Deux élections qui exigent un sursaut de l’intégration européenne

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« Ne pas attendre, ne pas dépendre : Construire notre puissance Européenne et s’en donner les moyens !
La montée du nationalisme mondial et européen nous oblige ! L’heure n’est pas à l’exégèse mais à l’action. C’est pourquoi EuropaNova s’engage dans une démarche qui implique la société civile, ainsi que les leaders européens, pour accélérer le renforcement de la puissance européenne, de son autonomie et de sa souveraineté. Cette dynamique doit se faire dans le respect des valeurs fondamentales que sont la démocratie, le développement durable, la solidarité et la prospérité. Car il n’y a pas de solidarité sans prospérité, ni de prospérité sans solidarité.
Aujourd’hui, l’Europe se doit de tracer un chemin singulier vers un avenir qu’elle choisit. Depuis 2023, EuropaNova travaille à réunir les acteurs de la société civile et les dirigeants européens, tous domaines confondus, afin de nourrir une réflexion structurée sur l’horizon 2040. Retrouvez notre rapport 2024 sur la puissance européenne, « Europe 2040 : Demain se joue dès aujourd’hui », qui propose de co-construire une puissance globale, durable et responsable, avec 17 questions fondamentales. Retrouvez également l’analyse d’Olivier Costa, membre du comité scientifique d’EuropaNova. » – Isabelle Négrier, Directrice Exécutive d’EuropaNova.

Deux élections qui exigent un sursaut de l’intégration européenne

En juin 2024, les élections européennes se sont traduites par une montée de la droite eurosceptique, ultime avertissement avant un possible blocage des institutions européennes. De l’autre côté de l’Atlantique, Donald Trump a été rappelé au pouvoir. Ces deux scrutins créent un contexte difficile pour l’Union, qui voit sa capacité décisionnelle affectée et qui redoute désormais de faire les frais d’un repli américain plus ou moins radical. Mais ils peuvent aussi être l’occasion d’un sursaut salutaire.

Le bilan contrasté des élections européennes

Les élections européennes n’ont pas suscité de bouleversement majeur, mais créent des incertitudes nouvelles. Le Parlement européen (PE) poursuit l’évolution entamée depuis 20 ans : il penche toujours plus à droite et se fragmente davantage. Il n’y a pas eu de lame de fond de l’extrême-droite, comme on le craignait. Dans certains pays – tels que la France, l’Autriche, les Pays-Bas ou l’Allemagne – les partis d’extrême-droite ont réalisé des scores historiques, mais ils ont reculé en Italie, en Pologne, au Danemark, en Suède et en Finlande. Ainsi le groupe ECR (nationalistes eurosceptiques, qui siègent à la droite du PPE, le groupe démocrate-chrétien) ne progresse que de 4 sièges (73) et le groupe ID (extrême-droite) de 9 (58). 

Les principaux groupes pro-européens – socialistes (S&D), libéraux et centristes (Renew) et démocrates-chrétiens (PPE) – continuent à dominer le PE, avec environ 400 sièges. Le groupe PPE, gagne 10 députés (186) tandis que le groupe S&D en perd 5 (135). Le groupe Renew connaît un net recul, passant de 102 à 79 sièges. C’est également le cas des Verts qui, en raison de leurs contreperformances en Allemagne et en France, ont perdu 18 sièges : avec seulement 53 députés, ils ne pourront plus peser comme avant. Quoi qu’il en soi, la coalition informelle que forment les groupes S&D, Renew et PPE, et qui dominait le précédent PE, perdure et a permis la réélection d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission. L’investiture du collège des commissaires ne devrait pas non plus poser de problème.

Le PE est néanmoins plus fragmenté qu’en 2019. Le nombre de groupes augmente (8, avec l’arrivée d’un nouveau groupe d’extrême-droite) et les écarts de taille entre eux se réduisent. L’obtention de majorités devient donc plus complexe. Avant 2014, il suffisait aux groupes S&D et PPE de s’entendre. Depuis 2019, ils sont contraints de négocier avec d’autres groupes pour assurer leurs arrières (Renew, Verts, GUE). A présent, les configurations seront encore plus complexes et il est possible que sur certains sujets – comme les questions d’immigration ou d’environnement – le PPE soit tenté de voter avec les groupes situés à sa droite, plutôt qu’avec les socialistes et les libéraux. 

