Q - À la suite des déclarations d’Emmanuel Macron sur l’Afrique au cours de la Conférence des ambassadeurs du 6 janvier dernier, Nicolas Normand, ancien ambassadeur au Mali, au Congo et au Sénégal, a jugé que cette intervention était extrêmement maladroite, en tout cas vis-à-vis des populations des États concernés. Souscrivez-vous à cette qualification d’"extrêmement maladroite" ?
R - Je pense qu’il ne me revient pas de commenter les propos qui ont pu être faits par d’anciens collègues qui sont aujourd’hui à la retraite et dont la parole n’engage qu’eux.
Q - Juste une deuxième question : le même Nicolas Normand affirme que contrairement à ce qu’affirme le Président, on a clairement été pris de vitesse au Tchad et au Sénégal concernant le retrait. Confirmez-vous que le Président fait une présentation erronée de ce retrait par "excès d’arrogance", comme le disent les chefs d’État concernés ?
R - À nouveau, je ne vais pas commenter ce que dit Nicolas Normand. Mais d’une manière plus générale, sur la question de l’Afrique, la France a entamé, il y a plus de deux ans maintenant, sur la base d’un dialogue avec l’ensemble des partenaires africains qui sont les nôtres, une reconfiguration de nos partenariats de défense en Afrique, avec pour objectif - et c’est ce qui avait été indiqué par le Président de la République en début d’exercice - une réduction de notre dispositif et une sortie de la logique de base prépositionnée. C’est ce que le Président de la République avait notamment dit le 27 février 2023 lorsqu’il avait évoqué la question du partenariat France-Afrique.
Il n’y a jamais eu - et je pense que c’est un point qui est très clair - de remise en cause de la souveraineté de nos partenaires tchadiens et sénégalais. Cela n’a jamais été le cas et n’a jamais été évoqué.
Cette reconfiguration de nos partenariats de défense a donné lieu à un travail qui a été mené par Jean-Marie Bockel, en lien avec l’ensemble des pays concernés. Jean-Marie Bockel a été missionné par le Président de la République pour justement mener ce travail de dialogue avec les États concernés, pour aboutir à une reconfiguration de nos dispositifs militaires au Sahel. Ce travail a été mené dans un esprit d’ouverture et de partenariat, et dans le plein respect de la souveraineté de nos partenaires, tout en écoutant leurs souhaits et leurs demandes. Cela a été, encore une fois, un dialogue. L’idée était d’ouvrir de nouvelles voies à notre coopération avec ces États africains en matière de sécurité et de défense. C’est l’idée du travail qui a été mené depuis 2023 par la France, encore une fois, en lien avec l’ensemble des pays concernés.
Q - Sur la reconstruction de Gaza, est-ce qu’il y a une feuille de route côté français avec ses partenaires européens ? Est-ce qu’on peut avoir un budget, justement, pour ce grand chantier qu’est la reconstruction de Gaza ? Et la deuxième question, en lien avec l’Algérie : Monsieur le Ministre a évoqué hier à l’Assemblée nationale qu’il était prêt à ouvrir une page avec Alger. Une réunion aussi est prévue avec Monsieur le Président pour évaluer les relations franco-algériennes. Est-ce qu’il y a un agenda dans ce sens, pour la visite de M. Barrot ? Et est-ce que vous avez trouvé un répondant, côté Alger ?
R - Sur votre première question, je n’ai pas d’éléments à vous donner. Encore une fois, on prend les choses un peu dans l’ordre. Il y a, sur le sujet de Gaza, cet accord de cessez-le-feu qui a été conclu hier. C’est une excellente nouvelle. Maintenant, il va devoir entrer en vigueur. Je pense que vous avez vu dans le détail que c’est un accord de cessez-le-feu qui fonctionne en trois étapes et qui doit mener normalement à un cessez-le-feu pérenne. Et pour nous, la première des priorités c’est déjà que cet accord de cessez-le-feu soit appliqué concrètement, que les opérations cessent sur le territoire de la bande de Gaza et puis, comme je vous le disais, que l’aide humanitaire puisse enfin entrer sur le territoire.
Dans notre esprit, cet accord de cessez-le-feu est lié avec l’"après". Et l’"après", c’est plusieurs choses. C’est d’abord une solution politique. C’est ce que nous avons redit depuis le début. Et puis, ensuite, des questions de reconstruction. Nous sommes vraiment mobilisés sur le dossier et, encore une fois, nous le serons dans les mois à venir, puisque nous coprésiderons avec l’Arabie Saoudite une conférence au mois de juin, qui devra déterminer les contours d’une solution à deux États. Je pense que les discussions s’ouvriront aussi sur la question de la reconstruction de Gaza, qui effectivement va nécessiter beaucoup d’appui de la part de la communauté internationale, que ce soit l’Union européenne mais aussi d’autres États.
