X, Bluesky, Mastodon, Threads : comment les médias s’organisent-ils ?

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Ce qu'il faut retenir

🤝 Aujourd’hui, la plupart des rédactions s’accordent sur un principe : ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Il est impossible de prédire la stabilité des plateformes sur le long terme, notamment en ce qui concerne leur politique à l’égard de la presse.

🧪 Assumer une approche expérimentale peut être utile tant que cela n’affecte pas brutalement la charge de travail ou les revenus du média. Il est important de conserver une certaine flexibilité afin de pouvoir changer de cap si les résultats ne correspondent pas aux objectifs initialement fixés.

📰 Il est possible de construire une communauté au-delà des réseaux sociaux en créant par exemple des clubs pour ses lecteur·ices, en diffusant des newsletters ou en investissant l’espace public et les lieux de vie,

à l’image de Marsactu.

Sur Internet, les règles et les algorithmes changent aussi vite que les plateformes naissent et disparaissent, parfois de façon brutale. Certains médias, qui ont confié une large partie de leur trafic à ces structures, sont contraints de s’interroger sur leur degré de dépendance et de revoir leur modèle de distribution. Par conséquent, la confiance accordée à ces géants du numérique s’est effritée et l'approche des rédactions devient plus mesurée.

Un exemple frappant est la récente émergence de nouvelles plateformes de « micro-blogging », un secteur sur lequel régnait sans partage Twitter mais dont les concurrents, comme Bluesky, Threads ou encore Mastodon espèrent désormais ravir les déçu·es de la prise de contrôle d’Elon Musk. L’extrême droitisation du milliardaire, soutien assumé de Donald Trump et dont les remarques antisémites avaient fait fuir les annonceurs, couplée d’un trafic en berne, avaient contraint certains médias à s’interroger sur l’utilité des efforts employés par leurs équipes pour alimenter leurs profils. Un cas qui illustre non seulement la volatilité des réseaux sociaux, mais aussi la nécessité pour les rédactions de rester vigilantes et agiles dans leur manière d’aborder ces canaux pour éviter de tomber dans une relation à sens unique. Nous avons donc échangé avec plusieurs rédactions ces derniers mois afin de mieux comprendre leur approche à l’égard de ces nouveaux arrivants et de la façon dont elles perçoivent leur dépendance aux réseaux sociaux.

Réorganiser ses ressources pour affronter la diversité des plateformes : un jeu d’équilibriste


Twitter, ce n'est plus ce que c’était. « Le trafic stagne, voire baisse, et ce malgré nos efforts. On essaie de répondre aux critères de l’algorithme, on a même payé Twitter Blue (abonnement mensuel offrant des fonctionnalités supplémentaires, NDLR). On pourrait se dire qu’on serait visible, mais non », constate la responsable communication des Jours, Joséphine Gorel. Si certains médias avaient alors pris la décision de quitter la plateforme, à l’image de l’émission Quotidien en France ou de NPR outre-Atlantique, la plupart ont maintenu leur présence tout en se diversifiant. Face aux limites croissantes de X, certains ont en effet compensé ses lacunes en investissant des plateformes concurrentes. Une opération qui a nécessité une certaine organisation en interne afin d'assurer le flux de production et de publication des contenus destinés à ces nouveaux canaux de communication. 

Ce fut par exemple le cas pour L’Informé explique Jérémy Joly, responsable des réseaux sociaux pour le jeune média spécialisé dans les affaires politico-financières : « Il y a des enjeux de gestion de temps. On n'est pas une grosse équipe et les réseaux sociaux, je m’en charge tout seul ». La solution : l’automatisation. La rédaction s’est ainsi dotée d’Echobox, de Buffer « et de Fedica, un peu moins connu en France » complète-t-il, permettant notamment de programmer des messages sur Bluesky. Un équilibre et une réorganisation qu’a également appliqué Les Jours, pour qui l’usage ou non de ces nouvelles plateformes ne se pose pas selon Joséphine Gorel : « Pour moi la réflexion sur le fait d'y aller ou pas, finalement, elle n'existe pas trop ». La rédaction a donc adopté des outils similaires, à l’image de Buffer, dans une volonté de réduire au maximum le temps passé à jongler entre ces nouvelles plateformes. Un choix justifié par le risque « de perdre l'accès aux personnes qui ne nous connaissent pas ».

Un post partagé sur le compte Mastodon des Jours

Car pour les médias indépendants, qui ne jouissent pas d’une notoriété longue de plusieurs dizaines d’années ou de présence physique dans des kiosques et librairies, faire au moins acte de présence leur permet de disposer d’une vitrine grâce à laquelle ils peuvent se faire connaître. Au point d’être partout ? « On se pose quand même la question par rapport à notre type de contenu », tempère Jérémy Joly, énumérant les interrogations que suscite l’usage de nouveaux canaux de communication : « Est-ce qu'on va pouvoir toucher des gens qui vont être intéressés par nos contenus ? Est-ce qu’on a un intérêt à y être ? Est-ce que ça va nous prendre du temps supplémentaire ? ». 

