La remise des prix aux cinq lauréats a eu lieu le samedi 4 novembre 2023 lors du Salon Interprofessionnel du Patrimoine Culturel au Carrousel du Louvre à Paris.
Jérôme Ferchaud, Sites & Monuments Alice Fey, Drac Grand Est Yaël Haddad, journaliste de la presse professionnelle du paysage Jean-Michel Gelly, Maisons paysannes de France Christophe Père, Association des paysagistes-conseils de l’État Chantal Pradines, expert indépendante Odile Schwerer, Conseil général de l’environnement et du développement durable Michel Widehem, Groupement des experts conseils en arboriculture ornemental ********Chantal Pradines Cabinet All(i)éesDéléguée générale de l’association « Allées-Avenues » / allées d’avenirRapporteur du jury
Comme à l’accoutumée, le jury de cette huitième édition du prix « Allées d’arbres » était pluridisciplinaire. Croiser des regards et des compétences du champ de l’arboriculture, du paysage, de la culture et de l’environnement est nécessaire quand on travaille sur les allées d’arbres, car celles-ci sont à la croisée de toutes ces disciplines. Cette particularité sous-tend d’ailleurs tout l’article L350-3 du Code de l’environnement qui protège ce patrimoine. Croiser ainsi les disciplines est aussi une chance : on apprend des autres, on élargit son regard, on devient plus fin dans ses propres jugements. C’est ainsi que les membres du jury ont pris le temps d’examiner soigneusement les dix-huit dossiers en lice et de confronter leurs analyses, finalement convergentes.
Ils ont ainsi retenu cinq lauréats. Deux sont des « poids lourds », avec des actions d’envergure qui ont la vertu de requalifier des territoires ou portions de territoires, démontrant le rôle important que les allées d’arbres peuvent avoir en matière d’aménagement et de cohésion. Il s’agit de la communauté d’agglomération Versailles-Grand Parc et du conseil départemental de l’Essonne. Les trois autres lauréats – la commune d’Augny, en Moselle, l’association ARBRES - Gardiens de l’ombre, dans le Gard, et M. et Mme de Laffon, propriétaires du château de Gizeux en Indre-et-Loire – montrent quant à eux combien l’action des citoyens et l’action des élus ou des propriétaires converge autour de ce patrimoine réellement commun à tous.
Découvrons ensemble ces beaux exemples d’actions pour les allées d’arbres.
Quand en 1995, Claude Bertsch s’est élevé contre l’étêtage de l’alignement de marronniers bordant le chemin de la commune d’Augny, il était un simple habitant de cette commune mosellane d’à peine plus de 2 000 habitants. Un habitant conscient qu’étêter des arbres leur était néfaste, en plus de blesser le regard et de dérober l’ombre bienfaitrice aux usagers.
Son souci de conserver cet alignement dans les meilleures conditions ne l’a pas quitté lorsqu’il a été élu au conseil municipal et désormais, près de trente ans plus tard, c’est la commune qui veille au bon devenir de ce patrimoine d’intérêt général. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, un patrimoine d’intérêt général : non seulement ces arbres marquent très fortement le paysage d’Augny, à la fois par la grande longueur de l’alignement – 2 kilomètres – et sa manière de se couler dans l’espace et de faire sentir le relief, mais ils sont aussi un patrimoine culturel témoin de l’histoire de la Moselle annexée – ils ont été plantés par les Allemands au tournant du XXe siècle le long du chemin menant au fort Saint-Blaise, l’un des éléments du dispositif de protection de la ville de Metz. À cela s’ajoute leur rôle pour la biodiversité, tout simplement essentiel pour l’humanité : les arbres offrent chacun toute une série d’habitats diversifiés et forment ensemble un corridor de déplacement précieux.
Bien que cet alignement d’arbres soit protégé par l’article L350-3 du Code de l’environnement, la commune a choisi d’identifier l’ensemble des arbres dans son plan local d’urbanisme comme un « élément boisé classé » en vertu de l’article L113-1 du Code de l’urbanisme. Une protection réglementaire nécessaire puisque les boisements de l’autre côté de la voie étant a priori spontanés, ils échappent à la loi. Dans le futur plan local d’urbanisme intercommunal de l’Eurométropole messine en cours d’élaboration, la commune le fera reconnaître comme élément de la trame verte et bleue.
