Cyriac Bouchet-Mayer, sociologue
Les exilés gays sont statistiquement parmi les plus exposés au VIH et suscitent l’attention des acteurs de santé publique. Or, leurs conditions immédiates de survie pendant la demande d’asile compliquent un usage rationnel des dispositifs de prévention.
Santé publique France révèle que 52% des personnes nouvellement diagnostiquées séropositives au VIH en 2022 sont nées à l’étranger (dont 38% hétérosexuelles et 14% homosexuelles). L’étude Parcours révèle qu’entre 34% et 49% des infections ont lieu post-migration et l’étude Ganymede rapporte que cette proportion est encore supérieure chez les hommes homosexuels nés à l’étranger.
Dans cette seconde étude, les conditions de vie dans les premières années suivant l’arrivée – fortement influencées par les politiques anti-migratoires de découragement – sont l’une des principales causes de la surinfection. À défaut de pouvoir agir à ce niveau, les acteurs de santé publique tentent d’en prévenir les conséquences en promouvant le dépistage et l’accès aux traitements prophylactiques à l’échelle individuelle, dans le but de contrôler le risque infectieux à l’échelle collective.
Ces dispositifs de prévention du VIH promouvant une offre de santé, notamment auprès des demandeurs d’asile homosexuels, font figure d’exception au moment où l’accès aux soins est sans cesse rendu plus compliqué, et où les fortes volontés politiques à réformer l’Aide médicale d’État (AME) de manière restrictive laissent présumer un renforcement de ces logiques. Alors que l’urgence est d’assurer les minimums vitaux et sanitaires, les demandeurs d’asile parent au plus pressé et peinent à faire du recours au dépistage une priorité. Certains évoquent la crainte d’apprendre un diagnostic positif dans un contexte où sont plutôt recherchées des lueurs d’espoir.
« Alors que l’urgence est d’assurer les minimums vitaux et sanitaires, les demandeurs d’asile parent au plus pressé et peinent à faire du recours au dépistage une priorité. »
Le contexte de la demande d’asile pèse aussi sur le recours au dispositif, souvent motivé par la recherche de solutions à des problématiques identifiées comme plus urgentes, telles que : l’accès à d’autres prestations de santé, à des informations utiles à la procédure ou à la survie, à des attestations ou des photos mobilisables pour administrer la preuve de l’homosexualité dans le cadre de l’asile. Ces logiques d’usages compliquent la prise en soin, par exemple, lorsque certains demandeurs d’asile soucieux de convaincre de leur homosexualité déclarent aux médecins une sexualité multipartenaire conforme à leurs représentations de la sexualité gay en France mais éloignée de leurs pratiques réelles. Ces écarts conduisent à des prescriptions et usages incohérents avec les recommandations.
En favorisant les infections et en compliquant l’intervention en santé publique, les politiques anti-migratoires contreviennent doublement à l’effort d’endiguement de l’épidémie de VIH.