Des audiences ciblées et engagées : un atout pour les médias indépendants


Pour certain·es ancien·nes utilisateur·ices de X, exaspéré·es des prises de position du milliardaire américain, l’exode vers des alternatives à X, comme Mastodon et Bluesky, constitue une prise de position militante. Pour les médias indépendants, ces plateformes représentent ainsi une opportunité de renforcer les liens avec des communautés spécifiques et engagées, tout en évitant la pollution algorithmique des grandes plateformes. Ændra Rininsland, ingénieure en journalisme de données au Financial Times, faisait état de ces spécificités dans les colonnes de PressGazette : « Le public de Bluesky est très différent de celui de X. Il est composé principalement de personnes qui ont quitté la plateforme ». Une communauté qu’elle décrit comme étant « très dynamique et extrêmement diversifiée dans sa composition, généralement plus au centre gauche qu'à droite ». Une observation partagée par Les Jours, pour qui l’audience de Mastodon semble davantage valoriser la presse indépendante : « Spontanément, nos lecteur·ices nous citent avec d’autres médias dans une sorte de cercle vertueux de la presse indépendante (...) C'est quelque chose qui n'existe pas sur d'autres réseaux » assure Joséphine Gorel.

Pour les médias indépendants, ces réseaux alternatifs permettent de s'adresser à une audience certes moins conséquente, mais très réceptive. Si Bluesky ou Mastodon semblent attirer un type de profil plus militant, ils ont également séduit des utilisateur·ices intéressé·es par le milieu de la « tech », curieux·ses de découvrir ces nouveaux réseaux et leurs fonctionnalités : « On voit très bien que sur ces sujets tech, ils·elles sont répondant·es » renchérit Jérémy Joly, pour qui le nombre plus restreint d’utilisateur·ices de la plateforme constitue une opportunité plutôt qu’un frein. « On sait que Mastodon ne va pas être le gros levier d'audience », concède-t-il. « Ce n'est pas un Facebook qui va permettre, comme il y a quelques années, d'aller chercher des audiences dingues. Mais il y a des choses plus intéressantes à faire en matière de communauté ». 

Expérimenter de nouveaux formats pour attirer les audiences


L’arrivée de nouveaux réseaux sociaux a également poussé certaines rédactions à repenser leur manière de s’adresser à leur audience. Pour Joséphine Gorel, cette émergence de nouveaux concurrents a encouragé la rédaction à s’interroger sur son usage des réseaux sociaux et d'imaginer différentes stratégies. « J'aimerais qu’on expérimente de publier moins ou de pouvoir personnaliser nos publications en fonction des réseaux sociaux. Par exemple, sur Twitter, je pense que le chaud intéresse davantage que les contenus froids ». 

Pour Ouest-France, l’ouverture d’un compte sur Bluesky en 2023 a été l’occasion d’adopter un ton plus authentique et de se rapprocher de leur lectorat plus jeune : « En se lançant sur Bluesky, on a décidé d'avoir un ton radicalement différent. On voulait être beaucoup plus dans la proximité, avec une perspective de rajeunissement de notre image » explique Loup-Lassinat Foubert, journaliste en charge des réseaux sociaux pour le journal. Le quotidien local a ainsi fait le choix de se concentrer sur de l’information plus positive : « C'est une véritable volonté de tester cet angle-là, de montrer que l'information ce n'est pas que des choses tristes ou terribles ».

Exemple d’un post partagé par Ouest-France sur son compte Bluesky

Du côté de L’Informé, Bluesky est également perçu comme une opportunité de tenter de nouvelles approches, quitte à se tromper, selon Jérémy Joly : « On a l'avantage de ne pas être une marque qui a 150 ans d'existence derrière nous (...) À part du temps, on a relativement peu de choses à perdre quand on décide de se lancer. On teste et on voit ce que ça donne ». L’objectif principal de ces expérimentations : essayer de nouveaux formats pour répondre aux attentes spécifiques de chaque audience en veillant à conserver une certaine flexibilité pour ajuster ou abandonner des idées qui ne fonctionnent pas. Une approche expérimentale, mais prudente, que recommande Emma Krstic, directrice de l’engagement pour POLITICO, dans PressGazette. « Je pense qu'avec les réseaux sociaux en général, il faut essayer d'être à l'avant-garde des nouvelles plateformes et voir si elles valent la peine d'y investir du temps et des ressources... Lorsqu'il s'agit d'une nouvelle plateforme, on ne sait jamais vraiment si les gens vont vraiment s'y mettre et si elle va décoller ».

Tester, ajuster, et se retirer si nécessaire


Cependant, malgré l’envie d’expérimenter, les rédactions savent que toutes les plateformes ne méritent pas un investissement durable. Certaines ne génèrent que peu de trafic au fil du temps, ce qui pousse des médias comme The Guardian ou la BBC à réduire, voire à abandonner leur présence sur des plateformes telles que Threads, comme le rapportait Digiday en décembre 2023. Quant à Ouest-France, le journal n'a plus publié de contenu sur Bluesky depuis près de deux mois au moment de la rédaction de cet article. 

Pour Joséphine Gorel, le départ futur de certaines plateformes est loin d’être inconcevable, notamment si elles ne remplissent pas les objectifs fixés ou ne correspondent plus à leurs valeurs : « Ce choix sera plus facile à faire pour nous car on n'est pas du tout dépendant des réseaux sociaux (...) Je pense que si ça ne marche plus, on n’aurait pas trop de difficultés en matière de trafic à se dire qu'on s'en va ». Une flexibilité clé pour les médias, qui peuvent ainsi ajuster leurs stratégies plus rapidement en fonction des résultats observés et ne pas devenir otages de la volatilité de plateformes pas toujours très tendres avec la presse.

Pour aller plus loin

Audienceréseaux sociauxL'InforméOuest-FranceLes Jours

Owen Huchon est journaliste chez Médianes. Il est en charge de la communauté et de la newsletter des 10 liens.

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