La victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle du 5 novembre 2024 et son retour imminent à la Maison-Blanche en janvier 2025 devraient avoir de nombreuses répercussions au Moyen-Orient. Sa présidence sera vraisemblablement marquée par un soutien renforcé à Israël et par une hostilité exacerbée envers la République islamique d’Iran. Cette orientation se dessine déjà, comme en témoigne son entretien avec le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, qui a mis en avant leur vision partagée de « la menace iranienne dans tous ses aspects ». La politique de « pression maximale » appliquée lors de son précédent mandat pourrait ressurgir, avec pour objectif principal la préservation des intérêts américains. Le retour de Trump permet aussi de renforcer l’axe établi avec certains pays du Golfe (Bahreïn, Émirats arabes unis et Arabie saoudite), qui voient d’un œil plus favorable le candidat républicain que son prédécesseur démocrate. Le renforcement de ces alliances pourrait intensifier la confrontation avec la République islamique, malgré le récent rapprochement entre Riyad et Téhéran. Si un cessez-le-feu à Gaza est conclu, Donald Trump pourra reprendre les négociations autour d’une normalisation israélo-saoudienne, avec en toile de fond un pacte de défense entre Washington et Riyad. Dans ce contexte, l’offensive rebelle du 27 novembre, qui a conduit à la chute du régime de Bachar Al-Assad le 8 décembre, représente un bouleversement géopolitique majeur que la future administration américaine devra intégrer, bien qu’aucune stratégie claire sur la Syrie n’ait encore été dévoilée. Dans un Moyen-Orient marqué par les guerres menées par Israël et la confrontation avec l’Iran, quelle place peut avoir la Syrie dans la future stratégie américaine ?
Quelles seraient les conséquences du retour de Trump sur les troupes déployées en Syrie ?
Le président de la République turc, Recep Tayyip Erdoğan, a félicité Donald Trump à l’issue des résultats, mais a montré quelques inquiétudes. Par l’intermédiaire de son ministre des Affaires étrangères, Hakan Fidan, Ankara a fait part de ses incertitudes quant à la potentielle politique de Trump sur la Syrie, tout en l’appelant à reconsidérer ses liens avec le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Compte tenu des affrontements réguliers entre la Turquie et ce dernier, le soutien apporté par les États-Unis reste un point de tension entre Ankara et Washington.
Au sujet de la présence d’environ 900 soldats états-uniens, Robert F. Kennedy Jr, à qui le ministère de la Santé pourrait être confié, a déclaré que Trump souhaitait leur retrait, afin d’éviter qu’ils soient entraînés dans un conflit entre la Turquie et le PKK. Toutefois, dans le sillage du départ du régime d’Al-Assad et face à une recrudescence de l’État islamique, les États-Unis ont profité de l’instabilité pour effectuer des bombardements dans le centre du pays sur des positions de l’État islamique. À cette menace persistante s’ajoute la volonté de la Turquie de créer une zone tampon pour pouvoir s’attaquer au FDS (Forces démocratiques syriennes) à dominante kurde, soutenue par les États-Unis. Ankara, en tant que partenaire de HTS, ressort victorieux de ces évènements en bénéficiant d’un avantage stratégique lui permettant, ainsi qu’à ses alliés de l’Armée syrienne libre, de mener plus librement des offensives en Syrie. Pour le moment, un retrait des troupes américaines serait précipité et le vide laissé entraînerait vraisemblablement des affrontements entre les différentes factions se disputant le contrôle du territoire et de ses ressources. Les divergences d’intérêts entre les deux membres de l’OTAN refont surface et nécessitent une présence au sol pour préserver les intérêts états-uniens et ceux de ses alliés.
Quelle place pour la Syrie au Moyen-Orient pour les États-Unis ?
