Représente.org - Climat vs ski : notre entretien avec Emmanuelle

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Climat vs ski : quel avenir pour la montagne ? Notre entretien avec Emmanuelle de Montagne de Jeux

Ah, que la montagne est belle ! Chaque année, en France,  44% des vacanciers d’hiver choisissent la montagne, et près de 65% Français auraient déjà skié. 

Et pourtant, nos sommets n’ont jamais été aussi fragiles. Fonte des glaciers, éboulements, baisse du manteau neigeux… Du fait du réchauffement climatique, on estime que la durée d’enneigement en dessous de 2000 mètres a diminué d’un mois depuis les années 1970.

Emmanuelle, accompagnatrice en montagne, est confrontée chaque jour à cette problématique.

Cet été, elle va sillonner les Alpes à vélo pour sensibiliser aux enjeux écologiques montagnards grâce à un escape game en plein air.

Dans cet entretien, découvrez quelques pistes pour concilier plaisir et préservation de la montagne.

Tu es aux premières loges pour constater les risques qui pèsent sur l’écosystème alpin du fait du réchauffement climatique. Peux-tu nous en dire plus ?

En montagne, le réchauffement climatique est deux fois plus important et deux fois plus rapide qu’ailleurs en France. Alors qu’il faudrait maintenir le réchauffement en dessous de +1,5°C selon les Accords de Paris, il est déjà supérieur à +2,5°C dans les Alpes françaises par rapport à l’ère préindustrielle. Du coup, ces impacts, je les vois tous les jours. Par exemple cet hiver – comme beaucoup d’hivers précédents d’ailleurs – la neige manque. Aujourd’hui, je faisais une randonnée en raquettes, à 1800m d’altitude dans les Ecrins ; eh bien on n’a pas chaussé les raquettes. Et on fait même des randonnées en t-shirt en ce moment, en février. Donc on le sent bien, ce réchauffement climatique. Même s’il y a toujours eu des périodes plus chaudes certains hivers, globalement les graphiques du climat montrent que la température moyenne a augmenté.

Forcément, l’écosystème est déboussolé. En décembre dernier j’ai vu une tussilage : c’est une fleur qui annonce le printemps, elle était un peu trop en avance… Globalement, les animaux et les végétaux sont tous impactés, et plutôt de manière négative parce que les changements sont beaucoup trop rapides, ils n’ont pas le temps de s’adapter. Les chamois ont trop chaud ; ils se couvrent du poil d’hiver et ils n’ont pas de quoi enlever la doudoune comme nous.

En plus de ça, la montagne pour nous, c’est notre château d’eau. S’il n’y a pas assez de neige en hiver, ça veut dire qu’il y aura peu d’eau en printemps et en été ; et donc de grosses sécheresses. Par exemple, cet été 2022, on a eu des restrictions d’eau dans les Alpes parce que la sécheresse était trop importante. On a aussi eu un grand nombre d’incendies, dans plusieurs départements montagneux. Donc voilà, les impacts on les voit, on les sent, et ils risquent d’être assez graves pour l’avenir.

"Pour accélérer la transition, il faut une vraie réflexion sur le catalogue de séjours proposés par les CSE."

On peut agir pour réduire son impact lorsqu'on vient en montagne © Montagne de Jeux / Joachim Grant

Si on se projette en 2050, en continuant comme ça, à quoi ressembleront nos montagnes ?

J’ai envie de dire qu’elles seront toujours magnifiques (rire). Elles resteront incroyablement belles, nos montagnes. Par contre, elles vont forcément changer de visage si on ne réduit pas le rythme du changement climatique. Les projections sur les glaciers sont alarmantes. On continue à perdre des mètres cubes de glace, toujours plus vite. En moyenne altitude, la neige deviendra rare. Cela va mettre des espèces en danger. Les marmottes qui sont en hibernation à l’abri dans leur terrier en subissent déjà les conséquences. La neige est un isolant. Mais quand il n’y a plus assez de neige, le froid atteint le sol jusqu’au terrier des marmottes et elles gèlent. 