Sur votre deuxième question sur l’Algérie, et en faisant référence aux déclarations qu’a faites le Ministre hier, nous restons très attachés à la relation que nous avons avec l’Algérie, qui est une relation ancienne, dense, importante. Et comme l’a dit le Ministre, ni la France, ni l’Algérie n’ont intérêt à ce que s’installe une tension durable entre deux pays voisins. Il y a eu des épisodes ces derniers temps qui ont été difficiles, mais ce qu’exprimait le Ministre hier, c’était une volonté de continuer le dialogue et un message passé aux autorités algériennes pour leur dire que, bien évidemment, cette porte-là n’était pas fermée. Donc c’est une proposition qui est sur la table. Pour le moment, nous n’en sommes pas du tout à caler une date. Nous attendons la réponse des autorités algériennes sur ce sujet.
Q - Au moins 72 Palestiniens ont été tués depuis l’annonce de l’accord du cessez-le-feu hier, dont deux journalistes et comme toujours beaucoup d’enfants. L’accord de cessez-le-feu doit entrer en vigueur dimanche. Les franges les plus extrémistes du gouvernement israélien, représentées par les ministres Smotrich et Ben-Gvir, menacent de quitter le gouvernement de Netanyahou en cas d’application de cet accord. Avez-vous des informations du côté de Tel-Aviv ? Est-ce que Netanyahou va proclamer l’accord - parce qu’il n’a pas encore annoncé cet accord, il n’a pas encore confirmé cet accord ? Et s’il ne le confirme pas, qu’est-ce qu’il va se passer ?
R - L’accord a été conclu entre les négociateurs hier. Je ne peux pas faire de commentaire sur les paramètres de la politique intérieure israélienne. Effectivement, Benjamin Netanyahou est à la tête d’une coalition. Ce qui est important à nos yeux, c’est que, premièrement, l’accord soit conclu, déjà, après des mois de négociation - puisque ce sont des négociations qui durent quand même depuis très longtemps - et deuxièmement, qu’il entre effectivement en vigueur dimanche prochain. Encore une fois, il y a des efforts qui ont été faits. Toutes les parties ont fait un effort pour atterrir sur un accord, et nous espérons que toutes les parties respecterons cet accord. J’en profite, puisque vous parlez de journalistes, pour rappeler que nous avons toujours été attentifs au sort des journalistes dans la bande de Gaza - mais aussi partout dans le monde - et nous sommes toujours très attachés à la liberté de la presse et au fait que les journalistes doivent pouvoir exercer leur travail dans des conditions de sécurité satisfaisantes.
Q - On a eu hier, la nuit dernière, un aperçu un peu plus précis de la future politique de l’administration Trump sur l’Ukraine. Apparemment, d’après Marco Rubio, les Ukrainiens ne pourront pas repousser les Russes, donc il va falloir négocier là où ils sont. Par rapport à cette indication de Marco Rubio, où est-ce que se situe la France ?
R - La position de la France sur l’Ukraine a toujours été claire et constante. Nous avons toujours apporté un soutien sans faille aux Ukrainiens, et ce depuis le début de l’agression russe en février 2022. Nous avons toujours dit que nous serions en plein appui des Ukrainiens, s’ils le souhaitaient le moment venu, pour les appuyer dans les efforts de négociation qu’ils pourront ou voudront ouvrir, notamment avec les Russes. Il n’y a pas du tout de tabou. Notre position est très claire.
Il semble important - et c’est une position que nous partageons avec plusieurs de nos partenaires européens - que les États membres de l’Union européenne et l’Union européenne soient intégrés dans les négociations qui pourraient avoir lieu, puisque bien évidemment ce qui se passe en Ukraine renvoie à une question de sécurité assez évidente pour le continent européen. Encore une fois, aucune solution ne pourra être trouvée sans les Ukrainiens.
Sur les propos de Marco Rubio et s’agissant de la nouvelle administration américaine, le nouveau président aura une cérémonie d’investiture lundi et je pense qu’il sera important de voir ce qu’il dira lui, et ce que dira éventuellement son ministre des Affaires étrangères à ce moment-là.
