Alors que nous fêtons le centenaire de la naissance de Gore Vidal, rappelons d’abord sa trajectoire unique : immortel provocateur, chroniqueur acéré de l’Amérique, il a traversé le XXᵉ siècle en démolissant les illusions et les hypocrisies. Un homme de goût — littéraire, politique, social — qui a posé un regard sans concession sur les minorités, l’identité américaine, le pouvoir, l’amour et l’histoire. Une plume à la fois implacable et élégante, un esprit libre traversant les plaies de l’histoire américaine, qui a laissé derrière lui une œuvre polémique et lumineuse, où le roman, l’essai et la satire s’entrelacent pour rogner les certitudes. Voici donc notre sélection, certes subjective et non exhaustive, des meilleurs livres de Gore Vidal à lire absolument !
Un garçon près de la rivière
Dès sa parution en 1948, Un garçon près de la rivière se révèle comme une rupture dans la littérature américaine. À vingt ans, Gore Vidal ose un roman où l’homosexualité n’est ni excès dramatique ni tragédie honteuse, mais expérience intime et quête identitaire.
Le personnage de Jim Willard, athlète viril de Virginie, découvre – au bord d’une rivière, le temps d’un été – son désir pour Bob Ford, son ami d’enfance. Leurs chemins se séparent, Jim part à l’aventure : marine, société du cinéma, vie new-yorkaise… à la recherche de ce moment originel. Un parcours d’adulte où le souvenir amoureux guide la solitude, interroge la liberté.
Devenu un classique, ce roman fait scandale à l’époque. Ainsi, il brise les tabous en représentant un amour entre deux jeunes hommes sans destination tragique.
Palimpseste. Mémoires
Avec Palimpseste. Mémoires, Gore Vidal livre un ouvrage où le souvenir ne se contente pas de ressasser le passé, mais s’écrit et se réécrit comme un parchemin usé que l’on efface pour tenter d’y déposer une nouvelle trace.
L’auteur retrace les vingt-neuf premières années de sa vie sans rien du chronologique attendu. Petit-fils de sénateur, enfant choyé par les fastes et travers de la haute bourgeoisie américaine, Vidal évoque les figures qui faisaient déjà battre son monde : les Kennedy, Anaïs Nin, Tennessee Williams, Truman Capote, mais aussi Cocteau ou Reagan.
Ce qui frappe dans Palimpseste, c’est la finesse de l’observation alliée à un refus de toute complaisance. Vidal brosse des portraits vifs, souvent drôles, parfois cruels, mais toujours justes, de l’Amérique des années 1920-50 — ses puritanismes, ses hypocrisies, ses désirs enfouis. Œuvre à la fois intime et politique, ce livre est une réflexion sur l’identité, sur la jeunesse, et sur ce qui fonde un écrivain.
À l’estime
Après Palimpseste, À l’estime poursuit le récit autobiographique de Gore Vidal avec cette élégante navigation entre souvenirs personnels et évocations d’une Amérique incarnée. Ainsi, ce deuxième tome de ses mémoires offre 271 pages d’introspection, de lucidité, d’ironie — signatures d’une plume qui sait conjuguer la gravité et la grâce.
Vidal revient sur ses années au front, dans les îles Aléoutiennes pendant la Seconde Guerre mondiale, où la météo faisait de chaque jour une épreuve : obscurité persistante, compas capricieux, navigation « à l’estime » au gré des repères incertains. Métaphore du livre lui-même : pointer les moments charnières, éviter les récifs du temps, retracer une trajectoire littéraire et personnelle sans artifice.
Le lecteur y croise les grands de ce monde — Tennessee Williams, les Kennedy, Orson Welles, Greta Garbo — amis, rivaux, figures familières de la scène publique et intime de Vidal. Mais surtout, la mémoire d’Howard Austen, compagnon fidèle, blessure puis absence, s’impose en cœur du livre : une méditation douce-amère sur la perte, la fidélité, le déracinement.
Création
Avec Création (1981), Gore Vidal signa l’un de ses plus ambitieux romans historiques — une odyssée intellectuelle qui traverse le siècle dit « axial », en quête des origines de la pensée et du pouvoir. Le narrateur, Cyrus Spitama, petit-fils de Zoroastre, sert comme diplomate dans les cours de Perse, d’Inde, de Chine et de Grèce. À travers son regard, Vidal convie au dialogue avec Bouddha, Confucius, Lao-Tse et Socrate — autant de figures qui incarnent les fondements spirituels et politiques de notre monde.
La version restaurée, publiée en 2002, rend justice à l’ampleur originale du texte, en réintégrant quatre chapitres supprimés et en renforçant la cohésion du propos. Le style de Vidal mêle érudition, ironie et souffle romanesque : la géopolitique antique est scrutée comme un miroir des crises contemporaines.
Empire
Dans Empire, Gore Vidal déploie sa grande fresque américaine au seuil du XXᵉ siècle, à la croisée du journalisme, du pouvoir et de l’ambition. Le roman s’ouvre sur Caroline Sanford, figure déterminée et inflexible, qui hérite d’un journal et y installe sa voix, brisant les convenances d’une époque dominée par les hommes.
Au fil des pages, Vidal tisse un réseau d’intrigues qui mêle personnages réels — Theodore Roosevelt, William Randolph Hearst, Henry James, John Hay — et figures fictives empreintes de désir, de jalousie, d’idéalisme ou de cynisme. Ce mélange constant entre fiction et archives offre un récit à la fois charnel et intellectuel, où la presse ne se contente pas d’informer : elle modèle le destin d’une nation.
La lecture de Empire déploie un souffle historique étourdissant, riche en scènes de salon, campagnes politiciennes, scandales de presse, et échos de l’Amérique d’aujourd’hui. Vidal y explore l’aube d’un âge médiatique où l’opinion publique devient terrain de bataille.
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Hakim Aoudia.
