De facto n°39 | Novembre 2024

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L’enjeu autour de la langue fran­çaise et autour des langues parlées par une popu­la­tion étran­gère est aujourd’hui large­ment poli­tisé, pris dans le tour­nant sécu­ri­taire de l’actuel gouver­ne­ment des migra­tions en France. La dernière loi immi­gra­tion et inté­gra­tion de janvier 2024 a ainsi fait de la langue l’un des leviers déter­mi­nants de l’intégration, en condi­tion­nant l’octroi d’un titre de séjour long à la réus­site d’un examen de fran­çais, là où aujourd’hui la simple parti­ci­pa­tion effec­tive à une forma­tion linguis­tique est requise (voir le numéro dédié de De Facto Actu, 2023).

La langue devient ainsi vectrice d’inégalités entre immi­grés, selon qu’ils sont fran­co­phones ou pas, intro­dui­sant dans leur demande de papiers des biais langa­giers, mais aussi géogra­phiques et écono­miques puisque les forma­tions de fran­çais ne sont pas acces­sibles sur tout le terri­toire national. A contrario, les langues étran­gères sont les grandes oubliées des poli­tiques migra­toires. D’une façon géné­rale, le primo-arri­vant rencontre la langue de souve­rai­neté natio­nale, celle du pays d’accueil, et le plus souvent il ne la comprend pas ou très mal. Les poli­tiques de traduc­tion et d’interprétariat en France sont très insuf­fi­santes, elles ne garan­tissent ni l’accès à l’information, ni l’accès aux droits ou aux soins. L’exclusion par la non compré­hen­sion de la langue est donc chose courante.

En rédui­sant les langues à leur valeur infor­ma­tive, les poli­tiques linguis­tiques font l’objet d’un inves­tis­se­ment poli­tique et budgé­taire minimum. Elles ne sont traduites qu’aux moments clés de la demande d’asile : entre­tiens en préfec­ture, à l’OFPRA , à la CNDA , où « [les deman­deurs d’asile] sont informés, dans une langue qu’ils comprennent ou dont il est raison­nable de supposer qu’ils la comprennent » ( direc­tive euro­péenne dite « procé­dures » 2013/​32/​UE du Parle­ment euro­péen et du Conseil du 26.06.2013).

Pour­quoi une telle indif­fé­rence aux langues ? est-ce inten­tionnel ? Les langues de la migra­tion sont rare­ment consi­dé­rées comme un atout ou une ressource dans une France de plus en plus multi­lingue, où l’arabe dialectal est par exemple la seconde langue parlée. Para­doxa­le­ment, les langues sont très rare­ment recon­nues comme telles, comprises, enten­dues pour ce qu’elles sont : non pas seule­ment la langue étran­gère à « traduire » pour en tirer les infor­ma­tions utiles mais comme langue mater­nelle, comme espace des affects où se tisse le rapport au monde. Par ailleurs, maîtriser l’information ou être traduit dans son récit d’asile à l’écrit ou bien inter­prété lors des audiences est une ques­tion vitale pour l’étranger. Aujourd’hui ce sont aussi les nœuds de la langue, les malen­tendus qui ques­tionnent les dysfonc­tion­ne­ments de l’asile et du droit.

Dans ce paysage linguis­tique défaillant, il s’agit de réflé­chir à ce que font les migra­tions contem­po­raines aux langues, à leurs recom­po­si­tions et inven­ti­vités. Celles-ci portent dans leurs nouveaux lexiques l’empreinte linguis­tique des trajec­toires mais aussi les traces de violences et de résis­tances (Saglio-Yatzi­mirsky et Galit­zine-Loumpet, 2022). Entre les problé­ma­tique de l’apprentissage du fran­çais, celui de l’interpétariat, les juri­dic­tions de l’asile, l’accès au soin, la ques­tion des langues est aujourd’hui au cœur de ce qui se joue dans les migra­tions et dans l’intégration.

Ce numéro sera ainsi l’occasion de ques­tionner l’ambiguïté des poli­tiques migra­toires dans le trai­te­ment de la ques­tion des langues. Il sera égale­ment ques­tion de mettre en lumière les nouvelles recherches et projets, alors que les ques­tions de langues, de traduc­tion, de média­tion font l’objet de forma­tions crois­santes. Il devient diffi­cile aujourd’hui de mener des recherches sur la migra­tion, dans les terrains de fron­tières, avec les asso­cia­tions sans prendre en compte l’importance des langues, des subjec­ti­vités et des résistances.

Alexandra Galit­zine-Loumpet et Marie-Caro­line Saglio-Yatzimirsky,
direc­trices du numéro

Photo de couver­ture : « Chro­niques de l’ac­cueil », un projet de Kolone et Fabri­ca­tion Maison, Maisons des réfu­giés 2019. Crédit : Elena Shatova

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