Exportations de pesticides interdits : pourquoi le CCFD-Terre Solidaire poursuit la France - CCFD-Terre Solidaire

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Interdire des pesticides tout en continuant de les produire pour les exporter, voici sans doute l’une des plus grandes incohérences, doublée d’un scandale sanitaire, à laquelle se livre la France depuis trop longtemps. L’État français autorise encore la commercialisation de substances pesticides pourtant interdites, car trop dangereuses pour la santé de ses citoyens et pour l’environnement. Des exports toxiques à destination de pays à faible revenu, dont les régulations sont moins strictes. Face à cette politique du « deux poids deux mesures » inacceptable, le CCFD-Terre Solidaire a décidé d’attaquer l’État français en justice.

Bien que l’Union européenne interdise l’usage – sur son territoire – de pesticides particulièrement dangereux pour la santé humaine et les écosystèmes, leur production et exportation vers des pays tiers reste, elle, autorisée. En 2018, la France s’est engagée à mettre un terme à cette hypocrisie en ajoutant à la loi Egalim un article visant à interdire l’exportation de pesticides contenant des substances toxiques interdites au sein de l’UE. #EXPORTSTOXIQUES

Une bonne nouvelle ? Pas vraiment, puisque la circulaire censée mettre en œuvre la loi permet, en pratique, de la contourner : si les pesticides interdits ne peuvent en effet pas être exportés ; les substances actives qui les composent, elles, peuvent l’être. Le diable se cache dans les détails.
Ces substances, dont certaines classées cancérigènes, reprotoxiques ou perturbateurs endocriniens, continuent ainsi d’être produites et exportées, au détriment des populations et des écosystèmes des pays importateurs. Résultat : en 2023, la France a exporté environ 7 300 tonnes de pesticides interdits, dont 4 500 tonnes sous forme de substances actives, grâce à cette faille législative.


UN ECHEC EN TROIS ACTES

Acte I : en France, les sites de production de ces substances pesticides continuent de causer des dommages environnementaux et sanitaires considérables pour les riverains[1].

Acte II : L’export de ces substances cause empoissonnements et décès. Dans les plantations de cannes à sucre brésiliennes, des substances comme la picoxystrobine et le fipronil, pourtant reconnues pour leur toxicité, sont employées massivement. Ces produits provoquent des intoxications, dont 20% des victimes sont des enfants, et même des bébés, puisque l’on retrouve des résidus de ces substances dans le lait maternel. Au-delà des dégâts irréversibles causés sur la santé, c’est tout l’environnement, les sols, les cours d’eau et les écosystèmes qui sont contaminés.

Acte III : retour à l’envoyeur. Les pays qui importent ces substances exportent ensuite vers la France et l’UE des produits agricoles contenant ces mêmes substances toxiques : des fruits et légumes qui se retrouvent ensuite dans nos assiettes. La boucle est bouclée.

Bataille juridique
Après avoir interpellé, en vain, les ministres de l’agriculture, de l’environnement et de l’économie en avril dernier[2], le CCFD-Terre Solidaire et l’Institut Veblen ont décidé de porter l’affaire des exports toxiques devant le Conseil d’État. L’objectif : interdire les exports des substances actives interdites dans l’UE, conformément à l’esprit de la loi, afin de garantir la protection des populations et de l’environnement, même au-delà de nos frontières. Après avoir saisi le Conseil d’État en août, les deux ONG ont déposé le recours complet le 4 novembre dernier, et attendent désormais la réponse de l’État français.

D’un commerce illicite à une législation cohérente et respectueuse des droits humains
Le recours porte sur deux demandes : d’abord, la mise en cohérence de la circulaire avec les objectifs recherchés par la loi. Ensuite, qu’elle s’inscrive dans le respect de normes qui lui sont supérieures. La Charte de l’environnement, le Traité Fondateur de l’UE ou les droits humains reconnaissent en effet le droit des peuples à un environnement sain, et instaurent un principe de non-discrimination incompatible avec ces exports toxiques, comme l’a rappelé Marcos Orellana, le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits humains et les produits toxiques.

En exportant ces produits, la France se rend complice d’un scandale sanitaire insupportable, dont les conséquences – comme l’a tristement illustré l’affaire de la chlordécone aux Antilles – risquent de marquer ses relations géopolitiques. 

En attendant la décision de justice, nos organisations demandent au gouvernement de suspendre les exportations dénoncées. Une demande qui devrait trouver une réponse favorable, puisque la France s’est récemment engagée à soutenir une interdiction d’export des pesticides interdits au niveau européen.

[1] Voir l’enquête de Vert de rage / documentaire
[2] Ces mêmes ministres qui ont eux-mêmes reconnu que la faille dans la loi n’était pas acceptable ni conforme aux objectifs poursuivis

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Recapiti
Noémie Marshall