Les saisons vont continuer à être chamboulées. Par exemple, les périodes de débourrement – au printemps, quand les végétaux sortent leurs premières feuilles – auront lieu de plus en plus tôt. En parallèle, les arbres perdront leurs feuilles de plus en plus tard. Ces chamboulements vont être visibles. 

Les sols, les arbres, tout jaunit, on le voit déjà ; ce sera pire en 2050. Les arbres perdront leurs feuilles en été parce qu’ils se mettront en stress hydrique à cause du manque d’eau. Forcément ça impactera leur croissance et l’épuisement de leurs ressources, parce qu’ils vont devoir reproduire des feuilles, ce qui leur demandera énormément d’énergie. Certaines espèces disparaîtront au profit d’autres. On peut même imaginer des vignes pousser au pied de nos montagnes, qui sait ? 

On va entendre de moins en moins d’insectes. C’est déjà le cas, ça va continuer. Les insectes sont indispensables pour la pollinisation – donc pour le développement des végétaux – mais aussi pour la vie de nos sols – pour que nos sols soient vivants et puissent nourrir les plantes et les animaux. Donc on aura de moins en moins de vie : on va trouver nos montagnes de plus en plus vides de vie animale. 

Mais on peut aussi agir pour que ça n’arrive pas !

Tu t’engages quotidiennement pour renouveler ton métier et limiter le réchauffement climatique. Quelles actions as-tu mises en place ?

Je me suis lancée le pari de vivre de mon métier d’accompagnatrice en montagne à vélo électrique. La part du transport était la plus importante dans mon empreinte carbone avec mon métier, parce que je faisais des trajets en voiture tous les jours pour rejoindre mes clients, pour faire des reconnaissances de randonnées… Pourtant, ça allait complètement à l’encontre de la réduction des émissions et de ce que je racontais à mes clients tous les jours ! Alors j’ai pris la décision de troquer ma voiture contre un vélo, et de changer complètement l’approche de mon métier pour privilégier la mobilité douce. 

Avant de proposer une randonnée ou une animation, je regarde l’accessibilité pour moi et pour mes clients, pour faire en sorte qu’il n’y ait pas besoin de prendre la voiture. Ce n’est pas toujours simple, parce que les transports en commun sont peu développés en montagne. Mais comme je crois fortement en ce modèle, je fais tout pour rendre les projets qu’on me propose accessibles en mobilité douce. 

J’ai aussi créé un escape game qui s’appelle “Sauvons Lago !” en l’honneur du lagopède, une espèce relique de l’ère glaciaire qui a fui dans les montagnes pour retrouver des conditions de vie favorables. Mais dans les montagnes, ces conditions de l’ère glaciaire sont de moins en moins palpables, donc notre lagopède alpin subit le réchauffement climatique de plein fouet. A travers cette espèce phare, j’essaie de sensibiliser, et j’espère avoir un impact pour changer nos pratiques.

Petit guide à l'usage des CSE et des vacanciers

Comment organiser un séjour en montagne en réduisant son impact ?

• Repenser les transports : troquer sa voiture pour le car ou le train

• Choisir la destination : favoriser l’accessibilité et l’éco-responsabilité, par exemple avec le label Flocon Vert

• Diversifier les activités : proposer raquettes, traineau, luge, igloo, parapente…

• Sensibiliser au milieu naturel : contacter les accompagnateurs en montagne du coin

Le séjour au ski est un grand classique du catalogue des CSE (ex-Comités d’Entreprise). Mais cette discipline est de plus en plus décriée. Qu’en penses-tu ? Peut-on continuer à skier tout en préservant l’environnement ?

C’est un sujet assez complexe mais complètement d’actualité. En effet, on ne peut plus partir au ski sans réfléchir à notre impact. Le modèle “tout ski” n’a pas d’avenir. Tous les colloques sur la transition en montagne arrivent à ce constat, parce que le modèle est extrêmement énergivore, et que la neige est devenue de plus en plus aléatoire. Mais partir en vacances à la montagne, c’est un vrai bonheur. Il ne s’agit pas d’arrêter d’y aller complètement ! C’est tout à fait possible de venir à la montagne en réduisant son impact.

