Flora Artzner est une femme multi-casquettes : championne de wingfoil, ingénieure et désormais éco-aventurière du mouvement Sport Planète. Ecolosport s’est entretenu avec elle.
Il y a des discussions qui nous redonnent de l’espoir, avec des athlètes qui nous apportent énergie et optimisme sur le degré de maturité du sport face aux enjeux climatiques. Notre riche interview avec Flora Artzner, championne du monde de wingfoil en 2022, éco-aventurière et ingérieure, en fait partie. Inspirante, sincère et rayonnante, la sportive veut contribuer à rendre le sport plus durable, et plus juste aussi.
Ecolosport : Flora Artzner, l’année dernière, vous avez décidé de ne pas remettre en jeu votre titre de Championne du Monde de wingfoil. Pourquoi ?
Flora Artzner : Je vais être cash, on me pose beaucoup cette question et je ne l’aime pas du tout (rires). J’ai toujours l’impression qu’on en attend une réponse simpliste du genre : “j’ai arrêté de prendre l’avion parce que je sais que ce n’est pas bien et donc j’ai refusé de remettre mon titre en jeu”. C’est beaucoup plus subtil que ça. Souvent, j’ai l’impression que pour des raisons médiatiques, on a tendance à simplifier parce que le lecteur ne prend plus le temps de lire et je ne me retrouve pas toujours dans la réponse qui est faite.
Quelle est-elle, alors ?
Flora Artzner : Ma réponse, c’est que je me suis retrouvé en début d’année avec un nombre d’étapes bien plus important que l’année précédente, cela nécessitait de prendre beaucoup plus l’avion, ce qui m’a mis très mal à l’aise. Je ne me sentais pas en cohérence entre mes valeurs et ce qui m’attendait… Je me suis demandé comment j’allais faire pour porter un discours sur l’environnement et avoir un mode de vie si différent et j’ai donc décidé de ne pas remettre mon titre en jeu, et de participer à quelques étapes seulement, parce que j’y étais obligé vis-à-vis de mon sponsor, qui me fait vivre. Il a compris cette difficile décision. J’ai tout de même dû prendre l’avion pour faire quelques étapes, parce que si on ne va pas chercher des titres, on n’est pas connu. Kilian Jornet a la voix qu’il a aujourd’hui parce qu’il a gagné, en prenant l’avion. Si on dit qu’on arrête de le prendre en début de carrière, ça fera le buzz 2 minutes, mais ensuite ça va retomber et plus personne ne s’intéressera à vous. C’est assez insidieux.
La mobilisation des sportifs et des sportives semblent en effet assez difficiles…
Flora Artzner : Les sportifs sont héroïsés et leur voix est plus forte que les scientifiques. Si on a cette sensibilité environnementale, il faut prendre la parole mais la question de la légitimité se pose naturellement. Chaque sportif fait ses choix en fonction de sa sensibilité et de sa carrière. Peu importe la décision, je trouve ça respectable. À titre personnel, je pense que chacun peut avoir une tolérance par rapport à leur mode de vie.
Selon moi, nous sommes aussi dans une culture franco-française où l’on attend des sportifs qu’ils ramènent uniquement des médailles, sans prendre la parole parce qu’ils ne seraient pas à leur place. C’est très français, pas du tout quelque chose de global. Si nous avons aujourd’hui des Jeux olympiques paritaires, c’est parce qu’il y a eu de nombres prises de position de sportives par le passé. Au niveau international, il y a certaines cultures – anglosaxones notamment – où il est tout à fait normal de voir des sportifs s’engager, notamment en politique. Ils sont même accompagnés par des conseillers.
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En plus d’être une sportive de haut-niveau, vous avez aussi une formation d’ingénieure et vous avez travaillé à la protection des milieux marins…
Flora Artzner : En effet, j’ai fait des études dans l’environnement pendant 5 ans et j’ai travaillé dans des centres de recherche, des réserves naturelles et des organismes pendant presque 7 ans. J’ai cette sensibilité et je continue à suivre ce qui se passe dans ce milieu, à suivre les publications et les derniers rapports, et je vois à quel point on va dans le mur. J’ai fait le choix de mettre ma carrière professionnelle sur pause pour me concentrer sur ma carrière sportive.
