Entre câlins et chagrins, ces mères et pères SOS deviennent des personnes-ressources pour les enfants. Derrière des parcours de vie différents, ils partagent une même mission : offrir à chaque enfant de la stabilité et des repères pour bien grandir.
Avant de devenir éducatrice familiale au village de Jarville-la-Malgrange en 2007, Dominique Courteaux, 61 ans, avait déjà passé deux décennies aux côtés des enfants, comme éducatrice sportive. C’est, poussée par l’envie de « faire autre chose pour les enfants » qu’elle a découvert SOS Villages d’Enfants. « À l’époque, j’ignorais ce qu’était l’aide sociale à l’enfance, mais comme entraîneure, j’avais croisé des mamans qui m’avouaient subir des violences et des enfants enfermés chez eux parce qu’un père refusait qu’ils viennent jouer… Rejoindre la fondation, c’était ma part pour améliorer les choses. »
Raynald Monfourny, 47 ans, ne connaissait pas non plus SOS Villages d’Enfants avant de postuler. Aujourd’hui, éducateur familial au village de Calais, il travaille à l’espace de transition, une maison qui prépare les 16-18 ans à l’autonomie. C’est le Covid-19 qui a conduit celui qui était alors animateur en club de vacances à croiser la route de la fondation. Privé d’activité pendant les confinements, il était tombé sur une campagne de recrutement en ligne dont une phrase l’avait interpellé : « Donner un nouveau sens à votre vie professionnelle en aidant les enfants confiés. » Il y a vu l’opportunité de passer de l’animation de loisirs à une « mission de vie ». Son parcours marqué par 21 ans d’animation, puis au service des classes transplantées, l’avait familiarisé avec l’univers des jeunes de tous milieux sociaux. « Je suis quelqu’un de très bienveillant. Cette offre d’emploi était l’occasion de passer à quelque chose de plus engageant. J’ai refait mon CV le soir même ! »
Le chemin a été plus long pour Josiane Marteau. Aujourd’hui retraitée, elle a intégré le village de Marange-Silvange en 2011, après 19 années comme assistante maternelle. « J’étais tombée sur un reportage à la télévision et je m’étais imaginée mère SOS, se souvient-elle. Mais à l’époque, j’avais mes propres enfants à charge. » Bien plus tard, quand sa benjamine avait 18 ans, elle découvre dans le journal local que SOS Villages d’Enfants recrute. « Depuis le temps que tu nous en parles : lance-toi !, m’ont dit mon époux et mes enfants. » Malgré son expérience auprès des enfants, la nouvelle éducatrice familiale, qui avait eu une enfance remplie d’amour, se demandait si elle allait « savoir trouver les bons mots, les bons gestes » pour ces enfants qui avaient tant besoin d’affection.
Pour aider les éducateurs familiaux dans leur prise de poste, SOS Villages d’Enfants les forme dès leur arrivée, puis tout au long de leur engagement (voir encadré). En amont de son recrutement, Josiane a suivi deux stages d’une semaine aux villages de Jarville-la-Malgrange et Marange-Silvange. « Des temps d’immersion très utiles pour se rendre compte de ce que sera notre quotidien », analyse-t-elle.
Raynald Monfourny, quant à lui, a intégré son poste d’éducateur familial après une première expérience au sein de la fondation en tant qu’aide familial. « J’ai bénéficié d’une période d’immersion de plusieurs jours qui m’a permis de mieux comprendre la posture à adopter, la place que l’on doit prendre vis-à-vis des jeunes », raconte Raynald Monfourny. L’éducateur familial mentionne également le rôle essentiel du tutorat assuré par ses chefs de service et les nombreux échanges avec les autres membres du village de Calais, notamment la psychologue. « Ils ont été mes mentors », sourit-il.
