historique.