La section CFDT de France Télévisions publie ce texte fort, que nous vous partageons. Chapeau à notre confrère qui ose témoigner et défendre une autre vision du management.
Lettre ouverte à Mme La Présidente de France Télévisions
Témoignage d’un manager de terrain
La CFDT France Télévisions, engagée depuis des années dans la prévention des risques psychosociaux (RPS), n’a de cesse d’alerter la direction sur les dégâts causés par un management brutal et descendant. Elle déplore, à chaque instance, le manque de transparence et de dialogue. Et ce, à chaque échelon de nos services, de nos organisations de travail. Les cadres ne sont pas épargnés, mais leur devoir de réserve supposé, la pression de leur position hiérarchique, emmurent leur parole. Et accroissent leurs souffrances.
Aujourd’hui, parce qu’un témoignage qui vient du cœur vaut plus que bilans, chiffres et bonnes intentions, nous avons décidé de diffuser cette parole, rare et précieuse. Qui illustre tristement ce contre quoi nous nous battons.
Madame la Présidente,
Vous ne me connaissez sans doute pas. Je suis l’un de vos nombreux managers, loin des cercles parisiens, sur le terrain, au plus près des équipes, à mettre en œuvre les projets éditoriaux, technologiques et organisationnels de France Télévisions.
J’aime mon travail, mais depuis plusieurs années, nous subissons une pression croissante. Le dialogue s’est tari. Les décisions descendent, unilatérales. Et quiconque ose exprimer une inquiétude ou une nuance devient suspect. Le siège ressemble de plus en plus à un petit Versailles : une cour, des courtisans, et des silences imposés.
Combien de managers, directeurs, cadres administratifs, techniques, éditoriaux, ont disparu sans explication ? Combien ont été déplacés ou écartés sans motif clair ? Combien ont été poussés à la démission ou à une retraite anticipée ? Ces départs brutaux sont devenus une mécanique inquiétante.
Moi-même, après avoir été reconnu pour mon dynamisme et mon engagement, j’ai été déclassé, isolé, privé de mes responsabilités du jour au lendemain, avec pour seule justification : « C’est la décision du directeur de l’information. » Je sors de deux années noires, d’errance, de douleur, à chercher une faute que je n’ai jamais commise. J’ai fini par comprendre qu’une révérence mal exécutée pouvait aujourd’hui suffire à tomber en disgrâce.
Madame la Présidente, vous avez été alertée par tous les syndicats sur l’absence de dialogue. Je vous le confirme : le silence est destructeur. Il isole, il broie, il pousse au repli. Et quand la maltraitance commence en haut, elle se diffuse à tous les étages. Vous savez bien, hélas, où peuvent mener de telles dynamiques quand elles deviennent systémiques et que les signaux d’alerte sont ignorés…
Je reste pourtant animé par une conviction : on obtient bien plus de ses équipes quand on les écoute, quand on explique, quand on les associe aux décisions. Les managers de terrain, comme moi, portent des idées, des initiatives, une intelligence collective précieuse. On leur demande aujourd’hui d’être de simples passe-plats d’une cuisine qui se joue avec des cabinets d’audit dont le rôle et les enquêtes n’est pas de comprendre mais de confirmer.
Madame la Présidente, ne vous coupez pas des idées qui viennent directement du terrain.
J’ai choisi aujourd’hui de rejoindre un syndicat — la CFDT — non par opposition, mais pour retrouver un espace de parole. Pour continuer à servir cette entreprise que j’aime, mais autrement. Dans un dialogue sincère, constructif, utile.
Madame la Présidente, vous avez promis du changement : écouter et permettre de s’exprimer à tous les étages serait déjà une révolution.
Un manager de terrain,
Fabrice Cagnin (rédacteur-en-chef France 3 Toute Région)