18/12/2025
Le cerveau est un organe énergivore, capable de consommer à lui seul près de 20 % de l’énergie totale de l’organisme. Depuis des décennies, on pensait que les neurones tiraient presque exclusivement cette énergie du glucose. Une étude récente publiée dans Nature Metabolism vient pourtant bousculer ce modèle : dans certaines conditions d’apprentissage intensif, les neurones utilisent des acides gras comme carburant pour former des souvenirs.
Pour démontrer ce mécanisme, les chercheurs [1] se sont appuyés sur un modèle bien connu à l’ESPCI : la drosophile, ou ‘mouche du vinaigre’. Chez cet insecte, la formation de la mémoire associative — par exemple lors de l’association répétée d’une odeur à une stimulation désagréable — implique une structure cérébrale spécialisée : les corps pédonculés. En modulant génétiquement le métabolisme de ces neurones, les scientifiques ont observé qu’une forme particulière de mémoire, induite par des entraînements répétés et intensifs–qui s’apparenterait chez l’humain à du bachotage, dépend de la capacité des neurones à oxyder des acides gras dans leurs mitochondries.
Cette oxydation, appelée β-oxydation, permet de produire de l’ATP, la molécule qui fournit l’énergie nécessaire aux activités cellulaires. Lorsque la β-oxydation est bloquée spécifiquement dans les neurones du centre de la mémoire olfactive, la mémoire issue d’un apprentissage intensif est fortement altérée, alors que d’autres formes de mémoire restent intactes. Ces résultats montrent que, dans certains paradigmes, les neurones utilisent des acides gras et non du glucose pour produire l’énergie requise pour la formation de mémoire. Comme pour d’autres molécules utilisées par les neurones pour produire de l’énergie, les acides gras nécessaires à ce processus sont en partie fournis par les cellules gliales voisines, soulignant l’importance des échanges métaboliques entre cellules cérébrales lors de l’apprentissage.
L’étude révèle également que ce type apprentissage intensif s’accompagne d’un remodelage des mitochondries, résultant en un réseau mitochondrial plus interconnecté dans les neurones impliqués. Cette réorganisation améliore leur capacité à produire de l’énergie, conférant aux mouches une meilleure mémoire.
Ces travaux invitent à repenser le lien entre métabolisme et cognition. Loin d’être un simple soutien passif, la gestion de l’énergie apparaît comme un acteur clé de la mémoire. Si les applications restent encore à explorer, cette découverte ouvre de nouvelles pistes pour comprendre comment des perturbations métaboliques en particulier celles lié à l’âge qui sont connues pour être associées à une diminution de la capacité des neurones à utiliser du glucose pourraient affecter les fonctions cognitives.
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Références
Pavlowsky, A., Silva, B., et al. Neuronal fatty acid oxidation fuels memory after intensive learning in Drosophila. Nat Metab (2025).
https://doi.org/10.1038/s42255-025-01416-5
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Contacts scientifiques
Alice Pavlowsky, alice.pavlowsky@espci.fr,
Pierre-Yves Plaçais, pierre-yves.placais@espci.fr,
Thomas Preat, thomas.preat@espci.fr
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Contact presse
Paul Turpault, communication scientifique de l’ESPCI, paul.turpault@espci.fr
Notes
[1] Du laboratoire Plasticité du Cerveau (LPC) de l’ESPCI Paris – PSL / CNRS