Communiqué de presse du réseau EurAc (Réseau Europe Afrique centrale) dont le CCFD-Terre Solidaire est membre.
A la suite des prises successives des villes de Minova et de Sake, les rebelles du M23 et l’armée rwandaise ont pris le contrôle de Goma, la capitale de la province du Nord-Kivu. Cette avancée constitue non seulement une violation flagrante supplémentaire de l’intégrité territoriale de la République Démocratique du Congo (RDC) mais compromet encore plus la stabilité régionale avec des conséquences potentiellement dramatiques pour les populations civiles.
Avec la prise de la ville de Goma, la population est une nouvelle fois victime de la spirale infernale de la violence. Plus de 400,000 personnes ont fui les affrontements au cours des trois dernières semaines, s’ajoutant aux 650,000 personnes déjà déplacées aux abords de la ville. Parmi les nombreux blessés, un nombre significatif de femmes et de filles est recensé, les exposant davantage à des violences sexuelles déjà signalées par les agences des Nations Unies (NU). A cela s’ajoute, le danger encouru par les enfants séparés ou non accompagnés qui se retrouvent dans des situations de vulnérabilité extrême.
Les civils sont confrontés à une situation humanitaire extrêmement grave, qui se détériore rapidement. L’approvisionnement en eau et en électricité a été coupé, empêchant les civils de communiquer avec le reste du pays. Le risque grave de crise sanitaire est exacerbé par les attaques perpétrées contre des hôpitaux débordés par l’afflux de blessés.
L’isolement de Goma et de ses environs restreint davantage l’accès à l’aide humanitaire et à la fourniture de services à la fois au sein de la ville et des camps de déplacés. La distribution d’aide alimentaire, dernier rempart contre la pénurie, a été temporairement suspendue. La destruction des moyens de communication complique l’accès à l’information des autorités nationales et aboutit à la hausse de la désinformation, nourrissant les sentiments de peur, d’insécurité et de désespoir.
Face à cette situation, le réseau Europe Afrique centrale (EurAc) craint des violations graves et systématiques des droits humains et s’inquiète particulièrement pour les journalistes, défenseurs de droits humains (DDH) et la société civile dans son ensemble dont la sécurité doit être assurée.
Dans ce contexte alarmant, la réponse de la communauté internationale reste limitée et peu concrète et ceci malgré les alertes répétées de la société civile locale et internationale.
L’échec de la diplomatie européenne face à la crise
A travers le prisme d’EurAc, la gestion passive du conflit et le « business as usual » ont montré leur inefficacité au fil du temps. Cette attitude a alimenté l’escalade des tensions régionales et a contribué à perpétuer des modèles d’agression devenus chroniques dans la région. En conséquence, la confiance des congolais.es dans la légitimité et l’intégrité de leurs partenaires européens et internationaux a été considérablement affaiblie.
De nombreuses ONG locales et groupes civils ont exprimé leur déception face à l’inaction de la communauté internationale qualifiée d’« hypocrite », car incapable de mettre en œuvre des mesures concrètes pour sanctionner les auteurs de violation du droit international et du droit international humanitaire.
L’UE insensible aux alertes répétées de la société civile
Au cours de ces dernières années, les acteurs de la société civile et experts des NU n’ont cessé d’alerter l’UE et la communauté internationale sur la détérioration du contexte sécuritaire en RDC. En tant que réseau, travaillant étroitement avec des partenaires locaux de la région, EurAc s’est continuellement adressé aux décideurs clés de l’UE et de ses États membres sur les fragilités croissantes de la situation dans l’Est de la RDC, soulignant le risque d’une extension régionale du conflit.
Notre analyse du contexte a permis d’identifier de graves incohérences dans les politiques de l’UE qui ont envoyé des signaux ambigus aux pays de la région. Un exemple frappant est la signature d’un protocole d’accord entre l’UE et le Rwanda sur les minerais en 2024, alors que le pays était déjà condamné par la communauté internationale pour son soutien actif au M23 sur le territoire de son voisin Congolais et que les minerais extraits au nord Kivu transitent illégalement par le Rwanda.
