Les "Climate Finance Files" : le Far West des financements climatiques

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© Petra Schmitter / IWMI / Ethiopie

ONE vous aide à comprendre ce qui a réellement été versé par les pays riches et les institutions internationales 

Personne ne sait vraiment évaluer le montant des financements versés aux pays vulnérables pour lutter contre le changement climatique (ce que nous appellerons « les financements climat »). ONE a donc élaboré les « Climate Finance Files » : un compte rendu détaillé de ce qui a été dépensé, ou pas, et de ce qui a été reçu.  

Pour en savoir plus : datacommons.one.org

Nous menons un combat sans précédent et personne ne vérifie ni ne publie correctement les données 

Des millions de personnes subissent de plein fouet les effets du changement climatique et luttent quotidiennement pour survivre et protéger leurs moyens de subsistance. 

Pourtant peu responsables de cette situation, ces populations en paient le prix fort. 

  1. Le changement climatique coûte à l’Afrique jusqu’à 15 milliards de dollars par an. C’est plus que le PIB national de 26 pays africains. D’ici 2050, ce montant pourrait atteindre 50 milliards de dollars. 
  1. Début 2023, le cyclone Freddy a ravagé le Malawi et le Mozambique, causant 2 milliards de dollars de dégâts. Près d’un million de personnes ont été déplacées. La tempête a engendré la plus grande épidémie de choléra jamais observée au Malawi. 
  1. Plus de 20 millions de personnes sont confrontées à l’insécurité alimentaire aiguë en raison d’une sécheresse historique dans la Grande Corne de l’Afrique. Le changement climatique a multiplié par 100 les risques de sécheresse. 
  1. En septembre 2023, la tempête Daniel a déversé huit mois de pluie en deux jours en Libye, faisant des milliers de morts. Des dizaines de milliers de personnes ont été déplacées. Le changement climatique a multiplié les risques d’inondations par 50. 

Voici les impacts humains et économiques de quelques phénomènes météorologiques extrêmes en Afrique. 

Mais c’est loin d’être terminé. 

Malgré cette réalité, les pays industrialisés, qui sont historiquement les plus gros émetteurs de carbone au monde, ne soutiennent pas suffisamment les populations les plus vulnérables à se préparer aux effets du changement climatique. Pire encore, ces pays à revenu élevé rendent extrêmement difficile le suivi précis des financements qu’ils fournissent et de leurs destinataires. En effet, les données sont confuses et imprécises et leur publication est lente.  

La conséquence de tout ça est très simple : personne ne sait précisément quels engagements ont été pris pour le climat, et encore moins quel montant a été versé. 

Les bailleurs ne tiennent pas leurs promesses 

Quand on parle de financements climat, on pense tout de suite à l’objectif (peu ambitieux) que les pays industrialisés s’étaient fixé en 2009 : verser 100 milliards de dollars par an aux populations les plus vulnérables dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Cet engagement est problématique pour deux raisons : 

  • Les bailleurs font le strict minimum et ne respectent pas leur promesse : en 2021, ils ont déclaré une contribution de 89,6 milliards de dollars. Ce chiffre est très certainement surestimé et il est ridicule si on le compare avec d’autres domaines : les dépenses militaires de ces mêmes pays ont été 14 fois plus importantes (1 200 milliards de dollars) la même année.  
  • Il n’existe pas de méthodologie officielle des fonds qui peuvent être comptabilisés dans l’objectif des 100 milliards, contrairement à l’Aide Publique au Développement (APD), dont la définition n’est pas parfaite, loin de là, mais a le mérite d’exister et d’être utilisée par tous les bailleurs. Par exemple, certains financements provenant d’acteurs privés sont comptabilisés dans les 100 milliards, ce que ONE dénonce.  

L’objectif des 100 milliards de dollars sera peut-être atteint en 2023 (l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, a d’ailleurs déclaré sans donner de preuve que c’était peut-être déjà le cas), mais peu importe : en raison du manque de transparence, d’accessibilité des données et de méthodologie commune, ces montants ne font que masquer la réalité. Cet objectif est trop opaque pour servir de mesure de l’effort financier mis en œuvre par les pays riches pour soutenir les pays vulnérables face au changement climatique. 

ONE a donc laissé de côté l’objectif des 100 milliards pour s’intéresser à ce qui se passe vraiment dans les portefeuilles les pays donateurs et les institutions financières internationales (que nous appellerons « bailleurs »1) quand on parle de climat : ce sont les « Climate Finance Files ». Cette nouvelle base de données en open source révèle des chiffres inédits et détaillés sur les financements fournis par les gouvernements et les institutions internationales pour soutenir les pays vulnérables face au changement climatique. 

