Commerce extérieur - Entretien de Nicolas Forissier, ministre délégué auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé du commerce extérieur et de l'attractivité, avec « Public Sénat » - Extraits (17.12.25)

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Q - Bonjour Nicolas Forissier.

R - Bonjour.

Q - Merci beaucoup d’être notre invité. Vous êtes ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l’attractivité. On est ensemble pendant 20 minutes pour une interview en partenariat avec la presse régionale, représentée par Fabrice Veysseyre-Redon du groupe Ebra, les journaux régionaux de l’Est de la France. Bonjour Fabrice.

Q - Bonjour Ariane. Bonjour Nicolas Forissier.

R - Bonjour.

[…]

Q - Et on le rappelle, vous êtes chargé du commerce extérieur. 750.000 bovins de plus vaccinés, c’est l’annonce hier. Quel impact sur les exportations ?

R - Quand ils sont vaccinés, normalement, ils ne peuvent plus, pendant un certain nombre de jours, avec des délais qui peuvent varier, être déplacés et être exportés. Donc la question, c’est comment on fait pour réduire au maximum, dans la discussion avec nos partenaires, les délais pendant lesquels ils ne sont pas exportables, le temps que la vaccination fasse son effet. C’est ce qu’on a obtenu en discutant avec nos amis italiens pour les troupeaux qui avaient été touchés en Savoie et en Haute-Savoie. Donc on peut trouver des solutions.

Q - Et ça marche avec l’Italie ? Je crois que l’accord est en vigueur depuis la semaine dernière.

R - Les conséquences, c’est ce que Annie Genevard, en l’occurrence, a pu négocier dans la foulée des mesures qui ont été mises en œuvre en Savoie et en Haute-Savoie. Vous savez que la propagation de la dermatose est totalement éradiquée et arrêtée. En ce moment, on est dans une période, en plus, où on exporte beaucoup, notamment les jeunes bovins mâles, pour aller être engraissés en Italie…

Q - Mais c’est pour ça. Du coup, est-ce que c’est un coup dur pour nos exportations que de multiplier la vaccination ?

R - … et l’objectif c’est effectivement de discuter avec nos partenaires, notamment l’Italie et l’Espagne, où vont 90% de nos exportations bovines en Europe, et pouvoir les rassurer sur les protocoles qui sont mis en œuvre en France, sur le fait qu’on maîtrise la situation, qu’aujourd’hui on a une situation qui est totalement stabilisée. Il faut qu’on termine le boulot si je puis dire, avec notamment cette vaccination.

Q - Est-ce que les bovins vaccinés vont pouvoir être exportés ?

R - Ils vont pouvoir l’être, mais avec des délais qui sont encore à négocier dans certaines situations.

Q - C’est-à-dire ? Là, le délai, il est de combien aujourd’hui ? Vous espérez le ramener à combien ?

R - Normalement, vous avez un délai qui peut être variable, mais qui fait que vous ne pouvez pas exporter vos bovins quand ils viennent d’être vaccinés.

Q - Donc vous travaillez pour réduire ce délai ?

R - On travaille pour réduire ce délai, parce qu’en réalité, il n’y a pas de raison que ça pose un problème.

Q - Autre sujet, c’est le Mercosur.

Q - Oui, absolument. Le Parlement européen a adopté hier des mesures de sauvegarde pour limiter l’impact de l’accord commercial avec le Mercosur. Donc on rappelle, c’est cet accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays d’Amérique du Sud. Est-ce que d’abord, ça rend cet accord plus acceptable ? Et je vais un petit peu plus loin. Paris a demandé carrément le report de l’application de cet accord. Qu’est-ce qu’il faut en attendre ?

R - La position de la France, elle est extrêmement claire. En l’état, l’accord tel qu’il a été arrêté, après un certain nombre d’étapes que je ne vais pas repasser en revue, en décembre dernier, en 2024, à Montevideo, il n’est en l’état pas acceptable pour la France, parce qu’un certain nombre de conditions ne sont pas remplies, des conditions que nous avons posées. La première des conditions, c’était cette clause de sauvegarde. Il y avait une deuxième condition qui était les mesures miroirs plus globales, qui ne concernent pas que le Mercosur, sur le fait, en gros, que quand on impose des normes à nos producteurs, il faut que les produits importés aient subi les mêmes normes. On ne peut pas avoir des produits importés qui n’aient pas les mêmes contraintes que les nôtres. C’est un principe que la France défend depuis des années et sur lequel, peu à peu, on avance, mais ça fait partie des conditions, en particulier, pour pouvoir accepter de notre part l’accord Mercosur. Et puis troisièmement, on l’a toujours dit, et moi je pense que c’est extrêmement important à titre personnel, pour des raisons y compris très pragmatiques, de connaissance du terrain, il faut que des contrôles soient vraiment mis en place avec une vraie force, des vrais moyens pour vérifier qu’on ne nous raconte pas d’histoires, y compris quand, dans un élevage d’un pays par ailleurs ami, mais il peut se passer beaucoup de choses…

Q - C’est possible, c’est faisable ça ?

