Mis à jour le 18/11/2025
Comment optimiser et sécuriser les moyens de communication sur les terrains militaires ? C’est le défi relevé par Nassim Bouiche, ingénieur en cybersécurité passé par l’armée. Avec son associé Christophe Bocher et grâce à Inria Startup Studio, il développe la startup SandFox. Leur ambition : mettre au point une plateforme de communication résiliente, autonome et sécurisée grâce notamment à l’IA, en contribuant ainsi à la souveraineté numérique. Et la jeune pousse grandit vite !
Du primaire à l’armée : l’informatique en toile de fond
« En CP, nous avions le choix entre informatique et gymnastique, se souvient Nassim Bouiche. J’ai opté pour la première et cette passion ne m’a plus quitté. » Il est donc normal qu’aujourd’hui, il arpente les locaux d’Inria. Sauf qu’il n’y est pas chercheur… mais futur dirigeant de startup. Un rebondissement qui n’est que le dernier en date d’un parcours plutôt atypique.
Après sa première plongée dans l’informatique dès l’âge de 6 ans donc, il poursuit sa scolarité ainsi que sa découverte du domaine et, adolescent, s’intéresse déjà à la sécurité des cartes bancaires. Logiquement, il s’inscrit en DUT informatique puis en école d’ingénieurs, dont il sort diplômé en 2008. Spécialisé en cybersécurité, il travaille ensuite pour diverses entreprises (GFI Informatique, Eurocopter, ArcelorMittal…) et aurait pu continuer sa carrière sur cette lancée.
Sauf que Nassim Bouiche est curieux et en recherche de sens. Alors en 2014, il décide d’intégrer l’armée pour y œuvrer dans la cyberprotection. Mais après avoir fait ses classes, de nouveau, il zigzague. « Je commence assez rapidement à m’ennuyer, donc je passe le concours interne pour intégrer les forces spéciales, retrace-t-il. Plusieurs missions plus tard, comme je suis toujours impatient et volontaire pour de nouvelles découvertes, j’opte pour un poste de responsable des communications. »
Sur les terrains militaires, des communications problématiques
C’est à ce moment-là que le parcours de Nassim Bouiche prend un tournant décisif, car il découvre les nombreuses problématiques auxquelles doivent faire face les opérateurs militaires de terrain en la matière. D’abord sur le plan logistique : ils partent en général avec trois à six postes différents, puisque l’un sert à communiquer avec l’équipe, un autre avec le centre de commandement, un autre encore avec les avions… et que s’y ajoutent des postes apportés en cas de souci avec les premiers. Sans compter que ces outils sont spécifiques à chaque armée nationale, ce qui engendre des difficultés de communication d’une armée à une autre, sur des terrains où les collaborations sont pourtant fréquentes.
Ensuite, du point de vue sécuritaire : aucune des bonnes pratiques auxquelles Nassim Bouiche est habitué n’est appliquée sur les outils radio. « Impossible de monitorer mon réseau radio, de vérifier comment il fonctionne, si son intégrité est respectée à tout instant, de savoir qui y est connecté… », regrette le cyber-ingénieur. Enfin, les communications passent toutes par un nœud central qui fait appel à internet, au GSM ou aux satellites. Et si ce nœud tombe, le réseau s’effondre.
Lui vient alors l’envie de résoudre tous ces problèmes… mais cela demande du temps, que son métier ne lui laisse pas. Or justement, ce 31 décembre 2024, le contrat de Nassim Bouiche avec l’armée arrive à échéance. Il décide de ne pas le renouveler mais de se lancer dans une nouvelle aventure : celle de la création d’une startup qui imaginerait pour l’armée le réseau maillé, autonome et sécurisé dont elle semble avoir besoin.
Du geek au créateur de startup
Un an avant son départ, l’ingénieur achète son propre matériel et commence à effectuer des tests de façon empirique. Lui qui aimait tant s’amuser à casser des outils de cybersécurité se retrouve à essayer de faire de même avec des communications radio. Mais rapidement, il se rend compte qu’il manque de méthodologie et surtout de connaissances sur les aspects business pour monter son projet… et le vendre.
« Je cherche alors un incubateur et je découvre Inria Startup Studio, qui accepte ma candidature, se rappelle-t-il. J’avais un défi technologique à relever, je connaissais, grâce à ma formation initiale, la démarche scientifique, j’avais plein d’idées pour concevoir et améliorer mon projet et surtout, j’avais vraiment besoin d’aide sur la partie business ! Je pense que tout cela a joué en ma faveur. »
Le 2 janvier 2025, Nassim Bouiche intègre l’incubateur et se met au travail : « En arrivant, j’étais un geek qui ne savait pas bien pitcher son idée et ne connaissait pas le langage propre au monde des startups. Mais l’accompagnement d’Inria comprend des sessions à l’EM Business School et un suivi par des chargés de projets locaux et nationaux qui challengent notre projet, nous aident à avancer sur le business model, sur l’évaluation des besoins, le pricing, etc. » Bref, Nassim Bouiche apprend, et vite.