Des élections américaines qui accentuent l’urgence de changement

Aux Etats-Unis, la victoire de Donald Trump est nette, et doublée d’une majorité républicaine au Sénat. Le nouveau Président aura les coudées franches pour mettre en œuvre son programme, et rien n’indique qu’il fera preuve de la moindre retenue. Le protectionnisme sera à la fête et le soutien américain à l’Ukraine et l’investissement des Etats-Unis dans l’OTAN vont être reconsidérés. L’hypothèse que personne n’envisageait en 2020 – un retour de Donald Trump à la Maison Blanche, bien décidé à régler ses comptes avec tous ceux qui se sont opposés à lui – s’est réalisée.

M. Trump n’entrera en fonction qu’en janvier 2025, mais on a déjà pu constater les réactions désordonnées des leaders des États membres, qui se sont précipités pour le féliciter et essayer de nouer avec lui un dialogue privilégié. Mme von der Leyen s’est quant à elle distinguée par l’enthousiasme de son message de félicitations, qui illustre son atlantisme et laisse penser qu’elle n’est pas forcément prête à contrarier les autorités américaines.

Déclin ou sursaut pour l’Union européenne ?

Le pire n’est jamais certain. Depuis 20 ans, l’Union européenne a prouvé sa capacité à transformer les crises en opportunités. De fait, toutes les initiatives d’ampleur des années 2000 ont été des réponses à des situations d’urgence : montée de l’euroscepticisme, crise financière, crise migratoire, Brexit, dérives illibérales, guerre en Ukraine… Une fois encore, il convient de raisonner en termes de « coût de la non-Europe », comme l’avait déjà proposé Jacques Delors dans les années 1980. Il y a aujourd’hui trois conditions essentielle à remplir pour éviter le déclin économique et géopolitique de l’Union, notamment face à la nouvelle donne politique aux Etats-Unis. 

D’abord, il faut cesser les réactions en ordre dispersé aux résultats des élections américaines, et éviter que les États membres n’essaient de négocier individuellement des arrangements préférentiels avec les Etats-Unis sur le dos des autres. Contre toute attente, l’Union européenne a fait la preuve de sa capacité à agir collectivement ces dernières années. Une des grandes déceptions des artisans du Brexit a été la capacité des 27 à faire front commun, et à s’en remettre entièrement à Michel Barnier pour négocier la convention de divorce. L’Union a aussi montré un front uni face à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Si, certains, comme M. Orban, ont depuis mis à mal cette unanimité, elle a initialement constitué une bien mauvaise surprise pour le Kremlin. 

Il faut, en deuxième lieu, mettre de l’argent sur la table. Un consensus se dessine depuis quelques années pour que l’Union européenne soit plus ambitieuse à bien des égards : politique industrielle, défense, innovation, action sociale, transition écologique… Mais, dans le même temps, les « frugaux » poussent constamment à une réduction du budget de l’Union, passé en quelques années de 1,27% du produit intérieur brut de l’Union (le maximum autorisé par les traités) à 1%. A titre de comparaison, on rappellera qu’aux Etats-Unis le budget de l’État fédéral représente à lui seul 25% du produit intérieur brut. 

En troisième lieu, il faut accepter davantage d’intégration. En l’état actuel des choses, le recours à l’unanimité qui s’impose pour toutes les décisions-clés – en matière de politique étrangère, de fiscalité, d’élargissement ou de réforme des traités – donne à Donald Trump et Vladimir Poutine un pouvoir de veto sur l’action de l’Union. Il suffit pour cela qu’un membre du Conseil européen refuse de s’associer aux décisions qui leur déplaisent, ce que M. Orban a déjà souvent fait. Il est louable que l’Union avance dans le respect des souverainetés, mais ce qui était possible à 6, 12 ou 15, avec des partenaires de bonne foi et d’accord sur l’essentiel, ne l’est plus à 27. Il existe désormais d’importantes divergences de vues et d’intérêts qui rendent très difficile l’obtention de l’unanimité sur toute décision un tant soit peu ambitieuse. Il convient donc d’approfondir l’intégration, c’est-à-dire que les États membres consentent à de nouveaux transferts de souveraineté, acceptent le renforcement des institutions supranationales (PE, Commission, Cour de justice, Banque centrale européenne) ainsi qu’à la réduction du champ d’application de l’unanimité au Conseil européen et au Conseil de l’Union. 

Le contexte actuel très tendu – guerre en Ukraine, pression commerciale chinoise, montée de l’euroscepticisme, protectionnisme américain, possible déclin de l’OTAN, dérives illibérales en Europe… – constitue un défi immense pour l’Union européenne. L’élection de Donald Trump est une nouvelle épreuve pour l’Union : elle pourrait sceller sa relégation économique et géopolitique, mais aussi susciter le sursaut qui permettrait de l’éviter.

Olivier Costa

Directeur de recherche au CNRS, CEVIPOF – Sciences Po

olivier.costa@cnrs.fr

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