R - Oui, bien sûr que c’est faisable. On le fait bien dans nos exploitations. Nos éleveurs, dont on parlait tout à l’heure, ils sont très régulièrement contrôlés. Donc il n’y a aucune raison, si on signe un accord, qu’il n’y ait pas des vérifications sur le bon respect des clauses de cet accord. Ce sont les trois grandes conditions françaises.

Q - Mais est-ce que là, le vote au Parlement d’hier, ça rend l’accord plus acceptable ou pas ?

R - Je vais y venir tout de suite. Clause de sauvegarde, mesures miroirs plus globales et contrôles renforcés. La clause de sauvegarde telle qu’elle a été adoptée hier, elle répond pour partie à la demande française. C’est déjà une avancée. La seule chose, c’est que nous, nous voulons qu’elle soit totalement opérationnelle, qu’elle soit réellement efficace. On va rentrer dans la technique, mais on a mis un certain nombre de conditions à tout ça. Par exemple, le fait qu’il y ait la possibilité de changer les codes douaniers pour contrôler l’évolution des importations du Mercosur ou l’évolution des prix de ces importations. Par exemple, sur l’aloyau, les pièces nobles du bœuf et pas simplement sur la carcasse globale. Donc ce genre de choses-là…

Q - Ça faisait effectivement partie des conditions de la France. Est-ce que ce matin, vous dites que l’accord Mercosur est du coup plus acceptable qu’il ne l’était, ou il reste toujours inacceptable ?

R - Non, les choses ont progressé, mais nous sommes encore dans l’attente de réponses précises.

Q - Donc vous le qualifiez toujours d’inacceptable.

R - En l’état, l’accord n’est pas, pour nous, acceptable. Je l’ai redit hier dans l’hémicycle du Sénat, très clairement. La position de la France est très claire. Le Président de la République se bat, je tiens à le dire, pour justement que nous soyons pris en compte et que, notamment, on se donne le temps d’avoir les réponses. C’est la position de la France aussi. Et quand Sébastien Lecornu demande dimanche dernier d’avoir un report d’un certain nombre de semaines, peut-être d’un mois, deux mois, ce n’est pas pour embêter nos amis de l’Union européenne, c’est parce qu’on a besoin d’avoir des réponses précises.

Q - Mais le temps tourne, c’est demain. Qu’est-ce qu’il a eu comme réponse sur le report du vote ?

R - Ça, je ne peux pas vous dire à ce moment-là, à ce moment précis, mais la France met la pression pour avoir des réponses précises et cela demande un peu de temps.

Q - Mais il n’a toujours aucune réponse sur le report du vote ?

R - Et nous avons un certain nombre de partenaires d’ailleurs qui sont sensibles à ces arguments. Je pense notamment à nos amis italiens, qui ont les mêmes problèmes que nous au regard de cet accord. Il ne s’agit pas de bloquer…

Q - Pardon Monsieur le Ministre, ils sont sensibles mais ils penchent de quel côté de la balance, les Italiens ? Est-ce qu’ils vont constituer une minorité de blocage avec vous ou est-ce qu’ils vont voter cet accord ?

R - La discussion européenne, elle n’est pas simple. Chaque pays a ses intérêts, sa propre analyse. Nous, nous faisons valoir la nôtre. Nous sommes extrêmement fermes. Nous avons déjà fait bouger les choses. Et je tiens à le dire, parce que j’entends parfois que la France est isolée, etc. Enfin, s’il y a la clause de sauvegarde, si elle commence à être de plus en plus précise, si la Commission, la semaine dernière, nous a donné un certain nombre de premières réponses, par exemple sur les moyens de contrôle, etc., c’est aussi parce que la France est mobilisée. Et on va continuer à le faire, parce que c’est l’intérêt de nos filières, et parce que c’est l’intérêt, moi je le dis comme ministre du commerce extérieur, d’avoir un accord qui soit, finalement, acceptable par tous, un bon compromis comme on le fait à l’Assemblée ou entre l’Assemblée et le Sénat au niveau national.

