La résilience n’est pas la robustesse. - Rumeur Publique

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La résilience est un concept en vogue. La Commission européenne ne vient-elle pas, le 27 mars dernier, de recommander à tous ses citoyens, de préparer un sac de résilience pour tenir 72 heures en autonomie en cas de crise ? Pas un sac d’urgence, ni de survie, non, un sac de résilience, un concept beaucoup moins alarmant.

Si l’on recherche dans Google trends résilience sur les 20 dernières années, on voit très peu d’occurrences, jusqu’à un premier pic très marqué en mars 2020, correspondant au début de confinement dû à la Covid 19. Puis un second pic, en février 2022, qui lui, coïncide avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Un mot peu à propos

Il fallait en effet se montrer résilient. Mais est-ce le bon terme en fait ? La résilience, en français, est avant tout une propriété physique, celle d’un matériau capable de reprendre sa forme initiale après un choc thermique ou une déformation mécanique. C’est aussi un terme de psychologie désignant la capacité d’une personne à surmonter un choc traumatique. Ce sont les deux seules définitions données par le dictionnaire de l’académie française qui devrait peut-être intégrer une troisième acception donnée par le Petit Robert : en écologie, la résilience est la capacité d’un écosystème à retrouver un état d’équilibre après un évènement exceptionnel. Toujours ce retour à l’état initial. Car résilience vient du latin resiliens, participe présent de resilire, « sauter en arrière, se retirer ». Or est-ce de cela dont on parle précisément, revenir à son état d’équilibre quand on parle de résilience ?

Mieux vaut robuste que résilient

On parle d’une Europe résiliente, d’entreprises résilientes, n’entendrait on pas plutôt des organisations robustes, solides, résistantes, capables de relever tous les défis présents. Il n’est pas question de revenir à un état d’équilibre existant mais d’en trouver un nouveau, de s’adapter. D’autant plus que pour les entreprises, on ne parle que de transformation, de transition, digitale, énergétique ou encore écologique. Juxtaposer résilience et transformation est un peu antinomique et pourrait engendrer de la dissonance cognitive. C’est-à-dire une tension entre ce que l’on est censé faire et ce que l’on sait, ce que l’on croit. Et que dire des différentes révolutions que nous devons traverser, la dernière en date étant celle de l’IA. Une révolution est d’abord une rotation complète autour d’un axe, soit un retour au point de départ. Par extension, c’est un changement radical et profond du cours des choses humaines. Alors peut-on mener la révolution de l’IA pour devenir plus résilient ? Il y a comme une incohérence sémantique dans cette injonction. « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », affirmait Albert Camus, commentant les travaux du philosophe Brice Parain sur le langage. Sans être aussi dramatique, utilisons mieux les mots pour arriver à nos fins en définissant justement nos objectifs. Mieux vaut une sémantique robuste qu’un vocabulaire résilient, un kit de survie, plutôt qu’un sac de résilience. Et précisons que la vraie citation de Camus était « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », mais j’ai choisi l’une des dix variantes recensées par la philologue Michaela Heinz, qui servait mieux mon propos.

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