Sans surprise, ils dépensent beaucoup moins que ce qu’ils prétendent, et les sommes versées sont nettement inférieures aux besoins identifiés. 

Voici ce que nous avons trouvé 

Les engagements des pays donateurs et des institutions internationales en matière de financements climatiques sont largement surestimés. 

  • Près des deux tiers des engagements recensés par l’OCDE dans le cadre de la lutte contre le changement climatique n’ont jamais été déclarés comme décaissés ou n’étaient pas ou peu liés au climat. Cela représente un montant impressionnant de 343 milliards de dollars entre 2013 et 2021. 
  • 43 % des pays lourdement endettés ont dépensé plus pour rembourser les dettes dues à leurs créanciers qu’ils n’ont reçu de fonds de ces mêmes pays pour la transition climatique entre 2019 et 2021. 
  • En 2021, les 20 pays les plus menacés par le changement climatique n’ont reçu que 6,5 % des financements dont ils ont besoin chaque année pour lutter contre le changement climatique. 

Bienvenue dans le Far West du financement de la lutte contre le changement climatique 

Les données sur les financements de la lutte contre le changement climatique ne sont absolument pas fiables. Personne ne donne les mêmes chiffres. 

En effet, les bailleurs décident eux-mêmes de ce qui relève ou non du financement de la lutte contre le changement climatique. Il n’existe aucune règle, ligne directrice ou définition commune à tous les bailleurs de ce qu’est un financement climat. Ainsi, selon le pays ou l’institution qui fait la déclaration, on peut obtenir des chiffres radicalement différents. 

« C’est le Far West de la finance. Pour faire simple, tout ce que [les bailleurs] qualifient de financements contre le changement climatique est considéré comme tel. » 

Mark Joven, sous-secrétaire du ministère philippin des Finances 

Les données de l’OCDE, qui fait le suivi et publie les chiffres de l’APD, se basent sur des indicateurs, les marqueurs de Rio, pour rendre compte des financements alloués à la lutte contre le changement climatique. Cependant, cette approche prend en compte la totalité des projets ayant un lien avec le climat, aussi minime soit-il. Disons qu’un panneau solaire est installé sur une nouvelle école au Sénégal, financée par l’aide au développement française. Avec cette méthodologie, 100% des fonds engagés pour construire l’école et financer les fournitures scolaires vont être comptés comme financements climat, au lieu de prendre en compte juste le coût du panneau solaire. Pas besoin d’être super fort en maths pour comprendre ce qui se passe : les chiffres du financement de la lutte contre le changement climatique sont considérablement gonflés et exagérés.  

Les données communiquées à l’ONU (ou plus exactement à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques – CCNUCC) sont censées lutter contre ce gonflement des chiffres. Pourtant, les différents bailleurs qui financent le climat n’utilisent pas la même méthodologie, et seuls quelques pays tentent de comptabiliser uniquement la part d’un projet réellement alloué à la lutte contre le changement climatique, et non pas la totalité. La plupart des bailleurs comptabilisent 100 % des coûts du projet si le climat est son objectif principal, ou alors utilisent un pourcentage fixe, par exemple 40 % ou 50 %, si le climat est l’un des objectifs, mais pas l’objectif principal, du projet. Cela signifie qu’au moins 40 % des coûts d’un projet peuvent être comptabilisés comme financements climat, même si le lien avec le climat est extrêmement faible. 

 Ces décisions peuvent considérablement impacter les chiffres finaux. Par exemple, si on applique les méthodologies utilisées par l’Allemagne et la Suisse à un ensemble aléatoire de projets déclarés par le Royaume-Uni à la CCNUCC, on remarque que pour les mêmes projets, l’Allemagne déclarerait un tiers de moins de financements climat par rapport au Royaume-Uni, et la Suisse 21 % de moins.  

Si on utilisait la méthodologie de l’OCDE, cela gonflerait le total de 50 %. 

Et ce n’est pas tout. Personne ne fournit d’informations claires sur la manière dont cet argent est réellement dépensé. En tout cas, personne ne le faisait, avant ONE. 

Le système actuel de suivi et d’analyse des financements climat n’est pas fiable pour de nombreuses raisons :  

  • les données sont imprécises : la devise utilisée n’est parfois pas la bonne, et il arrive qu’on parle de milliards alors qu’il s’agit de millions  
  • le suivi est trop lent : certaines données ne sont publiées que 4 ans après  
  • les méthodes de suivi des financements des institutions multilatérales sont très peu claires. 