Q - Mais juste, est-ce que vous pensez encore être en capacité de réunir cette minorité de blocage ? Est-ce que la France peut encore empêcher l’accord du Mercosur ?

R - En l’état actuel, nous n’avons pas de minorité clairement définie, je le dis, c’est clair. Mais en même temps, nous sommes dans une démarche qui est une démarche très constructive, qui vise à se donner un peu plus de temps pour obtenir toutes les garanties nécessaires qui permettront de vraiment rassurer, pas simplement en paroles, mais en moyens, en actes, en procédures très concrètes, très opérationnelles, nos amis des filières agricoles qui peuvent être très inquiets d’éventuelles dérives qui viendraient les déstabiliser. Et je le dis tout de suite, parce que c’est important de le rappeler, qu’il faut aussi être positif. Moi, j’essaie d’être positif. Il y a des risques sur la viande bovine, sur le sucre, sur la volaille, sur l’éthanol. Ça, on le sait. Et donc, on met tout en œuvre, et c’est ce qui bloque pour l’instant la situation, pour que ces filières puissent avoir des garanties très opérationnelles pour être protégées si jamais il y a trop d’exports ou si les prix baissent trop. Mais je rappelle quand même que le lait et le fromage, les vins et spiritueux, l’industrie en général, les services, l’accès au marché public…

Q - Mais est-ce que vous n’êtes pas un peu tiraillé, en tant que ministre du commerce extérieur ? Il y a d’un côté les agriculteurs qui n’en veulent pas, mais d’un autre, est-ce que vous ne dites pas que le Mercosur, ce n’est quand même pas une mauvaise nouvelle pour notre balance commerciale ?

R - Mais moi, je pense que c’est une bonne nouvelle, tout accord de libre-échange, tout accord commercial signé entre l’Union européenne et donc la France, et un autre grand pays, une autre grande zone. C’est toujours une bonne nouvelle, sous réserve qu’il soit équilibré, sous réserve qu’il soit fair, comment on dit en anglais. Juste, sincère, qu’il n’y ait pas des loups qui soient dangereux pour certaines filières. Sous réserve, et c’est le cas du Mercosur, qu’on ne sacrifie pas une ou deux filières au profit des autres. Et c’est d’ailleurs ce que l’ensemble de la communauté économique, patronat, industriels, grands syndicats, agroalimentaire, etc., pensent. Il y a, de ce point de vue, une certaine cohésion française. Simplement, il faut que nous, on avance, et mon boulot, c’est de dire que nous sommes fermes, que nous ne sommes pas naïfs, parce que je pense que le commerce international, on ne doit plus être naïf, comme on l’a trop été pendant des années ; mais en même temps, il faut aussi être capable, honnêtement, de reconnaître que c’est important. Et moi, les producteurs de vins et de spiritueux, ils n’attendent qu’une chose, c’est que le Mercosur puisse être là pour diversifier leurs débouchés, parce qu’ils ont plus de difficultés en Chine ou aux États-Unis.

Q - Nous sommes en pleine crise agricole, vous l’avez dit. Sociale aussi, pas que sur le plan de la santé. Si le report de la France, si ce qui est demandé par la France n’aboutit pas, qu’est-ce qu’on fait avec ces paysans ? Qu’est-ce que vous répondez à ces paysans ?

R - Je vais vous dire très concrètement. Si ça n’aboutit pas au niveau où nous le demandons, je veux quand même dire que nous aurons déjà obtenu beaucoup de garanties, y compris avec la première version de la clause de sauvegarde, y compris celle qui a été révisée et augmentée, rendue plus concrète ces derniers jours. On a déjà un acquis de protection. Nous, ce qu’on veut, c’est la position de la France, c’est d’aller le plus loin possible. Et ce n’est pas simplement la clause de sauvegarde, je le rappelle, mais ce sont des engagements précis sur les mesures miroirs, c’est-à-dire les normes phytosanitaires, sanitaires, par exemple, qu’on impose aux éleveurs ou aux producteurs de céréales d’autres pays, elles doivent s’appliquer à ces pays s’ils veulent rentrer chez nous, parce que chez nous, c’est comme ça.

Q - Mais quel recours si vous n’arrivez pas à obtenir la minorité de blocage ? Est-ce que, par exemple, vous allez saisir la Cour de justice de l’Union européenne pour faire barrage au Mercosur, comme vous l’a demandé le Sénat hier ? Il a voté à la quasi-unanimité.

