Dans son livre La Ruée minière au XXIe siècle, enquête sur les métaux à l’ère de la transition (Éditions du Seuil, écocène, 2024), la chercheuse indépendante, journaliste et philosophe Célia Izoard, spécialiste des impacts sociaux et écologiques des nouvelles technologies, démontre que la transition écologique repose sur l’extraction massive et destructrice de métaux.
Échos du Monde : Vous déclarez que notre mode de vie est entièrement lié à l’extraction, c’est-à-dire ?
Célia Izoard : Il est frappant de constater que la totalité des matériaux qui nous entourent provient du sous-sol. Les ciments, les bétons, les plastiques, les matériaux composites, l’acier, les petits métaux spéciaux qui servent aux applications technologiques, aux écrans, aux circuits électroniques, etc. Tout cela, c’est du minier. Notre monde, le monde capitaliste, est un monde minier. C’est très important de comprendre cela pour nous situer dans la civilisation que nous avons créée : une grande partie de nos techniques découlent de la mine. Dès l’âge de la plantation, les humains se sont mis à cultiver la terre comme si c’était une mine. Nous sommes une civilisation extractiviste, non seulement parce qu’on utilise de manière prioritaire et forcenée les matériaux du sous-sol, mais aussi parce que, philosophiquement, nous sommes extractivistes.
EdM : « Les élites sont en train d’enfouir la crise climatique et énergétique au fond des mines », écrivez-vous dans votre ouvrage. Vous critiquez ce paradoxe selon lequel l’extraction de métaux sauverait la planète. Pouvez-vous développer ?
C. I. : Tous les métaux et matériaux nécessaires à la production d’éoliennes, de photovoltaïques et de batteries reposent sur l’extraction minière. L’accord de Paris de 2015, qui visait à limiter les émissions de gaz à effet de serre, a été interprété par les politiques publiques comme une opportunité de produire de l’énergie dite bas carbone. Or, pour cette production, il faut une combustion fossile qui extrait des métaux qui eux-mêmes engendrent des émissions de carbone. Et cela sert les intérêts de puissantes entreprises minières (Rio Tinto, Glencore, BHP). Si nous en sommes là, c’est-à-dire à un réchauffement climatique gravissime, une crise écologique généralisée, une destruction du vivant, de la biodiversité, les limites terrestres franchies les unes après les autres, c’est parce que nous avons construit une civilisation extractiviste.
Nous sommes en train de produire des objets qui devraient servir à la transition, et qui en fait accompagnent la folle croissance de l’industrie du numérique
Les mines sont une des principales causes de déforestation dans le monde. Et cela va s’intensifier. Sans oublier que les ruées minières font disparaître les peuples qui ne vivent pas dans la civilisation capitaliste, comme les Adivasis en Inde, les peuples autochtones de l’Amazonie ou encore les dizaines d’autres populations qui peuplent la Birmanie. Nous sommes en train de produire des objets qui devraient servir à la transition, et qui, en fait, accompagnent la folle croissance de l’industrie du numérique, dont les bénéfices en matière d’intérêts collectifs sont totalement discutables, sinon inexistants.
Photo de gauche : Lucio Humanes Fernández, 40 ans, vit devant une mine à Espinar. À cause du bruit, il peut à peine dormir la nuit. Il prétend que les explosions à l’intérieur de la mine détruisent lentement sa maison à cause des vibrations intenses Il subit aussi l’eau contaminée ainsi des violation de sa propriété par des agents de la société minière.
Lauréat du Grand Prix Photo Terre Solidaire, le photographe italien, Alessandro Cinque, témoigne à travers son projet documentaire, « Peru : a toxic state », des conséquences environnementales, sociales et culturelles causées par l’exploitation des ressources minières au Pérou. Fruit d’un voyage de six ans à la rencontre des communautés des Andes péruviennes, cette série nous livre le récit de leurs réalités et de leurs souffrances : celles de la violation de leurs droits, de la dégradation de leurs conditions de vie et de leur santé, du délitement de leur culture et de leur identité.
