Le Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, accueilli à Paris les 10 et 11 février derniers, a mis l’IA partout dans les médias. L’occasion de questionner l’intérêt de cette technologie dans les pratiques d’écriture du journalisme, de l’édition et de la création. Coup d’œil chez trois médias.
Lu chez Libération — Les journalistes recherchent le temps perdu
Dans cet article, Libération propose un aperçu concret de la manière dont les journalistes, en particulier les plus jeunes, utilisent l'IA générative dans leur travail quotidien. Il met en lumière une réalité souvent cachée (ou volontairement ignorée) : l'IA est déjà présente dans les rédactions, parfois à l'insu des directions, et transforme profondément les pratiques journalistiques. La diversité des témoignages recueillis par Coppélia Piccolo et Florian Gouthière révèle une palette d'usages allant de l'aide à la rédaction à la recherche d'angles, en passant par la reformulation de textes. Sans surprise, les journalistes de presse écrite, de radio et de télévision utilisent aujourd’hui principalement l’IA comme assistante discrète dans un souci de gain de temps.
⟶ Pour répondre à la pression temporelle. Lise, jeune journaliste, confie : « C’est le syndrome de la page blanche et la contrainte de devoir écrire un article le plus vite possible qui m’ont, au départ, poussé à utiliser l’intelligence artificielle ».
⟶ Pour gagner du temps de terrain. Hervé, journaliste de presse régionale, assume un usage « intensif » et « radical » de l'IA, allant jusqu'à recycler sa propre production. « Pour moi, le métier de journaliste, c’est aller collecter de l’info. Le reste, ça m’intéresse moins, alors je délègue, et je pense qu’on va aller vers ça… ».
Vu chez France Culture — L’IA n’a pas de style
Cette vidéo de France Culture relate une expérience de création artistique. Le principe : écrire, éditer et publier un roman de science-fiction grâce à l’IA, pour souligner les enjeux économiques, juridiques et philosophiques que la technologie peut poser dans le monde de l’édition. Là où Libération soulignait le temps retrouvé grâce à l’intelligence artificielle, Alexis Magnaval, journaliste chez France Culture, met en lumière les faiblesses stylistiques et narratives des textes produits par I’IA. Son enquête montre que si celle-ci peut imiter un raisonnement, un langage ou un processus de création, elle ne peut pas remplacer l'expérience humaine, le vécu et l'ancrage dans le monde qui sont nécessaires à la création littéraire. Elle souligne également les risques de standardisation et de consensualité liés à l'utilisation de l'IA, qui tend à reproduire ce qui a déjà existé.
⟶ Auprès de France Culture, Ludovic Salenne, YouTubeur spécialiste de l'IA et de la transformation numérique, explique que le fonctionnement de l'IA est basé sur la prédiction et qu'il est nécessaire de guider la machine pour restreindre son champ de recherche. Il souligne l'importance du rôle de l'humain·e dans la définition du sujet, de la trame et des caractéristiques du roman.
⟶ Sophie Caillat, fondatrice des Éditions du Faubourg, critique quant à elle sévèrement le roman généré : « C'est du robinet d’eau tiède, ça n’a aucun intérêt. La structure narrative est bateau, c’est vraiment très cliché de bout en bout, il y a trois fautes par page. ». Elle met en évidence les faiblesses du style, de la structure narrative et de l'incarnation des personnages, qui manquent de chair. « Les dialogues sont insipides et le style est très lambda, d’ailleurs il n’y a pas vraiment de style, il y a une tentative de faire du style ».
Écouté chez Pardon GPT — ChatGPT sparring partner mais jamais créateur
Si l’on ne peut encore compter sur l’IA pour écrire un bon bouquin par elle-même, elle peut néanmoins servir de béquille à la créativité. C’est ce que montre Pardon GPT, podcast du streamer Pierre Lapin et de l’humoriste Rémi Boyes. Ici, le format met en scène une IA conversationnelle, Léo, qui intervient en proposant à chaque début d’épisode une biographie des invité·es puis en proposant des jeux, en nourrissant la conversation, en répondant aux questions de chacun·e. À première vue, l’IA est un·e parfait·e troisième animateur·ice, un peu comme Bill dans le Bigdil. Mais rapidement, ses limites apparaissent.
⟶ Des fausses informations. Lorsque les animateurs demandent à Léo de rédiger une bio de leur·s invité·es, le résultat est parfois parsemé d’absurdités. Qu’à cela ne tienne, Pierre Lapin et Rémi Boyes tirent au maximum le fil des incohérences, demandent aux invité·es de détailler des moments qu’ils ou elles n’ont jamais vécu, et c’est souvent très drôle.
⟶ Un rôle déclencheur plutôt que créatif. Souvent, à la fin des épisodes, l’IA, qui n’intervient que quand les animateur·ices lui demandent, ne se fait plus entendre. Car ce qui fait la force du format, ce n’est pas l’IA elle-même, mais la manière dont les humain·es réagissent à ses limites. En s’amusant à contourner ses maladresses, les invité·es et les animateurs trouvent des angles de discussion inattendus, transforment ses absurdités en blagues et, au final, se passent presque totalement d’elle à mesure que la conversation avance.
Pour aller plus loin
- Une semaine sur deux, dans la newsletter Les 10 Liens, notre journaliste Owen Huchon partage dix liens (cas pratiques, reportages, analyses, interviews…) qui lui semblent incontournables afin de mieux comprendre les transformations en cours dans l’écosystème médiatique. Et on y trouve très souvent des ressources pour mieux comprendre l'impact de l'IA sur les médias, les journalistes et les créateur·ices.
- La démocratisation de l’intelligence artificielle, à travers l’usage d’outils comme Chat GPT, a poussé la presse à réagir. Comment s’approprier cette nouvelle panoplie d’outils, sans nuire à la qualité de l’information ? Formats, approches, débats, outils : tour d’horizon des usages.
- Algorithmes imprévisibles, effondrement du trafic, dépendance aux plateformes : les médias se retrouvent piégés par un Internet qu’ils ne maîtrisent plus. Comment préserver leur lien avec leurs audiences ?
Marine Slavitch est journaliste chez Médianes. Elle est cheffe de rubrique, en charge de la newsletter de stratégie.
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