20 ans de la Loi Handicap - Entretien avec Charles Gardou, président de la FIRAH - Fédération APAJH

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Scolarité, participation citoyenne, compensation, emploi… La loi inscrivait un véritable changement de société. Qu’en est-il en 2025 ? Entretien avec Charles Gardou, président de la Fondation internationale de la recherche appliquée sur le handicap. L’auteur de nombreux ouvrages sur la diversité dont « La société inclusive, parlons-en ! Il n’y a pas de vie minuscule » (Editions Erès – 2012) nous éclaire sur une loi majeure pour les personnes en situation de handicap.

En quoi la loi de 2005 était-elle nécessaire ?

En 1980, la Classification Internationale du Handicap/CIH proposait une définition du handicap, fondée sur un modèle médical et le triptyque : déficience (dimension lésionnelle), incapacité (dimension fonctionnelle), désavantage (dimension situationnelle). Deux décennies après, la Classification Internationale du Fonctionnement humain, du handicap et de la santé/CIF de 2001 proposait une synthèse -soit-elle imparfaite- des dimensions biologiques, psychologiques et sociales, en définissant le handicap comme le résultat de l’interaction complexe entre, d’une part, un problème de santé (lésions, maladie, traumatisme, troubles, etc) et des facteurs personnels et, d’autre part, les circonstances, les conditions de vie de la personne concernée et, plus précisément, les facteurs contextuels en termes d’obstacles et de facilitateurs. Ce changement majeur de point de vue ne réduit plus le handicap à une manifestation pathologique individuelle mais en fait un « événement » individuel à portée collective.
Trente ans après la loi d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975, portée par Simone Veil, qui fit de l’intégration une priorité nationale, s’imposait donc une autre loi qui prenne en compte cette nouvelle conception et lui donne corps autour des principes d’égalité des droits et des chances, de participation et de citoyenneté.

C’est l’intitulé même de la loi du 11 février 2005, qui marque un moment dans l’histoire de la lutte, toujours inachevée, en faveur d’une liberté, d’une égalité et d’une fraternité en actes.

Quels sont les grands volets de la loi du 11 février 2005 ?

Elle repose sur deux « fondamentaux » indissociablement liés : l’accessibilité, condition sine qua non d’une société inclusive, et la compensation, en réponse au principe d’équité, condition de l’égalité.

Le premier implique une action sur le contexte pour atténuer les résonances du handicap, quelle qu’en soit sa source, y compris lorsqu’il résulte de troubles d’ordre psychique. Il n’invite pas seulement à réparer les pannes du social mais, plus profondément, à en travailler la pâte. Ce dans la perspective d’une accessibilité multidimensionnelle et universelle, comprise comme accès, naturel, libre, équitable aux biens collectifs. D’où des dispositions relatives aux espaces et services publics, au cadre bâti, aux moyens de communication, aux outils numériques, au soin, à l’art et la culture, aux sports et loisirs, aux transports et à l’ensemble de la chaîne des déplacements, sans rupture du continuum. Et, bien sûr, à l’éducation et à l’emploi. Sur la base d’un projet personnalisé de scolarisation (PPS), la loi ouvre le droit à l’inscription dans l’établissement scolaire le plus proche de son domicile pour tout enfant ou adolescent en situation de handicap. Sur le versant de la vie professionnelle, elle renforce, par des sanctions augmentées, l’obligation d’emploi de 6 % de personnes en situation de handicapées, inclus le secteur public.

Le deuxième de ces « fondamentaux » renvoie à l’obligation de solidarité collective. En découle le droit à la compensation, traduit, entre autres mais sans s’y réduire, par une prestation correspondante (PCH) qui englobe, sur la base d’un projet de vie, des aides de toute nature, prenant en compte l’entourage de la personne concernée. Les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH), guichets uniques créés dans chaque département, ont pour vocation d’évaluer les besoins et d’ouvrir les droits nécessaires à la réalisation de ce projet de vie.

20 ans après, quel est le bilan ?

Si les objectifs de la loi sont pertinents, et que, grâce à elle, des progrès ont été accomplis, on constate en divers domaines une mise en actes défaillante, liée à des ressources humaines ou matérielles, un calendrier, des moyens d’évaluation et de contrôle qui n’apparaissent pas à la hauteur des ambitions affichées.

Le défaut d’accessibilité met à mal l’effectivité de droits fondamentaux, qui appartiennent à tous et doivent pouvoir s’exercer pour chacun. Or, cette question n’a pas été considérée, comme il se devrait, par les Pouvoirs Publics, enclins à s’en tenir à des déclarations de principe. Les dérogations initiales comme celles surajoutées par la suite ne se justifient aucunement. Je songe notamment à l’accessibilité du cadre bâti et des transports que l’Ordonnance du 26 septembre 2014 et, quatre ans plus tard, l’article 64 de la loi Élan en 2018 sont venues compromettre. Sachant que près d’un établissement sur deux recevant du public (ERP) reste encore inaccessible, les règles d’accessibilité exigeraient, au contraire, d’être accentuées et universalisées, en réinterrogeant le sens et l’usage du concept d’aménagements raisonnables.

