Saul Loeb / AFP
- La Fédération internationale des droits humains (FIDH) appelle les États parties à la Cour pénale internationale (CPI) à se mobiliser pour protéger l’indépendance de la Cour et assurer l’accès à la justice pour les victimes de crimes internationaux.
- La FIDH et ses organisations membres condamnent avec la plus grande fermeté le décret exécutif signé hier, qui instaure un régime de sanctions contre la CPI, ses soutiens, et celles et ceux qui œuvrent pour obtenir justice pour les atrocités de masse, y compris les victimes et leurs défenseur·es, attaquant ainsi le fondement même de la justice internationale.
- Ce décret exécutif draconien sape le mandat essentiel de la CPI, chargé de prévenir et de mettre fin à l’impunité des crimes les plus graves. Il menace également ses activités quotidiennes en entravant l’accès à la justice pour les victimes des crimes visés par le Statut de Rome, tels que le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le crime d’agression, dans les pays concernés par les enquêtes de la CPI à travers le monde.
- En visant potentiellement le personnel et les juges de la CPI, les représentant·es légal·es des victimes, la société civile, les prestataires de services, les autorités nationales et d’autres acteur·ices, y compris les victimes elles-mêmes, ce décret met gravement en péril les efforts internationaux visant à combattre l’impunité pour les atrocités de masse.
- La FIDH appelle les 125 États parties au Statut de Rome à dénoncer publiquement ce décret exécutif comme une attaque contre la justice internationale et la responsabilité, et à adopter des mesures fermes pour défendre l’indépendance de la CPI, assurer son bon fonctionnement, et protéger les droits des victimes ainsi que leur accès équitable à la justice.
La Haye, Paris, 7 février 2025. Le 6 février 2025, le Président Trump a signé un décret exécutif déclarant une urgence nationale et établissant un régime de sanctions global à l’encontre de la CPI. Ce décret permet d’imposer des sanctions à des individus et/ou des entités figurant dans une annexe (encore non publiée), ainsi que des sanctions futures contre des personnes et entités étrangères impliquées ou soutenant les efforts de la CPI pour enquêter, arrêter, détenir ou poursuivre des ressortissant·es étasunien·nes ou allié·es, y compris des responsables israélien·nes. Ces sanctions comprennent le gel des avoirs et des interdictions de voyage à l’encontre de personnes et d’entités étrangères fournissant un soutien juridique, financier, matériel ou technologique aux initiatives de la CPI. De plus, les individus et entités étasunien·nes sont interdit·es de fournir certains types de soutien aux personnes ou entités sanctionnées, sous peine de sanctions civiles ou pénales en vertu de la législation étasunienne.
Le décret exécutif constitue une menace grave pour la CPI et ses partenaires, y compris le personnel, les juges, les victimes, les témoins, les avocat·es des victimes, la société civile, ainsi que les prestataires de services tels que les banques et les entreprises technologiques. Il s’étend même aux États membres de la CPI qui apportent leur aide ou leur soutien aux enquêtes concernant des personnes protégées. De plus, il autorise des sanctions futures contre des individus soutenant des personnes déjà sanctionnées, élargissant ainsi considérablement son champ d’application. Enfin, le décret impose la soumission d’un rapport dans un délai de 60 jours pour identifier de nouvelles cibles de sanctions.
Un double standard manifeste
Le Président Trump appelle à « nettoyer » et « prendre le contrôle » de Gaza, tout en recevant cette semaine le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, suspect devant la CPI. Dans le même temps, son administration intensifie son attaque contre la justice internationale en soutenant ouvertement la commission de crimes internationaux et en cherchant à saper les efforts mondiaux visant à garantir la responsabilité et la justice pour les victimes. Ce décret exécutif met également en lumière le double standard flagrant des États-Unis : tout en exigeant la responsabilité pour des adversaires tels que Vladimir Poutine (Russie) et Omar al-Bashir (Soudan), les États-Unis protègent leurs propres citoyen·nes et allié·es de tout examen. Cette hypocrisie est encore amplifiée par le décret exécutif du 21 janvier 2025, qui annule les sanctions de l’ère Biden contre des groupes israéliens d’extrême droite accusés d’attaques violentes contre les Palestinien·nes en Cisjordanie occupée. En appliquant sélectivement les principes de justice et de responsabilité, cette administration privilégie ses intérêts politiques au détriment de l’état de droit, sapant ainsi le principe d’égalité devant la loi et les fondements des droits humains et de la justice internationale.
Selon Katherine Gallagher, avocate principale au Center for Constitutional Rights (CCR) et représentante légale des victimes devant la CPI, « ce décret exécutif est une attaque directe contre une institution judiciaire indépendante nécessaire pour lutter contre l’impunité des crimes de guerre. Il cible un nombre incalculable de victimes, d’avocat·es, d’enquêteur·ices, de représentant·es des victimes, et d’autres dans le but d’entraver le travail de la Cour et l’empêcher de faire son travail en cherchant à tenir responsables les responsables israéliens des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité contre les Palestiniens à Gaza. » Elle ajoute : « Les États-Unis devraient se soucier de défendre les normes internationales au lieu de chercher à démanteler les mécanismes de justice internationale et de perpétuer l’impunité systémique pour eux-mêmes et leurs dirigeants israéliens. »
Diana Alzeer, vice-présidente de la FIDH et représentante d’Al-Haq, a également souligné les conséquences plus larges de ce décret pour toutes les victimes d’atrocités : « ce décret constitue une offense pour les victimes de la situation en Palestine devant la CPI, mais son impact va bien au-delà en affectant toutes les autres victimes. Il exerce un effet dissuasif sur toutes les situations, protège les criminel·les de guerre et ouvre encore davantage la voie à la commission de crimes internationaux. En s’alignant sur ces criminel·les de guerre, les États-Unis renforcent leur propre complicité, notamment dans la situation en Palestine. Ces sanctions menacent les fondements mêmes de la justice internationale. En ciblant la Cour, elles mettent en péril l’ensemble des enquêtes et poursuites, du Venezuela au Soudan, en passant par le Myanmar, l’Ukraine, l’Afghanistan et au-delà. Le message envoyé aux victimes et à la communauté internationale est dévastateur : le leadership étasunien est prêt à entraver leur quête de justice à l’échelle mondiale. »
Face à cette tentative manifeste d’interférer avec l’indépendance de la CPI, la FIDH appelle le Procureur de la CPI à ouvrir une enquête sur les responsables étasuniens, y compris le président Donald Trump, pour d’éventuelles « infractions contre l’administration de la justice » au regard de l’Article 70 du Statut de Rome. Cela pourrait inclure des allégations d’ « entrave, d’intimidation » ou de « représailles » à l’encontre des fonctionnaires de la Cour en lien avec leurs enquêtes, poursuites et décisions concernant les crimes allégués dans le cas de la Palestine.