De plus, la même année, dans le cadre de la Facilité Européenne pour la Paix (FEP), l’UE a alloué des fonds supplémentaires au Rwanda malgré son soutien avéré au M23 afin d’appuyer son déploiement au Mozambique. Les garanties de traçabilité de ces fonds, de leur utilisation ainsi que des bénéficiaires finaux sont totalement insuffisantes. Ces décisions politiques ont contribué à nourrir les tensions déjà vives dans la région en suggérant que des nouvelles violations du droit international par le Rwanda pourraient rester impunies.
Aux yeux de nos partenaires des Grands Lacs, cette succession de décisions politiques incohérentes rend l’UE complice des développements récents qui ont amené à la crise actuelle dans l’Est de la RDC. L’UE, ses États membres et le reste de la communauté internationale doivent non seulement continuer à fermement condamner tout soutien du Rwanda aux actions du M23 mais également mettre en œuvre des mesures concrètes pour parvenir à une résolution pacifique et durable du conflit.
Recommandations à l’attention des décideurs politiques de l’UE
Dans ce contexte fragile, et compte tenu de l’urgence de la situation humanitaire et sécuritaire
dans l’est de la RDC, EurAc appelle l’Union européenne et ses Etats membres à urgemment
prendre les mesures suivantes :
I. Cessez-le-feu et aide humanitaire
- Prioriser la protection immédiate et sans entrave des civils et des infrastructures civiles conformément au droit international. Pour ce faire, il convient de garantir sans délai et durablement l’accès des zones occupées par le M23 aux organisations internationales qui collaborent avec la société civile congolaise.
- Garantir la mise en place de couloirs humanitaires afin de faciliter l’acheminement immédiat, massif et sans entrave d’une aide d’urgence pour répondre aux besoins immédiats de la population dans Goma et ses zones environnantes, avec une attention particulière portée aux personnes déplacées par le conflit et en intégrant une approche sensible au genre.
- Exiger et soutenir la mise en place de mécanismes de protection des défenseurs des droits de l’homme (DDH) et de l’ensemble des acteurs de la société civile du nord Kivu quel que soit leur secteur d’intervention. Il faut impérativement exiger la préservation de leur droit à la liberté d’association et d’action.
- Entamer des actions collectives visant à rétablir le dialogue politique avec toutes les parties au conflit et imposer une médiation à la table des négociations conformément aux processus de Luanda et de Nairobi. Il est indispensable de garantir un processus de paix inclusif avec la participation de la société civile dans toute sa diversité.
II – Mise en place de sanctions
La situation actuelle exige la mise en œuvre de sanctions concrètes et adaptées à l’égard du Rwanda jusqu’au retrait total et vérifiable de ses troupes dans l’Est de la RDC et de son soutien au conflit armé. Plus concrètement, les membres du réseau EurAc appellent à :
- Le retrait du protocole d’accord entre l’UE et le Rwanda sur les minerais.
- La cessation de toute coopération militaire avec le Rwanda, et particulièrement le financement alloué au Rwanda dans le cadre de la Facilité Européenne pour la Paix (FEP) afin de garantir que l’aide ne soit pas utilisée pour renforcer des opérations militaires en RDC.
- La révision et le conditionnement des instruments financiers de coopération alloués au Rwanda pour la période en cours. L’évolution du contexte sécuritaire doit être un critère déterminant lors des négociations du prochain Programme Indicatif Pluriannuel (MIP).
- La mise à jour urgente de la liste des sanctions ciblées pour les personnes impliquées dans des violations graves des droits de l’homme et de crimes de guerre au vu des événements récents, avec une attention particulière portée aux violences sexuelles liées aux conflits.
Le Réseau Europe-Afrique centrale (EurAc)
Photo de couverture : ©Gwenn Dubourthoumieu /CCFD-Terre Solidaire