Depuis les évènements du 7 octobre 2023, la Syrie s’est retrouvée mécaniquement entraînée dans le conflit régional, notamment en raison des positions israéliennes sur son sol. Pris dans une dynamique complexe, Bachar Al-Assad a dû jongler entre son alliance avec l’Iran et sa volonté de minimiser son implication directe dans les affrontements régionaux. Cette position a entraîné une distanciation entre le régime syrien et le Hezbollah, qui a accusé Bachar Al-Assad d’avoir transmis des informations sensibles sur la présence de cadres iraniens et de membres du « parti de Dieu » aux autorités israéliennes. La « démission » d’Al-Assad, selon le Kremlin, contribue à la fragilisation du dénommé « Axe de la résistance » en fragmentant ses voies d’acheminement, ce qui a entraîné, à l’heure où nous écrivons ces lignes, plus de 310 frappes sur des installations militaires liées à l’Iran et à ses alliés. Benyamin Netanyahou s’est attribué le mérite d’avoir provoqué indirectement la chute d’Assad, tout en rappelant sa « politique de bon voisinage » envers la Syrie lors de la guerre civile et n’a pas montré d’animosité envers les groupes rebelles, tandis qu’une majeure partie des politiciens israéliens, dont Yair Lapid le chef de l’opposition, se sont réjouis de l’affaiblissement de l’axe iranien tout en émettant des craintes quant à la nature du futur pouvoir en place. L’objectif principal d’HTS est d’assurer une unité nationale en prenant en compte les attentes des différentes communautés qui composent la mosaïque syrienne. Sa capacité à assurer la sécurité du territoire qu’il préside participera sûrement à l’adhésion du peuple syrien à son autorité. Cela inclut la lutte contre les restes de l’influence iranienne sur le pays et l’ouverture d’un dialogue avec Israël au sujet de l’arrêt des bombardements et du déploiement de ses troupes. HTS et les autorités israéliennes, vigilantes à l’armement du Hezbollah qui transitaient par la Syrie, possèdent alors un objectif commun ouvrant la porte à une collaboration.
Des négociations devront avoir lieu au sujet du Golan, déclaré comme annexé “pour l’éternité” par Benyamin Netanyahou à la suite du déploiement sur le versant syrien du mont Hermon dans la zone tampon du Golan, bien que les États-Unis souhaitent que cette opération soit temporaire. Ici, l’objectif pour HTS, précédemment affilié à Al-Qaïda, est de se présenter avant tout comme rebelle, et pas terroriste, pour bénéficier d’un soutien international et d’un appui des bailleurs de fonds à la reconstruction. Conscient des sensibilités régionales et internationales, le groupe rebelle cherche à se démarquer des autres mouvements islamistes, tel le Hamas qui lui a apporté son soutien. Bien qu’islamiste et concentré sur un djihad national, HTS doit apparaître comme modéré s’il souhaite pouvoir pérenniser ses victoires militaires et mener à bien la transition politique souhaitée. Dans ce but, l’organisation rebelle a multiplié les contacts diplomatiques, notamment avec les pays arabes et les Nations unies. À cela s’ajoute, sur le plan interne, la déclaration de son leader Mohamed Al-Jolani, de son vrai nom Ahmed Al-Sharaa, affirmant sa volonté de respecter les minorités, religieuses et ethniques, sous son contrôle. Enfin, politiquement, la coalition dirigée par HTS a annoncé une amnistie générale pour les militaires du régime Assad et Al-Jolani, a indiqué que les institutions resteraient pour le moment sous le contrôle du précédent gouvernement nommé par Al-Assad. En Europe, des responsables comme Pat McFadden, ministre des Relations intergouvernementales du Royaume-Uni, ont évoqué la possibilité d’une normalisation au vu des éléments de communication transmis par HTS quant au sort des minorités. Cependant, l’Union européenne reste prudente, attendant des actions concrètes avant d’envisager le retrait de l’organisation de sa liste de sanctions. Aux États-Unis, l’administration Biden, à travers le secrétaire d’État Anthony Blinken, a décidé d’établir un premier contact avec HTS, sans pour autant disqualifier le groupe de terroriste. Bien que Donald Trump ait déclaré ne pas vouloir se mêler de la situation syrienne, une stratégie se doit d’être établie afin d’appréhender les basculements qui ont lieu au Moyen-Orient, notamment pour éviter le renforcement de groupes islamistes plus radicaux. L’administration Trump, qui pourrait être composée d’un soutien à Al-Assad par le biais de Tulsi Gabbard, devra alors clarifier la manière dont elle compte collaborer ou non avec le pouvoir syrien.
Les évènements récents affaiblissent également la Russie, qui n’est pas parvenue à normaliser le régime auprès de la Turquie, qui va devoir négocier le maintien de ses forces militaires en Syrie. Combiné à l’affaiblissement de la République islamique de l’Iran, ce recul pourrait renforcer la position américaine dans la région après le « pivot asiatique ». Dans le sillage des accords d’Abraham, Trump pourrait être tenté de faire adhérer la Syrie à cet axe favorable à Israël, visant à isoler davantage l’Iran tout en contrebalançant l’influence croissante de la Chine, notamment après son rôle de médiateur dans la normalisation saoudo-iranienne.