A mon sens, les changements doivent s’opérer dans les deux sens : dans les destinations de montagne, pour proposer des offres avec moins d’impacts sur le climat, mais aussi chez nos vacanciers, qui ont un pouvoir, celui du choix. 

Pour ça, les CSE ont un rôle à jouer, parce qu’ils orientent une bonne partie des séjours des Français. Pour accélérer la transition, il faut une vraie réflexion sur le catalogue de séjours proposés par les CSE. Je pense d’abord au transport qui doit être repensé : comment on va venir en montagne ? L’idéal c’est de proposer des transports en commun à moindre coût. Par exemple, j’ai vu cet hiver un CSE affréter un car pour venir en montagne, ce qui permet déjà d’avoir un seul car au lieu de soixante voitures. Dans un autre cas, un CSE a fait le choix de réduire le prix des séjours pour les gens qui prenaient un billet de train. Pour que ça marche, il faut vérifier qu’il y a une solution de transport pour le dernier kilomètre, et donc privilégier les destinations où il y a des navettes en place… J’invite déjà les CSE à se poser toutes ces questions sur le transport. 

J’invite aussi les CSE à faire leur choix de destination en fonction des efforts faits pour la transition plutôt que la renommée du domaine skiable, par exemple en choisissant des stations labellisées Flocon Vert. Je leur propose d’aller voir les moniteurs engagés avec les écoles de ski comme Evolution 2, Eco Riders ou Free ski Academy. 

Et je pense qu’il faut aussi diversifier les offres pour qu’elles ne soient pas uniquement limitées au ski. On peut faire de la randonnée en raquettes, du chien de traîneau, des constructions d’igloo, des batailles de boules de neige, de la luge, du parapente, du trail, de la marche nordique… plein de choses qui nécessitent moins d’énergie et qui peuvent s’adapter aux conditions de neige incertaines. Il faut se renseigner auprès des offices de tourisme, il y a plein d’activités proposées !

"C’est tout à fait possible de venir à la montagne en réduisant son impact ! [...] Moi aujourd'hui, les meilleurs souvenirs d'aventure sont ceux que j’ai vécu intégralement en mobilité douce."

Quels conseils donnerais-tu aux amoureux de la montagne pour continuer à profiter de nos beaux sommets sans les plomber ?

Pour moi, il faut changer son regard sur la montagne. Les pratiquants de sports de montagne ont tendance à regarder les sommets comme des objectifs à cocher, dans une logique de consommation. Je peux le comprendre, parce que c’est un univers qui est grisant. Mais cette consommation a un impact. Si on veut le réduire, il faut changer d’approche. Littéralement “changer d’approche” (rire) : c’est-à-dire réfléchir à son moyen de transport pour se rendre en montagne. 

Je conseille de s’inspirer du film et de la série “Conscience” de Protect our Winters pour se dire qu’on peut aussi profiter de la montagne sans chercher la performance. Il y a aussi un site internet lancé par Mountain Wilderness, “Changer d’approche” avec plein d’idées d’activités en mobilité douce. Autre exemple, l’association Alpes Là a écrit un mobiguide qui s’appelle “50 randos sans voiture en Isère” qui permet de partir en montagne sans prendre sa voiture. 

Moi aujourd’hui, les meilleurs souvenirs d’aventure sont ceux que j’ai vécu intégralement en mobilité douce, plutôt qu’avec ma voiture comme solution de facilité. J’apprécie vraiment mes aventures en montagne même si je ne peux plus aller partout comme avant.

Revenons un peu en 2050. Dans un monde idéal, selon toi, à quoi ressembleront les loisirs de montagne ?

C’est un vrai sujet, et je pense qu’on n’a pas encore toutes les réponses. Mais moi, j’imagine des loisirs qui ne nécessitent pas de construire des infrastructures dans toute la montagne, ni de dépenser beaucoup de ressources pour être appréciés. Je rêve

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Agnès Rivière