Q - J’ai deux questions. La première, c’est pour revenir sur votre communiqué de ce matin sur le Vénézuéla. Vous avez parlé de potentielles mesures de réciprocité, si vous jugez nécessaire. Quelles mesures envisagez-vous ? Et deuxième question : hier, le président Biden a fait son dernier discours avant son départ, disant : "Une oligarchie prend forme en Amérique et elle menace concrètement notre démocratie toute entière, nos droits et libertés élémentaires". Qu’est-ce que vous pensez de cette déclaration du président de votre principal allié ?
R - Sur le Vénézuéla, nous sommes dans une phase où nous réfléchissons - et c’est à l’étude - aux mesures que nous pourrons prendre, et nous communiquerons ces mesures, le moment venu et selon les canaux appropriés, aux Vénézuéliens.
Sur le discours de Joe Biden, qui était effectivement son dernier discours, je n’ai pas de commentaire. Les États-Unis sont un pays allié de la France depuis très longtemps, avec lequel nous avons une relation extrêmement dense. Je comprends surtout que le discours de Joe Biden avait un peu une vocation testamentaire. Donc ce sont des propos qu’il a partagés en tant que président des États-Unis, peut-être aussi un peu à titre personnel. Et à ce titre, je ne suis pas en mesure de les commenter.
Q - Dans 10 jours, vous savez, Kobané fêtera ses 10 ans, 10 ans de la libération de la ville face à l’État islamique - Daech -, une libération rendue possible, vous le savez, grâce aux forces kurdes, aidées par la coalition internationale dont faisait partie la France. Forces kurdes saluées à l’époque dans le monde entier, notamment le président français l’a fait à plusieurs reprises. Alors aujourd’hui, les Kurdes, porteurs d’un projet démocratique assez unique dans la région et progressistes, se disent abandonnés, un sentiment d’abandon de la Communauté internationale, notamment face aux attaques turques. Plusieurs attaques, vous l’avez suivi sans doute, ont été enregistrées et perpétrées ces derniers jours au sud de Kobané. Des civils ont été tués, etc. Mes questions concernent la position française. Comment la France justifie-t-elle la différence entre son soutien affiché officiellement aux Kurdes de Syrie - on l’a vu pour les raisons…- et son silence face aux pressions et aux attaques turques sur ces mêmes Kurdes de Syrie ?
R - Les Forces démocratiques syriennes avec lesquelles nous avons lutté pendant de longs mois contre Daech font partie des forces avec lesquelles nous avons été alliés. Nous avons eu l’occasion à plusieurs reprises de saluer le rôle qu’elles ont eu, assez déterminant dans la situation syrienne. Aujourd’hui, il y a en Syrie, suite à la chute de Bachar al-Assad, un processus de transition politique qui, selon nous, doit être un processus de transition politique exigeant et inclusif. C’est-à-dire que ça doit englober l’ensemble des composantes et toute la diversité de la société syrienne, que ce soit sa diversité ethnique, religieuse ou politique. Et donc ça inclut bien évidemment la partie kurde de l’État syrien.
C’est le message qu’a porté le Ministre lorsqu’il est allé en Syrie voir le chef des autorités de fait, M. Al-Charaa, en indiquant que la Syrie de demain doit pleinement respecter les groupes divers qui la composent et changer ce qui était la politique traditionnelle de discrimination des Kurdes. C’est un message qui a été appuyé par le Ministre de manière assez forte. Nous avons l’impression et nous espérons que les autorités de transition aboutiront à un système qui soit vraiment inclusif, y compris avec les Kurdes. Je pense que notre attention ne déviera pas sur ce point.
Sur le deuxième aspect de votre question, nous sommes en lien avec les autorités turques de manière régulière. Le Ministre a des entretiens avec son homologue de manière régulière. C’est effectivement un sujet qui est abordé, et ce que nous demandons aux Turcs, c’est justement de favoriser une désescalade, de cesser cette situation conflictuelle et de trouver un modus vivendi qui convienne à toutes les parties. Mais en disant cela, en fait, on renvoie aussi à la première question, qui est une question de transition politique, c’est-à-dire que la transition politique qui est à l’œuvre actuellement à Damas doit couvrir l’ensemble du territoire syrien et, encore une fois, l’ensemble des composantes de la société syrienne, y compris bien évidemment les Kurdes. C’est un point sur lequel l’attention du Ministre est très forte.
Q - La France envisage-t-elle de rapatrier afin de les juger les membres de l’organisation terroriste Daech détenus en Syrie par les Forces démocratiques syriennes, elles-mêmes essentiellement composées du PKK-YPG, une organisation terroriste ?