Quant à l’effectivité du droit à la compensation, d’autant plus nécessaire que l’accessibilité est déficiente, elle est entravée par des obstacles persistants. Comme l’indique le bilan du Collectif Handicaps, publié en novembre 2024, ces obstacles tiennent à la complexité des démarches, la minoration des besoins réels, l’importance du reste à charge, les disparités territoriales ou encore le difficile accès à la gamme complète de services d’accompagnement. Les difficultés sont amplifiées, à des degrés divers selon la densité de population du département, par un fonctionnement trop administratif, et gestionnaire et complexe des MDPH, dont la vocation est l’aiguillage et non le triage : une focalisation sur les déficiences ou troubles prend le pas sur la réponse aux besoins ; les délais d’attribution des aides conduisent à des renoncements ou à des ruptures de parcours.

En résumé, et nonobstant des avancées, l’urgence consiste à combler l’écart entre les promesses législatives, les discours convenus sur la simplification et la réalité quotidienne des personnes en situation de handicap, de leurs proches et des professionnels qui les accompagnent, éduquent ou soignent. La plupart des manquements proviennent d’un conflit entre l’intention, le discours et l’action : on ne fait pas ce qui est annoncé et on finit par perdre de vue ce qui était visé.

Identifiez-vous des priorités pour susciter les évolutions espérées ?

Je vous répondrai que sans un puissant investissement éducatif et formatif, une loi, quelle qu’elle soit, ne peut, à elle seule, vaincre les résistances et transformer en profondeur notre culture.

Aussi deux enjeux sont-ils, à mes yeux, prioritaires.

Le premier est l’éducation qui, en marchant de pair avec l’évolution de la pensée, est la condition d’avancées culturelles qu’aucune autre voie ne permet d’atteindre.

Or, si le droit, octroyé par la loi, d’inscrire à l’école tout enfant ou adolescent en situation de handicap constitue un réel progrès, l’augmentation substantielle du nombre d’enfants concernés (leur effectif a triplé depuis 205) ne saurait gommer l’impérative nécessité d’une amélioration qualitative des conditions de leur scolarisation.

Où en est-on, objectivement, en termes de présence effective des enfants concernés, d’accessibilité pédagogique et d’aide individualisée, d’aménagements raisonnables, de langages (LSF, braille, FALC, Communication Alternative Améliorée), d’accès à l’enseignement supérieur ? Qu’en est-il de la formation des professeurs et de l’ensemble des acteurs éducatifs, dont les AESH ? Comment accompagne-t-on la mutualisation des compétences entre le secteur médicoéducatif et l’Ecole ? Veut-on la fin de la filiarisation de ces deux systèmes, où, sous la responsabilité de l’Éducation Nationale, les apports du premier seraient des appuis pour le second ?

L’Ecole se contente-t-elle de « faire de l’inclusion » ou est-elle réellement inclusive ? Force est de constater que nombreux sont encore les enfants « en inclusion » côté jardin et « en exclusion » côté cour, faute d’adaptations des méthodes, des supports, à la diversité des besoins, des itinéraires et des projets. Le rapport de la Cour des Comptes de septembre 2024, intitulé L’inclusion scolaire des élèves en situation de handicap, confirme ces carences. Au demeurant, environ 200 000 enfants en situation de handicap seraient déscolarisés, ce qui représente près d’un tiers des enfants avec des droits ouverts par leur MDPH, selon les données publiées en février 2024 par l’Association Ambition école inclusive (AEI).Ce chiffre renvoie l’Etat à ses responsabilités au regard du droit constitutionnel à l’instruction.

La formation des professionnels est le deuxième le deuxième enjeu prioritaire, méritant de figurer comme obligation applicable en tous secteurs. C’est par cette force foncièrement progressiste que pourront se modifier en profondeur les pratiques professionnelles, qui ne requièrent pas seulement un engagement personnel mais des savoirs et des compétences adaptées.

Or, la loi n’ayant pas fait une priorité de cette problématique, ce que l’on appelle « formation » se limite souvent à une sensibilisation, une information ou au mieux à quelques actions ponctuelles, soumises le plus souvent aux aléas budgétaires et à la bonne volonté des éventuels participants. De sorte que la plupart des professionnels se trouvent confrontés à une injonction paradoxale : contribuer activement à façonner des lieux inclusifs (et non plus exclusifs), apporter des réponses ajustées à la singularité des profils, à la diversité des besoins et des projets sans y être préparés par une formation digne de ce nom. Aussi peinent-ils à situer la question du handicap où elle doit être, à savoir dans le quotidien professionnel.