Concrètement, la commune surveille l’état des arbres. Plutôt que d’abattre ceux-ci en cas de risque de rupture des branches, elle maintient des totems comme habitats pour la vie des insectes et de toute la faune qui en dépend. Enfin, elle regarnit l’allée lorsque l’abattage devient nécessaire. Car malheureusement, trente ans après les mauvaises tailles drastiques, leurs conséquences néfastes se font sentir, et l’on comprend pourquoi l’article L350-3 du Code de l’environnement interdit de telles pratiques : elles tuent les arbres à petit feu.
Mais comment replanter ? C’est la question que tout le monde se pose aujourd’hui. La commune a fait le choix de regarnir l’alignement avec des marronniers, certes comme à l’origine, mais aussi avec des alisiers torminaux et des cormiers, ces deux dernières espèces étant des espèces autochtones très mellifères, aux fruits prisés des oiseaux et consommables, supportant les sécheresses et pouvant vivre deux cents ans et atteindre 25 mètres de haut pour les alisiers et quatre cents ans et 20 mètres pour les cormiers. S’agissant d’une allée campagnarde, mêlant aujourd’hui des régénérations spontanées et des arbustes, et compte tenu du risque que fait peser une bactérie sur l’avenir des marronniers, cette diversification trouve sa justification dès lors que le choix s’est porté sur des arbres globalement de même « grandeur » (développement final), plantés selon le même rythme régulier que l’alignement d’origine.
Saluons ce bel engagement personnel devenu, avec ténacité, engagement collectif : sans cela, l’alignement de marronniers aurait pu vite disparaître, car laisser vieillir les arbres en place reste visiblement aujourd’hui encore une gageure et un acte militant pour la commune. Et qui aurait veillé à les remplacer ?
ARBRES - Gardiens de l’ombre : quand un engagement militantet engagement des élus se rejoignent Route nationale 113 : 2 km, 235 platanes
Les lecteurs qui suivent de près les questions d’arbres se souviennent sans doute de la mobilisation, en 2020, contre un projet d’abattage porté par l’État, en l’occurrence la Direction interrégionale des routes DIR-Méditerranée : 126 platanes bordant la RN 113 à Aigues-Vives, petite commune gardoise de 3 500 habitants, devaient être abattus au motif de sécurité routière. Une violation pure et simple de l’article L350-3 du Code de l’environnement, puisque la sécurité routière ne fait pas partie des motifs de dérogation admis.
Le maire, soutenu par le conseil départemental, le conseil régional, le député et le sénateur, mais aussi par diverses associations régionales et nationales, s’y était opposé. Parmi ces associations, l’association gardoise ARBRES - Gardiens de l’ombre – à ne pas confondre avec l’association nationale ARBRES dont le président est Georges Feterman, bien connu pour son engagement particulier pour les arbres remarquables, et qui faisait aussi partie des associations mobilisées.
Heureux revirement de situation en juin 2021 : contrairement à l’allégation initiale de la DIR-Méditerranée qu’il était techniquement impossible de proposer autre chose que la solution hyper-simpliste qu’elle proposait – l’abattage –, tout à coup il devenait possible de rétrécir la chaussée et ainsi de poser des glissières de sécurité, et d’abaisser la vitesse à 70 km/h. L’abattage était donc abandonné et l’alignement de platanes vétérans, emblématique du patrimoine routier français du XIXe siècle (ils avaient été plantés en 1879, renouvelés en 1921), aujourd’hui crucial face au réchauffement climatique et pour de nombreuses espèces, était sauvé.
Qu’est-ce qui a fait ainsi bouger les lignes ? La mobilisation du maire ? La mobilisation d’élus de poids à ses côtés ? Celle de grandes associations nationales ? Celle de personnalités ? Le changement de préfet ? Le référé suspension introduit par le maire pour destruction d’espèces protégées ? Le rappel aux services de l’État qu’ils s’apprêtaient à violer la loi ? On ne le saura pas, et peu importe. Ce qui est essentiel et certain, c’est que chacun a joué sa part. Sans cela, les platanes ne seraient plus. Aussi, si c’est bien l’association ARBRES - Gardiens de l’ombre qui a présenté cette action conjointe au « prix des allées », c’est bien tous, et en particulier la commune, que le jury entend remercier pour leur action et encourager à poursuivre une réflexion sur l’avenir de ces alignements de platanes qu’il faut aussi préparer.