Le 1er février, cela fera 4 ans qu’un coup d’Etat militaire a plongé la Birmanie dans la dictature et la guerre civile. Le temps d’un café, Marion Tertre, chargée de mission partenariats Asie du Sud-Est pour le CCFD-Terre Solidaire, raconte sa mission en Thaïlande, à la rencontre d’une communauté de jeunes Birmans en exil.
Assis dans la vaste salle du premier étage de la maison du partenaire Nyaingjayè – un nom signifiant « paix » en birman, modifié ici pour préserver leur anonymat – de jeunes Birmans et Birmanes échangent joyeusement tout en savourant des plats typiques de leurs régions natales. Marion Tertre se trouve parmi eux. Ce moment informel offre une opportunité de tisser des liens humains avec le partenaire et ses bénéficiaires, loin des cadres protocolaires. « Ces instants informels sont tout aussi essentiels à nos missions que les réunions officielles » explique Marion Tertre.
Une mission en exil
Cette mission se déroule en Thaïlande, un pays voisin devenu refuge pour des millions de Birmans depuis le coup d’État militaire du 1er février 2021. Depuis cette date, le CCFD-Terre Solidaire ne peut plus accéder au territoire birman. Environ sept millions de réfugiés birmans vivent aujourd’hui en Thaïlande, la majorité en situation irrégulière. En l’absence de ratification par la Thaïlande de la Convention de Genève sur les réfugiés, aucune protection juridique n’est garantie à ces exilés.
Deux voies seulement permettent aux Birmans d’entrer légalement dans le pays : un visa étudiant ou un visa de travailleur immigré, principalement délivré pour des emplois dans le secteur du bâtiment. Cependant, seuls 3,4 millions de Birmans disposent actuellement de ce précieux sésame.
« Il existe une connivence certaine entre les régimes thaïlandais et birman, tous deux profondément marqués par la présence omniprésente de l’armée dans la vie politique », explique Marion Tertre. Les exilés birmans sont fréquemment confrontés à des discriminations, à des arrestations arbitraires et à des expulsions forcées. « La situation sécuritaire est désastreuse », déplore-t-elle avec gravité.
Février 2021 : le basculement en Birmanie
« Lorsque la junte militaire a pris le pouvoir en février 2021, la population birmane s’est massivement soulevée, raconte Marion Tertre. Les manifestations pacifiques ont été brutalement réprimées dans le sang. Cette répression a entraîné une escalade, jusqu’à la guerre civile. Aujourd’hui, la quasi-totalité du territoire birman est une zone de guerre. »
→ Écoutez le podcast : « La société civile fait preuve de résilience en Birmanie »
« La junte, désormais en perte de contrôle sur une grande partie du territoire, multiplie les mesures pour réaffirmer son emprise, poursuit Marion. En avril 2024, elle a instauré la conscription obligatoire pour les hommes et les femmes âgés de 18 à 35 ans. »
Cette décision a déclenché un nouvel exode massif de jeunes Birmans vers la Thaïlande, fuyant la perspective d’un enrôlement forcé.
Nyaingjayè : un acteur résilient dans un contexte hostile
Malgré les immenses défis, Nyaingjayè continue d’agir en Birmanie, bien que les conditions sur le terrain soient de plus en plus périlleuses. Par le passé, l’organisation formait les jeunes à l’engagement militant, en les impliquant dans des initiatives sociales et agroécologiques. Cependant, ces derniers sont désormais considérés comme une population à haut risque par la junte, rendant toute collaboration quasi impossible.
Face à cette situation, Nyaingjayè a redirigé son action vers les femmes, « moins suspectées par le régime ». Des ateliers dédiés à l’agroécologie et à la production alimentaire sont organisés, répondant à l’urgence d’un pays frappé par la famine, conséquence d’une crise économique et d’une politique de la terre brûlée menée par la junte dans les régions dissidentes.
Lors de la soirée organisée par Nyaingjayè en Thaïlande, de nombreux jeunes ayant collaboré avec l’organisation en Birmanie étaient présents.
« L’atmosphère festive tranchait avec le quotidien marqué par l’ennui, la peur et la précarité », se remémore Marion.
Aller plus loin :
- Ecouter l’épisode précédent : En Afrique du Sud, la résilience par la terre
- Lire notre article : Birmanie : comprendre la résistance trois ans après le coup d’état
Une série de podcasts réalisée par Sidonie Hadoux pour le CCFD-Terre Solidaire.
Chargée de production : Lili Payant
Musiques :
- Generation driven by Faith, du groupe de rap birman Acid dont le chanteur Zay Yar Thaw, militant politique, a été exécuté en juillet 2022 par la junte.
- Kaba Ma Kyei Bu, devenu hymne de la révolution de printemps
Photo de couverture : Tananchai Keawsowattana