EdM : Comment cette idée persiste-t-elle alors que l’industrie minière est la plus toxique, la plus polluante des industries et destructrice de droits humains ?
C. I. : Il se passe un peu la même chose que dans les années 1990, quand les plans d’ajustement structurel, c’est-à-dire l’endettement des pays du Sud, ont permis à la Banque mondiale et au FMI de faire pression sur ces mêmes pays pour obtenir de l’extraction à bas coût. Des partenariats d’énergie renouvelable, de mine verte, d’extractivisme vert se sont doublés d’un discours envers les dirigeants africains : la mine est un levier indispensable pour le développement de votre pays, on va construire de grands barrages, des infrastructures qui vont servir aux populations.
Aujourd’hui, le discours consiste à dire que la mine est responsable, qu’il y a des organes de traçabilité qui s’en assurent, que c’est beaucoup plus réglementé, que l’on a trouvé des technologies qui permettent de gérer les déchets miniers de façon optimale, de préserver les ressources. J’ai pu le constater : comme le cobalt congolais a très mauvaise presse, car on sait que l’extraction entretient des conflits armés, les entreprises ont tendance à vouloir trouver d’autres sources d’approvisionnement en cobalt. BMW et Renault ont par exemple fait toute une campagne en parlant du « cobalt responsable » du Maroc pour approvisionner leurs véhicules électriques. Sa principale vertu, c’est de ne pas venir de RDC. Et pour le reste, quand on décortique méticuleusement toutes les petites étiquettes qui sont censées garantir l’éthique, on s’aperçoit que c’est un jeu de dupes. Personne n’était jamais allé sur cette mine pour vérifier quoi que ce soit. Certes, dans l’usine de Marrakech il n’y a pas de conflits armés, il n’y a pas de travail d’enfants. En revanche, on y trouve : la pollution des eaux, les montagnes de déchets qui contiennent de l’arsenic, du plomb, du cadmium, du chrome. L’extraction minière crée une intoxication massive, c’est-à-dire la dissémination à très grande échelle de métaux toxiques, de substances acidogènes, et ce de manière irréversible.
Photo de couverture et de droite : « Peru : a toxic state », Alessandro Cinque
La mine de Cerro de Pasco, au Pérou, était une source d’enrichissement significative pour la couronne espagnole. Aujourd’hui, elle empoisonne les enfants de la région au plomb.Cette mine à ciel ouvert, gérée par une filiale de Volcan Compañía Minera, une entreprise péruvienne, est un cratère étagé semblable à une Ziggurat inversée. Longue de plus de 1,6 kilomètre, large de 800 mètres et profonde de 402 mètres, elle avale peu à peu la ville qui bat retraite.
Aujourd’hui, Cerro de Pasco fait en effet partie des communautés les plus touchées au monde par le saturnisme.
EdM : Vous appelez à une « décroissance minérale » et à la création de « conventions citoyennes pour la décroissance ».
C. I. : Notre responsabilité en tant qu’habitants du centre des économies dominantes est de critiquer et contester tout ce qui crée cette surconsommation de métaux et d’énergie. Les élites mettent les populations face à un chantage : prenez votre part de mines et de pollutions parce que sinon il faudra aller au Sénégal ou au Mali. La politique de la relance minière européenne est de relocaliser les mines. Mais les objectifs sont très faibles ; il s’agirait de fournir au maximum 10 % de la demande européenne en métaux par une extraction européenne.
Il faudrait commencer par créer des espaces démocratiques, discuter entre citoyens et se projeter dans une décroissance matérielle. Ce combat est à mener dans les syndicats, par des mouvements sociaux et aussi dans les partis politiques, car il y a une très grande méconnaissance du monde minier, métallurgique et de ses impacts. Pourquoi ? Parce que la focale des problèmes écologiques a été centrée sur les émissions carbone. Il va falloir se projeter dans une société dans laquelle il faudrait réduire 5 à 10 fois la demande en minerais.
Propos recueillis par Clémentine Métenier / Photos d’Alessandro Cinque
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