« Régénérer les sols » - CCFD-Terre Solidaire

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Publié le 21.10.2024

Des alternatives à la chimie existent, même en zone tropicale. Mais pour cela, il faut permettre aux terres de vivre, selon Thibaud Martin, entomologiste et chercheur au Cirad depuis 1989. Il coordonne les projets HortiNet et C2D en Côte d’Ivoire pour développer des systèmes agroécologiques en horticulture pour les petits producteurs. Il dirige également un groupe de recherche pluridisciplinaire avec des agriculteurs pour évaluer ces alternatives.

Les mauvaises pratiques et l’utilisation massive des pesticides en Côte d’Ivoire ont considérablement appauvri les sols. Le pays peut-il encore compter sur ses terres pour nourrir sa population ?

Thibaud Martin : Oui, c’est possible. C’est extrêmement facile de régénérer les sols en apportant de la matière organique animale ou végétale. En zone tropicale, tous les organismes se multiplient très vite. C’est beaucoup plus facile et rapide de faire un compost en zone tropicale qu’en zone tempérée, par exemple. Autre solution, au lieu de brûler ou supprimer les plantes qui poussent avec un herbicide ou avec un feu de brousse, on peut les couper. Ainsi, les végétaux vont se transformer en matière organique. Ils vont protéger le sol contre la chaleur, contre l’érosion, contre le vent.

La Côte d’Ivoire a un formidable potentiel de production. Si l’on veut développer des systèmes durables ou enrichis en matières organiques, il faut pouvoir en être propriétaire pour pouvoir bénéficier des effets à long terme. On parle aussi de diversifier les cultures d’agroforesterie, planter un arbre, on ne peut le faire que si l’on est propriétaire de son terrain. Au Congo, l’État a sécurisé des périmètres horticoles autour de la ville de Brazzaville et ensuite a confié l’exploitation de ces petites parcelles à une multitude de petits producteurs avec un cahier des charges : les agriculteurs développent eux-mêmes des systèmes agroécologiques avec l’utilisation de matières organiques, mais aussi avec l’utilisation de plantes pesticides, c’est-à-dire des plantes qui en soignent d’autres.

Comment peut-on y parvenir  ?

Il y a une très grande diversité d’espèces végétales. En Côte d’Ivoire, par exemple, on a développé l’utilisation d’une plante locale que l’on appelle le Karaba, dont les femmes, traditionnellement, font du savon noir avec l’huile qui est extraite des graines. Et l’efficacité insecticide de cette huile a été montrée par le Sénégal. De la même façon, l’intérêt du neem est bien connu. Ces deux huiles végétales ont un effet relativement complet : elles repoussent les insectes plutôt qu’elles ne les tuent. Elles réduisent donc le risque de sélection d’espèces résistantes. Et vont aussi avoir des effets antiseptiques, antibiotiques et antifongiques.

Peut-on se passer de produits chimiques pour cultiver en zone tropicale ?

En Afrique, les gens n’ont pas attendu l’agriculture conventionnelle pour faire de l’agriculture. Donc il y avait de la permaculture, des systèmes agroécologiques efficaces. La chimie est arrivée et a tout bouleversé. L’idée est de retrouver ces savoirs, retrouver ces connaissances et de les enrichir avec les connaissances actuelles. Certains jeunes producteurs ne veulent pas revenir à une agriculture archaïque. Or il s’agit de développer une agriculture moderne, mais plus biologique que chimique. On est en zone tropicale, il existe une grande diversité d’espèces. On peut trouver des espèces qui s’équilibrent les unes les autres et qui peuvent permettre d’avoir une production de qualité sans avoir forcément recours au chimique. Quand il y a des ravageurs invasifs, il n’y a pas d’autre choix que la chimie. Mais au même titre que les humains qui vont prendre un antibiotique en cas d’infection bactérienne. La chimie devrait être le dernier recours quand il n’y a plus d’autres solutions. On a montré avec le Kenya qu’il est possible de produire des légumes de bonne qualité, avec de bons niveaux de rendement en faisant du bio. Pour cela, il faut recréer un sol vivant.

Propos recueillis par François Hume-Ferkatadji

Recapiti
Mathieu Lopes