Préparés, épaulés, encadrés… les mères et pères SOS le sont assurément. Mais les premiers mois d’activité restent intenses et parfois déstabilisants. À Jarville-la-Malgrange, Dominique Courteaux se souvient qu’elle a dû dès l’arrivée des enfants dans sa maison adapter sa manière de faire avec chacun d’entre eux. Tout s’est très bien passé avec les trois premiers enfants qu’elle a accueillis, mais il a fallut plus de temps d’adaptation à la seconde fratrie qui avait beaucoup moins de repères. « J’ai en mémoire le premier soir à table : ils ne mangeaient qu’avec leurs doigt et éparpillaient la nourriture un peu partout.» L’éducatrice familiale a dû les accompagner en douceur vers un quotidien plus structuré et plus sécurisant. « Et puis ils manifestaient souvent des inquiétudes et des peurs. Ils étaient notamment terrorisés par la fenêtre du salon… », raconte la mère SOS. Pouvoir les rassurer était donc un des premiers leviers importants à mettre en place. « Peu après mon arrivée au village, j’ai accueilli une petite fille de 2 ans qui pleurait sans relâche chaque nuit. Au mieux, elle s’endormait d’épuisement vers 5 heures du matin. Une nuit, à bout de fatigue, je me suis allongée sur mon lit en la serrant dans mes bras. Elle s’est immédiatement calmée, ses pleurs se sont arrêtés net. La psychologue du village m’a expliqué que cette enfant recherchait inconsciemment le contact peau à peau qui lui avait sans doute fait défaut. Il me fallait la prendre en charge comme un nourrisson. Progressivement, la situation s’est améliorée, mais jusqu’à ses 8 ans, elle avait besoin que je reste au bord de son lit pour qu’elle parvienne à s’endormir. »
Chaque enfant arrive avec son histoire, ses blessures parfois invisibles et ses besoins singuliers. La richesse et la complexité du métier d’éducateur familial résident dans la capacité à identifier ces besoins et à offrir à chacun une réponse adaptée.
CRÉER DES LIENS
Dès l’arrivée des enfants au village SOS, les éducateurs et éducatrices familiaux œuvrent pour qu’ils se sentent en confiance. « Pour cela, nous les associons à chaque décision : la décoration de la maison, le choix des vêtements, des sorties…» détaille Dominique Courteaux. C’est un métier qui exige beaucoup d’écoute, des trésors de patience, et surtout il faut s’autoriser à aimer ces enfants et ne pas se protéger de l’amour qu’ils nous manifestent. »
« Il faut qu’ils réalisent qu’ils comptent pour quelqu’un », explique Josiane Marteau. Pour cela, la mère SOS a rapidement posé un cadre de vie à la fois bienveillant et ferme. « Avoir toujours les mêmes horaires pour le coucher, le lever, les repas – que nous prenions impérativement tous ensemble, cela les rassure », explique-t-elle. Si elle n’a pas multiplié les rituels, Josiane passait chaque soir dire bonne nuit aux enfants dans leur chambre. « Même aux plus grands, précise-t-elle. Ce sont de toutes petites choses, mais elles sont essentielles. »
À son arrivée, Raynald Monfourny s’est retrouvé confronté à un défi d’un autre ordre. Nouer une relation avec des adolescents qu’il ne connaissait pas, dont le parcours avait parfois été marqué par des ruptures ou des blessures profondes, n’avait rien d’évident. « Je savais, en prenant ce poste, que les aider allait prendre du temps », raconte le père SOS. Il a beaucoup parlé, beaucoup écouté et a multiplié les sorties (cinéma, restaurant, bowling, randonnée ) pour créer de la confiance et une solidarité de groupe. « Ma récompense, c’est quand un jeune commence à parler, à sourire », complète-t-il. Une confiance qui n’exclut pas les crises. « Un jour, tel jeune est adorable et le lendemain, il peut avoir des mots blessants. Mais ce n’est jamais vraiment à nous que ces griefs s’adressent. Souvent, c’est même le signe qu’il a trouvé la personne avec qui il ose enfin lâcher ce qu’il a sur le cœur. Il faut savoir ne pas entrer dans la spirale d’un conflit qui serait délétère pour tous. »
LA FORCE DES LIENS
Pour les grands comme pour les plus petits, les liens affectifs qui se tissent avec leurs accueillants sont le socle sur lequel les enfants peuvent s’appuyer pour apaiser leurs angoisses, puis s’épanouir.
Dominique Courteaux se souvient que les plus jeunes enfants qu’elle a accueillis, âgés respectivement de 2 et 4 ans, présentaient un grand retard de langage. « Lorsque la plus petite a commencé à s’exprimer, elle m’a appelée Maman ; les plus grands, eux, m’appelaient Dom’. » Les premiers mois de vie de la petite avaient été très difficiles, mais avec l’aide de la psychologue du village, une solution a été trouvée. « Dire Maman, c’était, pour elle, s’autoriser à vivre et à croire en quelque chose. Cela n’avait rien d’anodin et nous souhaitions éviter les confusions. Nous l’avons donc invitée à m’appeler “Maman Dom“. Un surnom un peu doudou et rassurant, que même les enfants plus âgés ont adopté pendant de nombreuses années. »
Josiane Marteau, elle, sourit en se remémorant la réflexion du plus grand des enfants de la fratrie qu’elle accueillait. « Toi, tu n’as pas de travail ! », lui lança-t-il un jour. Josiane lui expliqua qu’elle était salariée de SOS Villages d’Enfants. Intrigué, l’enfant rétorqua : « Mais… pourtant tu nous aimes ? » « Il avait du mal à comprendre ça, commente la mère SOS. Mais c’est exactement ce que je cherchais en postulant : du professionnalisme qui encourage l’affection quand elle est utile aux enfants. » Très naturellement, Josiane a créé des ponts entre les enfants qu’elle a accompagnés et sa propre famille. Ils ont partagé les vacances, les Noëls, les anniversaires, et même un moment unique : le mariage de sa fille aînée.
