Réduire Albert Jacquard au simple statut de « généticien » serait profondément insuffisant. S’il fut un grand spécialiste de la génétique des populations, son œuvre dépasse largement le cadre scientifique. Né en 1925, formé à l’ingénierie puis à la biologie humaine, Jacquard a consacré sa vie à rendre la science intelligible et à rappeler qu’aucun savoir ne peut être dissocié de ses implications humaines, sociales et morales. Très tôt, il s’oppose aux lectures réductrices de la génétique. Oui, les individus sont différents, mais aucune différence biologique ne saurait fonder une hiérarchie entre les êtres humains. Cette conviction devient le cœur de son engagement intellectuel. À travers ses livres, Jacquard démonte les illusions du déterminisme, dénonce les tentations eugénistes et défend une vision profondément humaniste du progrès scientifique. Pédagogue remarquable, il s’adresse au plus grand nombre avec une clarté rare, mêlant rigueur, simplicité et sens aigu de la transmission. Albert Jacquard fut aussi un citoyen engagé, proche de grandes figures de la solidarité, critique du productivisme et défenseur d’une société fondée sur la coopération plutôt que la compétition. Marqué personnellement par la souffrance et le regard de l’autre, il refusa toujours la posture de l’autorité, préférant expliquer, transmettre et éveiller les consciences. Voici donc notre sélection, certes subjective et non exhaustive, des meilleurs livres d’Albert Jacquard à lire absolument !
Petite philosophie à l’usage des non-philosophes
Dans Petite philosophie à l’usage des non-philosophes, Albert Jacquard — en compagnie de la philosophe Huguette Planès — propose une traversée exigeante et accessible des grandes interrogations humaines à l’heure où nos repères semblent s’effriter. Construit comme un abécédaire des idées essentielles, cet essai explore trente thèmes fondateurs de notre pensée — de la liberté au bonheur, de l’éthique à l’origine, de l’Autrui à la sagesse — en dialogues clairs, concis et libres d’emprunter tant à la science qu’aux traditions philosophiques.
Plutôt que de livrer des réponses toutes faites, Jacquard invite à une réflexion autonome : chaque entrée est à la fois une porte d’accès et un phare éclairant les zones d’ombre de nos certitudes. Son style rigoureux mais simple rend cette « petite philosophie » accessible à ceux qui n’ont jamais plongé dans les textes philosophiques classiques sans pour autant renier la profondeur des questions abordées.
Mon utopie
Mon utopie d’Albert Jacquard se présente moins comme un simple pamphlet que comme un manifeste serein et personnel où l’auteur explore, avec lucidité et humanisme, ce que pourrait être une société réellement accomplie. Publié en 2006, cet essai invite à repenser nos certitudes en proposant une vision sociale et politique qui défie la tyrannie du « réalisme », entendu ici comme l’hégémonie de l’économie sur toute autre considération.
À travers une écriture engagée et réfléchie, Jacquard mêle souvenirs, convictions et propositions concrètes. Il imagine une « Cité où tout serait école », un monde où l’aliénation du travail serait réduite au minimum, où l’accès aux soins ne poserait plus de dilemme budgétaire parce qu’il serait garanti comme droit imprescriptible, et où l’organisation des relations humaines primerait sur l’accumulation des richesses.
Nouvelle petite philosophie
Nouvelle petite philosophie d’Albert Jacquard, en dialogue avec la philosophe Huguette Planès, renouvelle avec brio l’ambition de rendre la pensée philosophique vivante, concrète et accessible à tous. Publié en 2005 et régulièrement réédité en format poche, cet essai s’attache à éclairer des notions fondamentales — du totalitarisme à la citoyenneté, de la violence au désir — tout en inscrivant la réflexion dans les enjeux contemporains que sont la bioéthique, l’écologie ou la mondialisation.
Plutôt qu’un dictionnaire de concepts, l’ouvrage propose une série de conversations limpides, où Jacquard met en lumière la vocation originelle de la philosophie : interroger notre monde avec rigueur et sens commun. En s’adressant à un lecteur non spécialiste, il démontre que penser n’est pas l’apanage d’une élite mais un exercice civil et libre, ancré dans la vie quotidienne.
Tentatives de lucidité
Penser clair dans un monde saturé de certitudes : tel est le pari discret mais tenace d’Albert Jacquard dans Tentatives de lucidité. Loin des grands traités ou des manifestes tonitruants, ce livre rassemble une série de textes brefs, issus pour beaucoup de ses chroniques sur France Culture, où le généticien humaniste s’exerce à une forme rare de pensée publique : rigoureuse, accessible et profondément inquiète du devenir humain.
Jacquard y interroge les évidences contemporaines — le primat de l’économie, la fascination pour la performance, l’illusion du progrès technique — sans jamais céder à la facilité de la dénonciation. Chaque texte avance à pas mesurés, privilégiant l’argumentation à l’indignation, la pédagogie à l’anathème. La lucidité, chez lui, n’est ni froide ni désabusée : elle est un acte de responsabilité.
Éloge de la différence
Il arrive que certains livres déplacent durablement le regard que l’on porte sur le monde. Publié à la fin des années 1970, Éloge de la différence. La génétique et les hommes est de ceux-là. Albert Jacquard y prend la parole à contre-courant, à une époque où la génétique fascine autant qu’elle inquiète, pour rappeler une évidence trop souvent oubliée : la science ne dit rien de la valeur des êtres humains.
S’appuyant sur la génétique des populations, Jacquard démontre que la diversité est la règle du vivant et que chaque individu constitue une combinaison unique. Mais loin d’un simple exposé scientifique, le livre s’attaque aux usages idéologiques du savoir biologique, à ces glissements insidieux qui transforment la différence en hiérarchie et la mesure en jugement. La génétique, écrit-il en substance, ne fonde aucune supériorité ; elle invite au contraire à reconnaître la singularité de chacun.
Dans ma jeunesse
Avec Dans ma jeunesse, Albert Jacquard se livre à un exercice d’introspection aussi rare que précieux. Non pas pour le plaisir de se raconter, mais parce que cette enfance et cette jeunesse, vécues à l’écart des grands drames de son époque, éclairent d’un jour nouveau la trajectoire de l’homme qu’il est devenu : l’infatigable défenseur des sans-voix, le pourfendeur de la compétition, l’observateur lucide d’un monde en crise.
Sur le ton de la confidence, après la disparition de sa femme, Jacquard retrace les étapes d’une construction identitaire qui n’a rien d’une ligne droite. Polytechnicien par devoir plus que par vocation, il y dépeint avec une ironie tendre ses années de formation, le carriérisme de ses camarades, son propre sentiment d’insatisfaction, puis ses premières années d’ingénieur, où il se juge aujourd’hui « piètre citoyen ».
Une lecture émouvante, à la fois intime et universelle, qui rappelle que les grandes convictions naissent souvent des doutes et des détours.
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Hakim Aoudia.