Voici quelques exemples, parmi beaucoup d’autres, de ce qui ne fonctionne clairement pas. Vous comprenez maintenant pourquoi les données sur les financements climat de la CCNUCC et de l’OCDE sont incomplètes et peuvent induire en erreur.  

L’absence de règles et de méthodologies communes pour le suivi des financements climat permet beaucoup de créativité au sein des déclarations des bailleurs : est-ce que le financement d’une centrale à charbon peut être comptabilisé ? D’après le Japon, bien souvent, la réponse est oui. Et le financement d’un hôtel ? Les États-Unis sont de cet avis. Une chocolaterie ? Tout à fait, dirait l’Italie. Idem pour la promotion de l’utilisation du gaz naturel (Japon et Etats-Unis), des équipements de la police (Italie) ou la lutte contre le terrorisme (UE et Italie).  

Une annonce faite par le Royaume-Uni en octobre 2023 illustre parfaitement l’absurdité qu’il y a à laisser les bailleurs décider de ce peut être comptabilisé comme financement climat, sans définition commune ni contrôle. Le Royaume-Uni prévoit en effet d’élargir sa définition des financements climat afin de pouvoir gonfler ses chiffres, sans pour autant dépenser une livre sterling de plus.  

À qui profite le système ? Certainement pas aux millions de personnes qui subissent de plein fouet les effets du changement climatique et qui n’ont plus d’endroit où vivre, qui ne peuvent plus se nourrir ou se soigner, voire qui en perdent la vie.  

Tout cela n’est pas une fatalité : les méthodes de suivi et d’analyse de données complexes ont fait d’énormes progrès ces dernières années, et nous sommes maintenant capables de suivre avec précision chaque dollar utilisé pour financer la lutte contre le changement climatique.  

Ne pas utiliser ces données est un choix politique, et c’est inadmissible.   

Les pays riches dépensent beaucoup moins de financements climat que ce qu’ils prétendent. 

Les « Climate Finance Files » révèlent que les bailleurs versent effectivement moins de fonds pour le climat qu’ils ne le prétendent. 

Beaucoup moins. 

Les engagements des pays donateurs et des institutions internationales en matière de financements climat sont largement surestimés. Près des deux tiers des engagements recensés par l’OCDE dans le cadre de la lutte contre le changement climatique n’ont jamais été déclarés comme décaissés ou n’étaient initialement pas liés au climat (si on ne prend pas en compte les données manquantes). Cela représente un montant impressionnant de 343 milliards de dollars entre 2013 et 2021. 

Source : croisement entre la base de données SNPC de l’OCDE pour suivre les financements climat des bailleurs qui utilisent les marqueurs de Rio, et la base de données du CRDF (Climate-related Development Finance) de l’OCDE. Certaines données sont manquantes, et les bases de données ne peuvent être croisées à 100 %, par conséquent, les chiffres ci-dessus ne prennent en compte que les données connues et disponibles.
À noter :  
Ces montants sont différents de ceux utilisés par l’OCDE pour faire le suivi de l’objectif des 100 milliards, comme expliqué dans l’introduction, ce qui complique encore plus les choses.  
ONE n’a pas pris en compte dans son analyse les données manquantes : certains bailleurs ne fournissent pas leurs données sur les décaissements, et certaines données sont manquantes. Cela représente un montant de 69 milliards de dollars.  

Regardons ces chiffres de plus près. Pourquoi ces 343 milliards manquent-ils à l’appel ? 

  1. Une partie des financements n’a rien à voir avec le climat  

La totalité des engagements recensés par l’OCDE en matière de financements climat pour tous les bailleurs entre 2013 et 2021 sont largement exagérés. Plus d’un dollar sur cinq des engagements financiers sur cette période n’est pas réellement affecté à la lutte contre le changement climatique. Cela représente quand même 115 milliards de dollars en moins. Cet argent est censé être destiné à l’action climatique, mais il est en réalité utilisé pour des choses qui n’ont pas grand-chose à voir avec le climat. 

  1. Une partie des promesses n’est pas déclarée comme ayant été versée 

L’OCDE et ses membres ont choisi de communiquer sur leurs « engagements », qui sont des promesses financières. Mais rien n’est dit sur ce qui a effectivement été versé, donc si les promesses ont bien été remplies. C’est assez problématique parce qu’on sait que les bailleurs versent toujours moins d’argent que ce à quoi ils s’étaient engagés. Or, ce qui nous intéresse, ce sont les fonds qui ont bien été reçus dans les pays vulnérables. L’impact des promesses sur le changement climatique est plutôt inutile.   

Ces deux problèmes dans les données mises en avant par l’OCDE et se

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Dana Khalil