Cette proximité, Raynald Monfourny l’expérimente lui aussi avec les ados de l’espace de transition. Beaucoup l’appellent d’ailleurs affectueusement « le Daron ». « Même s’ils n’ont plus besoin du même type d’affection que les plus jeunes, quand un jeune de 15 ans a envie qu’on vienne lui dire bonne nuit dans sa chambre ou qu’il a besoin d’entendre “je t’aime”, je réponds présent. À cet âge, on se construit, avoir auprès de soi quelqu’un de confiance, c’est important. »
DES LIENS QUI DURENT
Créer des liens, aussi forts soient-ils, n’empêche pas les périodes de tension. Marine, 28 ans, aujourd’hui animatrice dans une école maternelle, l’a vécu. Confiée à l’ASE dès sa naissance, elle a rejoint le village d’enfants SOS de Châteaudun en 2003 avec deux de ses frères. « Enfants, on ne s’était jamais occupé de nous, explique la jeune femme. Nous vivions dans des conditions insalubres, livrés à nous-mêmes… »
Elle noua très vite une belle relation avec Florence, son éducatrice familiale. « Ce n’est pas pour lui lancer des fleurs, mais je lui dois tout. Elle m’a transmis ses valeurs : l’honnêteté, le respect de soi et des autres, la gentillesse… » Pourtant, à l’adolescence, ce lien a connu une rupture. « Je suis devenue rebelle, insolente, fugueuse… » La situation se détériora tant que l’adolescente a d’abord été confiée à une autre éducatrice familiale avant de partir vivre chez sa mère biologique. « Ce retour s’est mal passé, et m’a aidée à réaliser ce que j’avais perdu.» partage Marine.
Comme sa petite sœur vivait encore à Châteaudun, la jeune femme avait encore des contacts avec Florence. Peu à peu, leur relation a pu se réparer et, finalement, Marine et son compagnon sont devenus très proches de Florence.
Quelques années plus tard, autour d’un café, Marine lance à sa mère SOS : « Ça te dirait de m’adopter ? » D’abord surprise, Florence accepte. L’adoption est prononcée le 22 septembre 2023, jour où Marine prend aussi le nom de son ancienne éducatrice. Un lien affectif, vieux de vingt ans, devient alors officiellement indissoluble.
Les adoptions sont, bien sûr, exceptionnelles, mais le maintien des liens après le départ des jeunes est, lui, presque toujours la règle. « Évidemment, c’est toujours si eux le souhaitent, rappelle Dominique Courteaux. Certains passent régulièrement nous revoir, d’autres préfèrent envoyer des SMS. Pour l’une des filles que j’ai accompagnées, je n’ai des nouvelles que par sa sœur. Il faut accepter que chaque enfant gère “ l’après-SOS ” à sa manière. » Raynald Monfourny constate, lui aussi, que rares sont celles et ceux qui coupent totalement le contact. Après avoir vécu, pendant des années, entourés d’autres jeunes et d’adultes, ils expérimentent soudainement la solitude, parfois difficilement. Garder un lien avec celles et ceux qui ont été là pour eux pendant tant d’années, c’est garder, au seuil de l’âge adulte, un repère affectif qui rassure et soutient dans les moments d’incertitude. « Je suis très friand de ces échanges après les départs du village. Nos relations sont d’une autre nature, mais tout aussi riches. »
Tous les éducateurs familiaux en conviennent : ce métier les a transformés. « Devenir mère SOS m’a donné confiance en moi. J’ai aussi changé mon regard sur les petits soucis du quotidien. Quand je vois l’énergie que les enfants déploient pour avancer malgré ce qu’ils ont traversé, c’est une leçon de vie », commente Josiane Marteau. « Il y a des soirs de questionnements, sourit Dominique Courteaux. Mais dès le lendemain, les doutes s’envolent, car les enfants nous le rendent tellement bien. Ma plus belle récompense, ce sont ces petits mots le jour de mon anniversaire : “T’as toujours été là pour nous, t’as tout fait pour nous.” C’est tellement touchant. Je ne regretterai jamais d’avoir, un jour, envoyé mon CV à SOS Villages d’Enfants. »