État de droit en Pologne : la FIDH déplore la clôture prématurée par l’UE de la « procédure article 7 »

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Le 29 mai dernier, la Commission européenne a annoncé avoir officiellement mis fin à une procédure qui visait la Pologne depuis six ans, pour violation de l’état de droit. La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) dénonce l’abandon précipité de cette procédure, prévue à l’article 7 du Traité sur l’Union européenne (TUE), qui vise à sanctionner les États membres qui portent atteinte aux valeurs européennes. Cette décision risque d’empêcher la mise en œuvre des réformes nécessaires à la restauration de l’état de droit en Pologne et ne satisfait pas aux exigences de l’Union européenne (UE) en la matière.

Bruxelles, le 24 juin 2024. Malgré une victoire électorale inattendue des démocrates en octobre 2024, la Pologne peine toujours à s’aligner sur les valeurs fondatrices de l’Union européenne. La coalition dirigée par Donald Tusk, actuel Premier ministre polonais depuis le 13 décembre, a battu l’ancien parti au pouvoir (Droits et Justice/Prawo i Sprawiedliwość - PiS), dont les politiques illibérales avaient considérablement porté atteinte à l’état de droit en Pologne et conduit la Commission à enclencher, en décembre 2017, la procédure de l’Article 7 TUE pour risque de violation grave des valeurs de l’Union européenne. Six mois plus tard, la Pologne est pourtant encore loin d’avoir restauré l’état de droit. La FIDH regrette la clôture prématurée de la procédure et appelle les institutions européennes à poursuivre la supervision des réformes annoncées par le nouveau gouvernement dans le plan qu’il a présenté au mois de février 2024.

Fermer les yeux sur les violations qui persistent en Pologne et prétendre que tous les problèmes antérieurs aux élections aient été subitement résolus est une erreur. En clôturant la procédure prévue à l’article 7.1 du Traité, la Commission et le Conseil de l’UE risquent de survoler les difficultés matérielles qui empêchent le nouveau gouvernement de mettre en œuvre un plan de réformes efficace. Le veto présidentiel permet, par exemple, de bloquer toute tentative de réforme législative, au moins jusqu’aux prochaines élections présidentielles en 2025. Les institutions européennes risquent également d’ignorer les inquiétudes soulevées par la Commission de Venise, notamment concernant les nominations au sein du système judiciaire polonais, et de décrédibiliser la procédure. Cette dernière est pourtant la seule qui puisse répondre de manière exhaustive aux violations systématiques des valeurs européennes.

« Face au résultat du dernier scrutin européen, qui confirme la montée en puissance de l’extrême droite en Europe, il est impératif de défendre à tout prix la démocratie, l’état de droit et les droits humains », a déclaré Elena Crespi, responsable du Bureau Europe de la FIDH. « Mettre un terme à la procédure de l’article 7 avant que les problèmes qui l’ont déclenché ne soient résolus, ne fait qu’amplifier et renforcer les discours des mouvements populistes et anti-droits qui menacent les fondements mêmes de l’Union européenne. »

Le PiS, tout comme le Fidezs, son homologue hongrois, et leurs sympathisant·es n’ont de cesse d’accuser l’UE de politiser le débat sur l’état de droit. Alors que Viktor Orban s’apprête à reprendre la Présidence du Conseil de l’Union européenne, c’est la crédibilité même de ce mécanisme qui est en jeu.

Les institutions européennes doivent continuer de s’assurer que les réformes promises par la Pologne soient menées à bien. La volonté de coopération du nouveau gouvernement est une opportunité notable. Le suivi approfondi doit donc se poursuivre jusqu’à ce que les reformes prévues dans le plan d’action, présenté par le gouvernement polonais au mois de février 2024, soient mises en œuvre. Ces réformes doivent répondre à toutes les préoccupations exprimées par les institutions européennes ainsi que par les autres organismes régionaux et internationaux de défense des droits, et doivent être réalisées en pleine conformité avec les principes de l’état de droit.

Il convient de préciser que la conclusion de la procédure prévue par l’article 7 n’exclut pas la possibilité pour l’Union européenne d’engager d’autres mécanismes en réponse aux violations des droits humains et de l’état de droit, notamment celles ayant des répercussions sur le budget européen et que la FIDH a documentées dans son dernier rapport, publié en octobre 2023.

Contexte

La procédure prévue à l’article 7.1 TUE a été déclenchée par la Commission européenne en décembre 2017, en réponse à l’ingérence du parti Droit et justice (Prawo i Sprawiedliwość) dans le système judiciaire polonais. En effet, les réformes introduites par le gouvernement en place jusqu’aux dernières élections parlementaires d’octobre 2023 ont gravement affaibli l’état de droit en Pologne, notamment en portant atteinte à la séparation des pouvoirs et spécialement à l’indépendance des juges. La Commission a estimé que ces réformes violaient de manière significative les normes fondamentales européennes et menaçaient la primauté du droit de l’UE.

L’article 7 TUE, utilisé dans ce contexte, permet de déterminer l’existence d’un risque clair (7.1) ou d’une violation grave (7.2) des valeurs de l’Union par un État membre, et peut mener à la suspension de certains droits de ce membre, y compris le droit de vote au Conseil de l’Union européenne (7.3).

D’autres violations des valeurs prévues à l’article 2 TUE, qui n’ont pas fait l’objet de l’avis motivé de la Commission européenne de 2017 et donc de la procédure de l’article 7 à l’encontre de la Pologne, ont également été largement documentées par les organismes de défense des droits humains, y compris par la FIDH et ses organisations membres en Pologne, comme la Fondation Helsinki pour les droits humains (HFHR). Ces violations concernent notamment les droits des minorités, des femmes et personnes LGBT+ ainsi que les droits sexuels et reproductifs des femmes, se trouvant particulièrement sous tension en Pologne.

La liberté des médias et les droits des étranger·es ont également été fortement limités par le gouvernement du PiS. À noter que le versement des fonds européens en faveur du gouvernement polonais participe à la poursuite de ces graves manquements à l’état de droit, comme l’a souligné le rapport publié par la FIDH à ce sujet, en octobre 2023.

Malgré les engagements pris par le nouveau gouvernement dirigé par Donald Tusk, les mesures concrètes pour corriger ces violations demeurent insuffisantes. À cet égard, la Commission de Venise, organe consultatif du Conseil de l’Europe en matière de droit constitutionnel, souligne que la Pologne doit encore entreprendre des réformes essentielles pour se conformer pleinement aux exigences européennes en matière d’état de droit.

Pour plus de détails, veuillez consulter la lettre ouverte de la FIDH adressée aux ministres de l’UE concernant la situation en Pologne et Hongrie, en prévision du Conseil des Affaires générales du 25 juin 2024.

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Maxime Duriez