Le projet de loi de simplification de l’économie, adopté par le Sénat le 22 octobre 2024, comporte différentes dispositions favorisant le développement anarchique des panneaux photovoltaïques "d’autoconsommation résidentielle", notamment en toiture, forme de mitage incompatible avec la préservation de nos paysages urbains et ruraux.
Il s’agit de priver les Architectes des bâtiments de France (ABF) de leur pouvoir d’autorisation de ces dispositifs dans les abords des monuments historiques, comme dans les Sites patrimoniaux remarquables (anciens secteurs sauvegardés), développant ainsi les dérogations créées par la loi ELAN avec un article L. 632-2-1 du code du patrimoine.
L’effet de cette disposition est renforcé par la création de possibilités de déroger aux protections voulues par les plans locaux d’urbanisme (PLU).
Ces propositions - provenant d’un lobby ? - ont notamment été introduites dans le projet de loi par la sénatrice Nathalie Delattre, nouvelle ministre des relations avec le Parlement.
Le texte ainsi modifié a été transmis, le 23 octobre 2024, à l’Assemblée Nationale, qui devra supprimer ces dispositions de la loi pour s’opposer à une invasion de panneaux photovoltaïques chinois, menace d’autant plus tangible que le marché américain s’est récemment fermé à ces produits.
Qu’avons-nous à gagner à ce jeu de massacre ? Abrogeons l’article L. 632-2-1 du code du patrimoine, siège d’exceptions toujours plus nocives !
JL
La loi ELAN comme matrice
Dans le numéro de 2018 de Sites & Monuments, consacré à la loi ELAN de novembre 2018, nous expliquions les dangers de la création d’un article L. 632-2-1 dans le code du patrimoine. Cet article, imposé par le gouvernement Philippe dès le projet de loi ELAN (art 15), permet en effet de soustraire au pouvoir d’autorisation des Architectes de Bâtiments de France, cantonnés à de simples avis, les bâtiments placés par les maires sous arrêté de péril ainsi que les antennes relais de téléphonie mobile. Nous écrivions alors (p. 9), qu’"intrinsèquement mauvaises, les dispositions de la nouvelle loi pourraient en susciter d’autres". C’est malheureusement ce qui se dessine aujourd’hui.
Ces dérogations touchent les zones les plus patrimoniales de France, à commencer par nos 940 Sites patrimoniaux remarquables (nouveau nom des Secteurs sauvegardés voulus par Malraux), protégeant les plus belles villes françaises et nos 46 000 périmètres de protection des monuments historiques, riches en bâtis anciens de qualité. Les 6% du territoire concernés confèrent une bonne part de son attractivité, notamment touristique, à notre pays. Il est donc capital de protéger ces espaces en n’entravant pas l’action des architectes des bâtiments de France (ABF).
Les effets de cette modification législative ont été patents en 2022 lorsque, malgré l’avis négatif particulièrement argumenté de l’ABF, devenu "simple", la "carte postale" de la ville de Foix a été impitoyablement détruite en raison d’un prétendu état de péril (pourtant récusé par l’ABF dans son avis).
Première tentative dans le cadre de la loi d’accélération des ENR
Le mécanisme dérogatoire ayant été créé par ce nouvel article L. 632-2-1, la liste à la Prévert des dérogations ne demandait qu’à s’accroître. Des amendements ont été déposés pour les dispositifs d’isolation thermique (isolation thermique par l’extérieur, menuiseries PVC) ou pour l’installation de panneaux photovoltaïques, en particulier dans le cadre de la loi d’accélération des ENR. Nous avions alors contribué a faire échouer, en novembre 2022, cet amendement macroniste. Le Canard enchaîné lui consacra notamment un article intitulé "Le soleil a rendez-vous avec la thune".
Actuelle tentative dans le cadre de la loi de simplification de l’économie
Déposé en avril 2024 par Bruno Le Maire, le projet de loi de simplification de l’économie - concept faisant désormais frémir tous les défenseurs du patrimoine - sera une nouvelle occasion d’accroitre le champ des dérogations de l’article L. 632-2-1. C’est à l’occasion des débats devant le Sénat que quatre amendements - rédigés dans des termes parfaitement identiques - proposèrent de retrancher du pouvoir d’autorisation des ABF « …° Les travaux d’installation d’équipements produisant de l’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil d’une puissance inférieure ou égale à 9 kilowatts-crête. »
L’exposé des motifs des amendements, lui aussi rigoureusement identique, précise que :
"L’installation de panneaux photovoltaïques requiert l’avis conforme des Bâtiments de France lorsque le logement est situé dans le périmètre d’un site remarquable protégé ou en abords d’un monument historique. Cet avis est cumulatif à la demande d’autorisation préalable ou au permis de construire également nécessaire.
Il s’agit d’une lourdeur administrative pesant sur les artisans et entreprises de travaux qui pour beaucoup se chargent de la rédaction d’un dossier particulièrement long à destination de l’ABF. Au final, ce régime d’avis conforme constitue un blocage administratif au déploiement des installations photovoltaïques.
Le présent amendement propose en conséquence de transformer le régime d’avis conforme de l’ABF en régime d’avis simple afin d’accélérer le déploiement des installations résidentielles de production d’énergie renouvelable (≤ 9 kWc)."
Cette présentation est fallacieuse car les exigences particulières concernant les zones patrimoniales (sites patrimoniaux remarquables et abords de monuments historiques) en matière de déclaration préalable d’installations photovoltaïques sont communes aux cas de "modification d’une construction visible depuis l’espace public", même hors zone patrimoniale : un "document graphique permettant d’apprécier l’insertion du projet", une photographie proche et une photographie lointaine. On comprendra aisément qu’une notice complémentaire "faisant apparaître les matériaux utilisés et les modalités d’exécution des travaux" s’ajoute à ces trois éléments dans les zones patrimoniales. Rien d’abusif, par conséquent (voir document cerfa).
L’amendement n’est d’ailleurs pas cohérent puisque, ne supprimant que l’avis conforme - et non l’avis simple des ABF - les notices prévues par le document cerfa ci-dessus seront toujours exigibles (afin que l’ABF puisse rendre son avis désormais non obligatoire) ! On voit bien que la simplification administrative n’est qu’un prétexte...
A quoi correspondent ces installations photovoltaïques de puissance installée inférieure ou égale à 9 kWc ? Les professionnels nous apprennent qu’un système de 3 kWc de puissance installée nécessite environ 15 à 17 m² de surface en toiture (pour un coût, installation comprise, de 8 300 € à 10 000 €), celui de 6 kWc couvre environ 30 à 34 m² (coût entre 16 000 € et 19 000 €) et celui de 9 kWc environ 45 à 51 m² (coût entre 22 000 € et 27 000 €) (lire ici). C’est donc un mitage de petites installations peu efficaces qui s’annonce, pire solution pour les paysages. Ces panneaux photovoltaïques, à la production aléatoire et non stockable, fonctionnent en autoconsommation partielle avec vente du surplus à EDF (soumis à une obligation d’achat) (lire ici). C’est le système des éoliennes...