Un précédent dangereux : il est temps de réagir.
Il est également temps que les États parties à la CPI réagissent de manière ferme et décisive. Alexis Deswaef, vice-président de la FIDH, a souligné que « ce décret exécutif crée un précédent dangereux, en attaquant la CPI et en menaçant un réseau mondial d’organisations de la société civile, de défenseur·es des droits humains et de représentant·es des victimes, y compris les membres et partenaires de la FIDH, qui collaborent avec la Cour. Les États parties au Statut de Rome doivent se lever contre cette attaque contre le droit international en prenant des mesures concrètes pour protéger le travail de la CPI et garantir l’accès des victimes à la justice. » Il a ajouté que « cela inclut l’opposition publique à ces mesures nuisibles, la réaffirmation de leur engagement envers la Cour, et la garantie du maintien d’une coopération solide. L’impunité ne doit pas prévaloir — les victimes méritent de l’action, pas du silence, de la part de celles et ceux qui ont promis de défendre leurs droits. »
La FIDH appelle les 125 États parties à la CPI à prendre des mesures immédiates et décisives.
– Condamner publiquement le décret exécutif comme une menace grave pour le bon fonctionnement de la CPI, son indépendance, les droits des victimes, et pour l’ensemble du système de justice internationale.
– Coopérer pleinement avec la CPI dans les enquêtes et poursuites de tou·tes les suspect·es, comme le prescrit le Statut de Rome. Cela inclut l’exécution des mandats d’arrêt, tel que celui visant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu. Des États comme la Pologne, la France, l’Italie, la Roumanie, la Hongrie, l’Autriche, l’Allemagne et d’autres ont suggéré qu’ils pourraient ne pas exécuter ce mandat. Cela compromet non seulement la justice pour les victimes, mais renforce également l’impunité des auteur·es d’atrocités de masse, menaçant ainsi la légitimité de la Cour, qui a plus que jamais besoin du soutien des États.
– Assurer la protection du personnel de la CPI et de ses partenaires, y compris des organisations de la société civile, contre toute forme de représailles, sanctions ou interférences, telles que l’adoption de lois nationales et régionales similaires à celles de l’Union européenne, qui pourraient étendre les sanctions liées à la CPI à leur portée, afin d’aider à protéger les fournisseurs et garantir le soutien financier et logistique aux opérations quotidiennes de la Cour.
– Exercer une pression diplomatique accrue, notamment par des démarches officielles, des lettres privées et des engagements bilatéraux, pour exhorter les États-Unis à annuler ce décret exécutif et à soutenir les efforts mondiaux visant à lutter contre l’impunité.
La FIDH va continuer d’être pleinement engagée aux côtés des victimes et réaffirme son soutien indéfectible à la CPI. Nous poursuivrons notre collaboration avec la société civile, les États parties et tou·tes les acteur·ices concerné·es pour garantir le respect du mandat de la CPI et assurer l’accès à la justice pour les victimes de crimes relevant du Statut de Rome.
Contexte
Le 6 janvier, la FIDH a rejoint plus de 130 organisations de défense des droits humains, expert·es juridiques et groupes de la société civile dans une lettre ouverte adressée aux membres du 119e Congrès et à l’administration présidentielle entrante de Donald Trump, les appelant à s’opposer aux attaques contre la CPI. Le 14 janvier, la FIDH a de nouveau uni ses forces à celles de plus de 145 organisations membres de la Coalition pour la CPI dans une déclaration conjointe, exprimant une opposition ferme aux sanctions étasuniennes et appelant les États parties à la CPI à défendre la Cour, ses fonctionnaires et toutes les personnes collaborant avec elle contre les mesures visant à affaiblir son mandat essentiel pour la justice.
Les États-Unis ont entretenu une relation tendue avec la CPI, s’opposant à sa juridiction sur les citoyen·nes étasunien·nes et allié·es tout en exigeant la responsabilité pour leurs adversaires en vertu du droit international. Le décret exécutif représente une escalade dans cette opposition, s’appuyant sur des mesures antérieures visant la CPI et ses affilié·es. L’ajout d’un système d’annexe dans le décret exécutif le 6 février 2025 permet d’accélérer la mise en œuvre des sanctions contre les personnes et entités étrangères désigné·es, par rapport au décret de Trump de 2020, qui prévoyait des désignations au cas par cas. Tant que l’annexe, qui contient les désignations spécifiques, n’est pas rendue publique, l’étendue exacte des sanctions reste incertaine. En attendant, le décret produit déjà un effet dissuasif, poussant organisations et individus à se distancer de la CPI pour éviter des sanctions potentielles.