R - En l’état actuel, c’est ce que j’ai dit aux sénateurs hier, le fait de saisir la Cour de justice européenne sur ce texte n’aurait aucun effet, ne changerait rien au processus de majorité qualifiée ou non au sein du Conseil européen. Donc, moi, je pense que plutôt que de saisir la Cour de justice, qui pourrait avoir des conséquences, y compris sur la position de la France, la façon dont la France est considérée, y compris dans de futures négociations avec d’autres pays, nous préférons, et c’est ce que j’ai rappelé, nous battre pour avoir toutes les garanties nécessaires en matière de mesures miroirs, de contrôle, évidemment, pour améliorer la clause de sauvegarde.

Q - Nicolas Forissier, on va parler des voitures électriques. Autre annonce hier de l’Union européenne.

Q - Oui, absolument. Au niveau européen, la Commission européenne a décidé hier de revenir sur l’interdiction de la vente de voitures neuves thermiques ou hybrides à partir de 2035. Est-ce que cette décision, vous la voyez, vous, comme une victoire pour notre industrie automobile, ou comme un échec de notre transition énergétique ?

R - Non, je pense qu’il y a une évolution qu’il faut saluer parce qu’il y a plus de souplesse, on a plus de temps. Ça correspond, cette réponse, à des inquiétudes profondes de l’industrie automobile en général, pas simplement allemande mais aussi française. Donc la position de la France qui demande depuis le début, sans se dédire sur l’objectif de transition, je le précise, sans renoncer à l’objectif des véhicules électriques, mais qui demande d’être pragmatiques et de se donner le temps pour permettre notamment aux industriels de faire eux-mêmes leur propre transition industrielle, leur évolution, sans être submergés par la concurrence, notamment chinoise, parce que c’est ça le sujet. Cette demande de souplesse, de délai, de pragmatisme, elle a été entendue et donc la France s’en félicite. Mais on ne renonce pas pour autant à ce qui constitue quand même, au fond, une obligation qui a été communément admise par tous de la transition énergétique à terme.

Q - Mais quelles conséquences de cette décision pour notre industrie, pour notre industrie automobile ?

R - Écoutez, moi, je veux d’abord voir le texte très précisément pour pouvoir en parler, parce qu’on a eu ça hier soir, très tard. Mais simplement, ce qui est clair, c’est que tout ce qui est souplesse, tout ce qui est pris en compte des nécessités, des contraintes de la transition de nos industriels, tout ça va dans le bon sens. Et c’est, je crois, ce qu’on peut dire, tout de suite. Après, la question, c’est aussi quelles sont les conditions du commerce entre notamment la Chine et les constructeurs européens, ou américains d’ailleurs ? C’est pour cette raison, et la France avait joué un rôle très important là aussi pour l’obtenir, que nous avions rétabli, il y a deux ans, des droits compensatoires qui rééquilibraient par rapport au prix de vente des véhicules chinois. Ça a eu des conséquences sur d’autres filières, c’est un peu la guerre, on a bien compris, mais il était essentiel que les véhicules chinois, qui sont largement subventionnés, en réalité, par l’argent public, soient vendus à un prix, avec ces droits supplémentaires, qui soit à peu près concurrentiel avec le coût de revient et le prix de vente français.

Q - Et on met les moyens suffisants pour lutter contre cette concurrence chinoise ?

R - On fait tout ce qu’on peut pour être dans le débat. Ce n’est pas facile. Vous avez des sujets très précis qui ne sont pour l’instant pas résolus. Je pense notamment au fait que les Chinois produisent et raffinent pratiquement 90% des terres rares et un certain nombre de métaux critiques. Donc ils nous tiennent, si je puis dire. D’où la nécessité…

Q - Comment on peut sécuriser ces filières ?

R - Je n’étais, pas plus tard qu’hier, avec mon collègue Sébastien Martin, ministre de l’industrie, dans une réunion avec les filières industrielles, précisément pour mobiliser tout le monde, pour trouver les voies et moyens qui nous permettent de développer nos propres filières.

Q - Elles ont les solutions ?

R - On a des solutions si on s’en donne les moyens et s’il y a une volonté. Ça passe notamment par le fait que les entreprises européennes achètent les terres rares qui sont produites ou raffinées par nos groupes. Mais on a aussi des solutions industrielles à mettre en place en face, avec l’accompagnement de l’État, des projets qui nous permettront d’être beaucoup plus autonomes. Il faut, à la fois, savoir extraire et raffiner ce que nous avons dans nos propres sols. Il faut savoir recycler, parce que ça c’est très important, pour éviter que des métaux issus de terres rares qui ont déjà été utilisés repartent à l’étranger ; il faut les garder et les recycler chez nous. Et enfin, tro

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