Est-il nécessaire, voire souhaitable, de refaire une loi Handicap dans la société de 2025 ?

Il est vrai que, lors de son Discours de politique générale du 1er octobre 2024, le Premier Ministre d’alors a invité les parlementaires à envisager, dans une démarche transpartisane, une nouvelle loi. Je rejoins toutefois un avis assez largement partagé : il ne s’agit pas de produire une autre loi mais d’appliquer celle en vigueur et de mettre nos politiques sociales en conformité avec le contrat souscrit au travers de la Convention Internationale des Nations-Unies. On ne peut ignorer que notre pays a fait l’objet de rappels à l’ordre successifs : par le Comité des droits des Nations Unies, le Conseil de l’Europe, le Défenseur des Droits comme autorité indépendante.

« Ceci étant, je ne considère pas la loi de 2005 comme un aboutissement ou une ligne d’arrivée mais comme une étape sur le chemin qui conduira à terme à la suppression de ce type de législations particularistes ou exclusives.« 

Ceci étant, je ne considère pas la loi de 2005 comme un aboutissement ou une ligne d’arrivée mais comme une étape sur le chemin qui conduira à terme à la suppression de ce type de législations particularistes ou exclusives. Le temps vient du droit commun où chaque loi sera assortie des adaptations que requiert le handicap, mais dont l’ensemble du corps social sera tout entier bénéficiaire.

Pour conclure, que vous inspire, plus globalement et d’un point de vue anthropologique, ce 20ème anniversaire de la loi de 2005 ?

Un anniversaire s’apparente à un rite de passage. Celui que nous marquons aujourd’hui commémore un acte législatif soumis au passage du temps et à l’épreuve du fonctionnement de notre société. Dans tout rite, iI y a un « avant », un « pendant » et un « après » : ici, l’« avant » correspond à ce qui a été initialement voulu ; le « pendant » est la confrontation au réel qui bouscule ce l’on aurait pu penser établi ; l’« après » est ce qui ouvre sur de nouvelles perspectives, compte-tenu de l’expérience acquise et de la transmission à assurer. Contrairement à une fête à caractère ponctuel, ce rite d’anniversaire amène à réfléchir à la signification de ce que la loi a voulu générer, à ce qui doit être amélioré ou réactualisé et à l’horizon vers lequel, ensemble, cheminer.

Dans ses formes traditionnelles, il advient qu’un rite conduise au changement de nom des initiés. A ce titre, il m’apparaît que l’usage du terme « handicap » mérite d’être aujourd’hui réinterrogé. Il fait partie de ces concepts émoussés qui continuent à vivre, en entretenant des phénomènes de stigmatisation et donnant lieu à des déformations ou des confusions.

Je suggère le terme d’« empêchement », au terme d’une longue réflexion et inspiré par l’expression « publics empêchés », désignant, selon le Ministère de la Culture, ceux qui ne se rendent pas dans les lieux culturels pour des motifs physiques, psychologiques, sociologiques, économiques ou sociales.

L’inapplication de la loi ; la complexité et les pesanteurs administratives ; la rigidité des normes, des règles et des systèmes ; le désajustement des planifications et des politiques sociales ; l’inadaptation des produits et des services ; l’impréparation des professionnels ; le défaut de soutiens, d’accompagnements, de relations et d’interactions ; les effets de la catégorisation ; les ruptures dans le parcours de scolarisation, si ce n’est la scolarisation ; la dévalorisation des potentiels individuels ; la privation du droit à exprimer ses propres besoins et désirs  ; l’insuffisance de « plans inclinés » de tous ordres, qu’ils soient architecturaux, sociaux, éducatifs, pédagogiques, professionnels ou culturels  constituent autant d’empêchements à l’effectivité des droits, à la participation sociale, au déploiement des potentiels, à l’exercice du pouvoir d’agir et de la capacité d’auto-détermination ou d’autoreprésentation. Cette notion d’empêchement est indissociable de celle de responsabilisation individuelle et collective face tout ce qui est susceptible d’entraver ou de restreindre les possibilités d’une personne d’accéder aux ressources, de prendre part à la vie de sa société d’appartenance et d’y être acceptée.

Pour conclure, ce rite-anniversaire invite tout citoyen et responsable politique à veiller plus que jamais, à sa mesure et à la place qu’il occupe, à ce que les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, que véhicule la législation de 2005, dépassent les seuls discours convenus pour être mis en actes, prioritairement pour les citoyens qui en ont le plus besoin. Le niveau actuel de nos connaissances et de nos moyens d’intervention n’autorise plus à attribuer au hasard ou aux lois de la nature humaine l’intégralité des empêchements qu’ils connaissent encore. Tel est le défi à relever collectivement : une loi n’y suffit pas.

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Céline