R - Plusieurs ressortissants français sont détenus dans le nord-est de la Syrie. Il s’agit d’adultes qui ont décidé d’eux-mêmes de partir en Syrie et de combattre aux côtés de Daech. Selon nous, ils doivent être aujourd’hui jugés au plus proche de là où ils ont commis leurs crimes. Et cela, c’est un principe sur lequel nous avons toujours été constants : il doit y avoir une justice, et cette justice doit se faire là où se sont commis les faits. Une petite distinction, effectivement, que nous faisons pour notamment les enfants qui ont été emmenés par leurs parents, qui eux ne sont pas responsables de cette situation ; ils n’ont pas choisi de rejoindre cette cause. C’est pourquoi nous avons mis en place des opérations, déjà depuis un certain temps. Depuis 2019, nous avons organisé des opérations de rapatriement au bénéfice des mineurs français, sous réserve évidemment de l’acceptation par les parents de leur départ. Donc ça, c’est la réalité des choses. Et s’agissant du PKK, effectivement, vous l’avez dit, c’est une organisation inscrite sur la liste européenne des organisations terroristes. Et à ce titre, elle doit être distinguée très clairement des autres mouvements kurdes non violents. Et je vous rappelle que nous avons sur ce sujet aussi des discussions avec la Turquie.
Q - Je voulais savoir… La Turquie a proposé de fournir un soutien opérationnel au nouveau gouvernement syrien concernant le camp al-Hol, par exemple, où sont détenus les membres de Daech français. Que pensez-vous de ce soutien ?
R - S’agissant du soutien turc ? Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris votre question.
Q - La Turquie a dit qu’elle était prête à apporter un soutien opérationnel au nouveau gouvernement syrien concernant le camp où se trouvaient en fait ces détenus français.
R - Un des camps, oui.
Q - Voilà. Et je voulais savoir votre avis là-dessus.
R - Je ne vais pas commenter les choix qui pourraient être faits par la Turquie en la matière.
Q - Je reprends le micro pour me permettre de creuser. C’est une certaine ambiguïté que j’ai cru déceler dans votre réponse tout à l’heure. Donc, notons que dans les forces kurdes qui ont combattu victorieusement Daech, il y a maintenant 10 ans en Syrie, il y a énormément de Kurdes turcs, vous le savez, qui ont passé la frontière pour rejoindre leurs camarades de l’autre côté, notamment - j’allais dire même essentiellement - des forces du PKK, considérée comme une organisation terroriste par la Turquie, mais aussi l’Union européenne, et donc la France, France qui accueille des réfugiés kurdes qui ont parfois des liens avec le PKK. Alors, vous voyez peut-être où je veux en venir. Comment la France jongle-t-elle face à la Turquie d’Erdogan pour faire le tri, quelque part, parmi les Kurdes, qui ont pourtant vaincu l’armée de l’État islamique, notamment au profit de la communauté internationale ?
R - Encore une fois, comme je le disais tout à l’heure, il y a effectivement une distinction qui est faite entre le PKK et les organisations turques kurdes non violentes. C’est ce que j’ai redit tout à l’heure. Il y a une situation, avec des communautés kurdes turques et syriennes, et des mouvements entre les deux. Je vous redis ce que je vous ai dit sur cette question-là, c’est-à-dire qu’il y a un soutien aux Forces démocratiques syriennes, de la partie kurde de la Syrie. Nous avons toujours dit que nous serions en appui à ces forces démocratiques.
En ce qui concerne les réfugiés en France, pour le coup, ça relève des autorités nationales, et notamment de l’OFPRA, qui est chargé d’étudier les dossiers des demandeurs d’asile. C’est une administration qui est sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, donc sur les questions d’accueil des réfugiés kurdes, si vous voulez plus de détails et notamment des réponses à vos questions, je vous invite à vous tourner vers eux.
Q - À propos de Gaza, dans votre communiqué, la diplomatie dit qu’il faut y préparer le retour de l’Autorité palestinienne, qui a vocation à administrer ce territoire palestinien. Vous n’êtes pas sans savoir le niveau d’impopularité de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie. N’est-ce pas au peuple palestinien de décider de qui va administrer Gaza et le futur État palestinien ?
R - C’est l’Autorité palestinienne qui a autorité sur ces territoires. Après, il y aura des élections. Il y aura des choix qui seront faits par les Palestiniens. Mais l’Autorité palestinienne est de toute façon l’autorité qui est légitime dans ces territoires. Après, il y aura des élections et ils choisiront effectivement celui des candidats qui leur semblera le meilleur. Mais c’est le sens de ce qui est écrit dans le communiqué.
Q - Toujours conc