À travers cette expérience, j’ai découvert à quel point le sport de haut-niveau pouvait être extrêmement suivi et médiatisé, à quel point les questions environnementales pouvaient être peu considérées au regard de ce qui doit être fait pour ne pas atteindre les +3,5°C, et à quel point le sport pouvait être le miroir des stéréotypes de notre société. Être dans le sport de haut-niveau m’a permis de me questionner sur la place de la femme, sur les privilèges, sur l’homosexualité… Les stéréotypes de notre société sont extrapolés dans le sport. Quand je suis arrivé sur le circuit, je gagnais 80% de moins que mes homologues masculins, il faut se battre, le sujet est complexe. Nous étions peu filmées, sauf si nous étions en maillot de bain, il y a une sexualisation du corps, même si ça évolue – parce que nous nous mobilisons. Je préfèrerais clairement me concentrer sur ma performance, ça ne devrait pas être mon rôle…
Vous parliez du nombre d’étapes qui augmente sur le circuit de wingfoil. Vous êtes parfois critique envers votre sport et notamment son organisation…
Flora Artzner : En 2023, le wingfoil se portait super bien, les marques vendaient beaucoup, donc ça s’est développé. Entre temps, ça s’est cassé la figure, et aujourd’hui les marques vendent moins et le nombre d’étapes du tour est remis en question. Cela démontre que ça fluctue et que le nombre d’étapes est dépendant du business. L’économie dirige le développement de ce sport, pas l’environnement. Les organisateurs font comme ils peuvent, avec une certaine pression économique, je ne veux pas les pointer du doigt. Je souhaiterais que les enjeux environnementaux soient davantage considérés dans les compétitions sportives de haut-niveau, mais je ne connais pas de sport qui le fait véritablement. Je préfère prendre un peu de recul et parler du sport de haut-niveau en général, pas que du wingfoil.
Comment peut-il être moins impactant ?
Flora Artzner : Nous avons des scientifiques et des ingénieurs qui proposent un certain nombre d’innovations, d’inventions, de nouvelles technologies et qui vont être très suivis par des investisseurs. Mais ces mêmes investisseurs ne suivent pas d’autres scientifiques qui expliquent qu’il faut faire attention et qu’il faut prendre des mesures radicales pour ne pas atteindre les +3,5°C, qui auraient des conséquences désastreuses. Ils ne sont pas écoutés, ce n’est pas cohérent. Comment peut-on pratiquer du sport à +3,5°C ? Je parle ici de la température mais il y a bien d’autres sujets. Le wingfoil est par exemple un sport outdoor météo-dépendant, qui se pratique sur l’eau avec des conditions de vent et de vagues. Si l’on ne regarde qu’à travers ce prisme – même si c’est réducteur -, bien évidemment que ce sport va être impacté, comme tous les autres, par le changement climatique et la perte de biodiversité. Si les températures augmentent, les conditions de vent ne seront plus les mêmes, l’eau sera davantage polluée quand il y aura des épisodes pluvieux et donc la santé peut en pâtir, les algues et espèces envahissantes se développeront et la navigation sera plus difficile…
On s’est construit ces dernières années autour d’un modèle lié aux compétitions internationales, avec à travers ça, la performance et la magie que procure le sport – et on en a besoin ! Sauf que nous devons réfléchir à nous évader sans impacter négativement l’environnement dans lequel on évolue. Pour rendre cela possible, il faut des prises de décision politiques courageuses.
Et de votre côté, comment agissez-vous en tant que sportive ?
Flora Artzner : À titre personnel, le fait de savoir vers où et quoi on se dirige d’un point de vue environnemental, c’est assez anxiogène. Face à ça, soit on déprime, soit on agit. Parmi les actions possibles, il y en a qui font du bien, j’en vois trois. La première a été de créer un événement sportif engagé, qui s’appelle la Roca Cup. Il m’a demandé beaucoup de travail et d’énergie mais il m’a apporté beaucoup de joie et d’émulation, car il me met en mouvement, il met en musique mes valeurs et mes idéaux. La deuxième action a été d’aller vers du collectif. Je m’engage auprès d’associations, dont je suis ambassadrice. Je leur donne mon nom et mon image. C’est porteur de faire partie de ce mouvement associatif. On a aussi essayé, pour la première fois, de se réunir entre athlètes engagés. Il y en a plein qui se bougent, l’idée était de sortir de l’entre-soi de notre sport, de s’entraider, de discuter, de se montrer que nous n’étions pas seuls.
