Retour sur le premier Congrès mondial sur les disparitions forcées  - CCFD-Terre Solidaire

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Le premier Congrès mondial sur les disparitions forcées s’est tenu ces 15 et 16 janvier à Genève. Rassemblant dans un même espace, familles de victimes, membres de la société civile, institutions et représentants des États, ce congrès avait pour objectif de relancer le mouvement autour de la ratification de la Convention sur les disparitions forcées entrée en vigueur en 2010. Coïncidence du calendrier, la chute récente de Bachar al-Assad en Syrie et la découverte de l’horreur des prisons du régime a montré au monde entier la détresse des familles sans nouvelle de leurs proches.  

Dans le couloir feutré qui mène à l’amphithéâtre du Centre international des congrès de Genève, des visages sont placardés les uns à côté des autres. Des photos de femmes et d’hommes. Toutes et tous ont disparu, certains depuis plusieurs décennies. « Dónde están ? » interroge une pancarte. « Los has visto ? » demande une autre. Où sont-ils ses êtres chers que cherchent désespérément leurs familles ?

Un premier congrès mondial sur les disparitions forcées

Les 15 et 16 janvier se tenait le premier congrès mondial sur les disparitions forcées. Cette initiative, lancée par la CEDI (Convention against enforced disappearances), le Comité des disparitions forcées des Nations unies et le Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme, était soutenue par le CCFD-Terre Solidaire qui a apporté son expertise durant la phase préparatoire du congrès et a convié de nombreux partenaires.  

Depuis plusieurs années, notamment grâce à nos partenaires d’Amérique centrale, nous avons assisté ou pris connaissance de rencontres autour des disparitions forcées. Nous avons pris la mesure de la criminalisation et de la détresse des familles mais aussi du travail effectué par nos associations partenaires autour de la recherche et de l’identification des corps sur les routes migratoires. Nous avons donc décidé d’accompagner la CEDI dans l’organisation de ce congrès afin de nous assurer que les voix de la société civile et des familles seraient entendues. Et c’est le cas. 

Charlotte de Poncins, directrice du partenariat international au CCFD-Terre Solidaire.   

Apparu dans les années 1970-80, le terme de « disparition forcée » vient en remplacement de l’incomplet « personne disparue » qui était alors utilisé. Car dans la disparition forcée, il y a une notion de contrainte à prendre en compte. En 1998, le Statut de Rome de la Cour pénale internationale intègre les disparitions forcées dans la liste des horreurs que constituent les crimes contre l’humanité.  

Par « disparitions forcées de personnes », on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée.

Statut de Rome de la Cour pénale internationale, 1998.   

La décennie suivante voit l’adoption (2006) et l’entrée en vigueur (2010) de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées par l’Assemblée générale des Nations unies (résolution 47/133) qui vient affiner la définition. À ce jour, seuls 77 pays ont ratifié cette convention.

« Depuis, nous avons assisté à une perte de vitesse du mouvement. Car ce mouvement est d’abord porté par les familles, or, l’environnement leur est hostile : elles subissent, comme les défenseurs des droits humains, des menaces et des pressions avec la particularité qu’elles sont souvent précaires, bénévoles et qu’il s’agit en grande majorité de femmes. »

Olivier de Frouville, président du Comité contre les disparitions forcées des Nations unies et organisateur du Congrès.

La place notable des femmes dans le mouvement

Une partie du public et des intervenants des différents panels proposés durant ces deux jours confirment la place des femmes dans le mouvement contre les disparitions forcées. Durant la table ronde « disparitions forcées en contexte de migrations » animée par Charlotte Bertal Nasser, chargée de mission Europe et Syrie au CCFD-Terre Solidaire, Ana Enamorado, de l’association ReReFaMi, raconte son combat pour retrouver son fils Oscar Antonio, disparu en 2010 au Mexique, alors qu’il cherchait à quitter le Honduras pour se rendre aux États-Unis. 

« Aucune mère n’est préparée à devoir chercher un jour son fils dans un pays qui n’est pas le sien. J’ai été confrontée à la violence institutionnelle : si tu n’as pas de visa, tu ne peux pas rester au Mexique pour chercher ton enfant. Il faut aussi tenir compte du danger auquel sont exposées les ‘’madres buscadoras’’ qui sont menacées. »

Ana Enamorado, mère d’un disparu et membre de ReReFaMi, partenaire du CCFD-Terre Solidaire.

Sur les routes qui mènent à l’Europe, de nombreuses associations accompagnent les familles de disparus dans leurs recherches. C’est le cas de Caminando frontieras en Espagne ou de AMSV au Maroc. Ces deux partenaires du CCFD-Terre Solidaire effectuent notamment un travail de reconnaissance des corps afin de retrouver les familles et enterrer les personnes dans la dignité.  

Nous suivons actuellement 500 dossiers de jeunes marocains détenus principalement en Algérie et 500 dossiers de personnes disparues que nous tentons de retrouver. C’est du jamais vu. 

Hassane Ammari, AMSV, partenaire du CCFD-Terre Solidaire.  

L’actualité syrienne au cœur du Congrès

L’actualité récente a mis sur le devant de la scène internationale la question des disparitions forcées d’une manière soudaine : à la chute du régime de Bachar al-Assad, les médias du monde entier ont diffusé des images et des témoignages de détenus enfin libérés des geôles cauchemardesques de Sednaya en Syrie.   

Interviewée à la chute du régime de Bachar el-Assad en décembre dernier, Sana Yazigi, fondatrice de Mémoire créative de la Révolution syrienne, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, est présente au Congrès :  

Dans chaque ville, à la chute du régime, les prisons ont été ouvertes. De nombreuses familles espéraient retrouver leurs proches, plus de 100 000 personnes détenues depuis des années. Mais seuls 24 000 sont sortis de ces prisons en décembre. Les familles se sont mises à chercher dans un chaos total. Le nouveau régime leur a demandé de rentrer chez elles. Ils vont mettre en place des recherches et communiqueront des informations à la télévision. Cela va prendre plusieurs mois mais ce n’est rien après des années d’attente.  

Sana Yazigi, Mémoire créative de la révolution syrienne, partenaire du CCFD-Terre Solidaire.   

« Dans le cas d’une disparition forcée, il y a un vide juridique. L’objectif étant de réduire la personne à sa simple condition de morceau de chair dans les mains de son bourreau. C’est exactement ce qui avait été mis en place dans la prison de Sednaya en Syrie. » 

Olivier de Frouville, président du Comité sur les disparitions forcées des Nations unies et organisateur du congrès. 

Le Congrès ne pouvait pas être plus dans l’actualité. Les membres des États se sont engagés, ils seront attendus par les familles de victimes et les membres de la société civile.  

Les engagements de la représentation permanente de la France auprès des Nations unies à Genève :  « La France renforcera son action diplomatique en faveur de l’universalisation de la Convention (…), soutiendra les mécanismes régionaux et internationaux (…), soutiendra la création et le renforcement de réseaux de solidarité dirigés par les victimes (…), s’engage à lettre la formation au centre des programmes de coopérations avec des pays clés. La sensibilisation de la société entière est un élément clé de la prise de conscience collective. La France s’engage à mobiliser partout dans le monde pour organiser des événements sur le sujet (…) enfin, un travail doit être fait auprès de la jeunesse. Au-delà du respect de ces engagements, la France met tout en œuvre pour mettre fin à ce crime, en tous lieux, et apporter une réponse aux victimes et à leurs proches. »  

Texte et photos : Audrey Chabal

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