Deux ingénieurs pour une plateforme résiliente et souveraine
En parallèle, il vit une deuxième bonne surprise : il retrouve Christophe Bocher, un ancien de son régiment parti quelques années plus tôt, devenu développeur d’application. « Quand nous étions à l’armée, nous avions déjà évoqué les fondements d’une solution de ce type, se souvient celui-ci. J’ai toujours pris plaisir à travailler avec Nassim et lorsqu’il m’a proposé de l’accompagner, il m’a semblé évident d’accepter : l’équipe, la technologie, les défis à relever m’ont enthousiasmé, d’autant qu’il s’agit de bâtir une solution réellement utile à ceux qui mettent leur vie en jeu au nom de leur pays. »
Depuis, les deux collègues, dont le salaire est pris en charge par Inria Startup Studio jusqu’à la fin de l’année, ont réussi à mettre au point la plateforme qu’imaginait Nassim Bouiche : un logiciel qui transforme tout équipement (drone, radio, smartphone, ordinateur) en un nœud de communication autonome et sécurisé. « Chacun de ces équipements peut communiquer l’un avec l’autre et s’interface avec les systèmes militaires existants », détaille-t-il. L’outil règle donc le problème de l’opérabilité interarmées, mais aussi celui du nœud central : le réseau peut fonctionner sans internet, GSM ou satellite, ce qui peut se produire dans un cadre militaire ou lors de catastrophes naturelles par exemple.
Intégrer l’IA et le chiffrement post-quantique
Pour protéger ce dispositif des intrusions, les deux ingénieurs travaillent dorénavant avec l’équipe-projet Fun, du centre Inria de Lille, qui développe une surcouche logicielle basée sur l’intelligence artificielle. Celle-ci permet d’identifier de manière précise tous les équipements d’un réseau, de façon à pouvoir détecter facilement les tentatives d’usurpation, d’interception ou de brouillage. « C’est un autre aspect formidable d’Inria Startup Studio : il nous donne accès à tout l’écosystème de l’Institut, tant sur le plan matériel, si l’on a besoin par exemple d’un super calculateur, qu’humain, grâce aux rencontres possibles avec les équipes de recherche », apprécie Nassim Bouiche. Nouveau défi à l’horizon : réussir à intégrer du chiffrement post-quantique aux postes de radio. Mais pour cela, il faudra du renfort.
Alors les prochaines étapes sont (presque) toutes tracées : en janvier 2026, les deux porteurs de projet créeront officiellement leur startup, nommée SandFox et devraient intégrer un nouvel incubateur. « La puissance nationale d’Inria Startup Studio combinée à l’ancrage local offre énormément d’opportunités : cette transition est ainsi possible grâce au dispositif et à notre chargée de projet, Mathilde Saleur », ajoute Nassim Bouiche. Cette dernière croit d’ailleurs largement en l’avenir de l’entreprise.
Verbatim
La connaissance et la compréhension des deux porteurs de projet quant aux besoins des opérationnels sur le terrain et leur capacité à proposer une technologie résiliente et souveraine sont des atouts importants pour le développement de leur startup.
Auteur
Mathilde Saleur
Poste
Chargée des partenariats et projets d'innovation
Un premier contrat d’expérimentation avec l’armée
Un nouvel ingénieur cybersécurité/IA devrait être recruté et suivi, si tout va bien, d’un business developer. En attendant, Nassim Bouiche et Christophe Bocher continuent à paver leur route de succès. Ils ont remporté le European Defense Tech Hackathon à Paris (du 7 au 9 novembre), puis ont participé à la European Cyber Week (à Rennes du 17 au 20 novembre), renforçant ainsi la visibilité et la crédibilité de leur technologie au niveau européen.
Déjà, la signature d’un contrat d’expérimentation avec les armées françaises est prévue pour début 2026. Si tout va bien, il pourrait déboucher sur un contrat plus conséquent. « Nous bénéficions d’un contexte favorable avec l’Europe de la défense d’une part et toutes les questions de cybersécurité d’autre part, note Nassim Bouiche. Les étoiles sont alignées ! » Des étoiles que SandFox compte bien décrocher…
En savoir plus
- Presentation Solution Communication – SandFox (vidéo), chaîne YouTube de Nassim Bouiche, 18/3/2025.
- Inria mise sur ses startups deeptech à Viva Technology 2025, Inria, 4/6/2025.
- Le Commandement de la cyberdéfense (COMCYBER), ministère des Armées et des Anciens combattants, 6/11/2023.