Et depuis le début de l’année, nouvelle corde à votre arc : vous êtes aussi une éco-aventurière, soutenue par le mouvement Sport Planète de MAIF. Qu’est-ce qui vous a poussé vers ces éco-aventures et pour quelles raisons avez-vous voulu faire partie de cette équipe Sport Planète ?
Flora Artzner : C’est la troisième action, plus personnelle : l’éco-aventure en fait partie. L’objectif est de prendre un temps pour montrer que nous n’avons pas besoin de partir à l’autre bout du monde pour vivre des aventures fortes, à contretemps du sport de haut-niveau, où l’on court après les avions pour faire des compétitions, où l’on est sensé véhiculer ce mode de vie et cet imaginaire hyper malsains, dont les réseaux sociaux font partie, et dans lequel si tu n’as pas été à Bali pendant tes 2 semaines de vacances, tu as raté ta vie… Nous avons la chance de vivre dans un pays incroyable, nous avons une chance folle. Mais la réalité nous rattrape : il est moins cher d’aller au Maroc en avion que de prendre son vélo dans le train pour traverser la France – on en revient aux décisions politiques !
J’ai donc voulu essayer de vivre une micro-aventure à côté de chez moi, par des moyens peu émetteurs en CO2. L’idée est d’aller à la rencontre des acteurs locaux, car ce qui m’anime, c’est l’humain, les rencontres. Je suis donc allé dans le sud de la Corse, à la voile. Ce n’est malheureusement absolument pas un moyen de transport accessible aujourd’hui. Je le savais mais c’était particulièrement flagrant. Le transport à la voile, de personnes ou de marchandises, est peu soutenu. Il faut imaginer un monde où il l’est pour permettre aux Corses et aux continentaux de se faire un petit kiff. Traverser à la voile, c’est hyper fort, c’est une vraie aventure : on voit des dauphins, des levers et couchers de soleil fous. Une fois sur place, je me suis déplacé en vélo-cariole avec le matériel de wing foil, sans piste cyclable. C’était difficile. J’ai pu visiter la réserve naturelle des Bouches de Bonifacio aussi, et rencontrer plein d’acteurs locaux passionnants, qu’il faut soutenir !
Le mouvement Sport Planète m’a permis d’avoir l’impulsion pour ce projet, que j’avais envie de faire depuis longtemps. Il y a une équipe derrière, nous sommes 5 éco-aventuriers, nous nous sommes rencontrés, nous échangeons régulièrement. Nous allons vivre une éco-aventure commune dans les Vosges, d’ailleurs, en octobre. C’est très enrichissant car nous avons des profils différents. Puis il y a toujours la question complexe du sponsoring, dans le sport. Avoir la MAIF, entreprise militante et engagée sur les sujets environnementaux et sociaux, à mes côtés me rassure. Je suis heureuse de les mettre en avant, là où je me serais posé des questions si ça avait été une autre assurance…
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Cette première éco-aventure va donc en appeler d’autres ?
Flora Artzner : J’ai envie de continuer cette démarche. C’était enrichissant de toutes parts. J’ai vraiment pris le temps de valoriser les initiatives locales et d’utiliser ma médiatisation et mon image pour les mettre en avant. C’est aussi plaisant de faire découvrir le wingfoil. Après, je ne suis pas en train de dire aux gens : “demain, il faut que nous fassions tous ça”, car la société n’est pas encore prête pour tous ces changements. Il faut du temps, de l’argent, de la logistique. Je veux juste, à ma petite échelle, contribuer à pousser certains messages : il faut plus de pistes cyclables, il faut que ce soit plus facile et moins cher de mettre un vélo dans un train, il faut qu’on rende accessible le voyage à la voile, etc. Prenons le temps de découvrir les associations environnementales locales, les parcs et les réserves naturelles !