L’État et Orange ont acté en fin d’année dernière une révision des engagements d’Orange pour déployer uniquement 1,5 millions de foyers supplémentaires d’ici 2025, et ce, dans un contexte de fort ralentissement, voire d’arrêt des déploiements. Depuis 2020, cet objectif est sans cesse repoussé pour aboutir à une visée plus réaliste mais peu fidèle aux visées initiales : 98,5% de THD en zone AMII et 96% en zone très dense à fin 2025.
En outre, Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, avait annoncé que le raccordement à la demande allait être mis en place pour tous les Français situés en zone AMII Orange et qui souhaitent avoir accès à la fibre à l’horizon 2025 et ce, dans un délai de 6 mois maximum. Orange s’est donc engagé à raccorder sous 6 mois tout particulier qui en ferait la demande, en zone AMII uniquement.
Plusieurs craintes avaient été soulevées alors, pleinement corroborées aujourd’hui :
- Si le délai de 6 mois n’est pas respecté, aucun élément concret et juridique n’ouvre la possibilité aux particuliers de porter plainte auprès de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) pour obliger l’opérateur d’infrastructure à respecter son engagement dit « L33-13 » (déploiement de la fibre).
- Orange, incapable d’assurer la complétude, n’a pas la logistique suffisante au niveau national pour répondre à des milliers, voire dizaines de milliers de demandes simultanées éclatées sur l’ensemble du territoire.
- Enfin, l’offre de « raccordement à la demande » n’est disponible que pour les clients Orange, les clients des autres opérateurs devront d’abord commander un accès ADSL chez Orange, puis demander la migration de la ligne « cuivre » vers la fibre.
Analyse par zone
En zone RIP, des territoires présenteront un certain retard, essentiellement parce que les Départements ou syndicats concernés ont choisi des modèles de commande publique recommandés par l’État au début du plan France THD (2013 et 2014).
Il y a aussi des territoires qui n’avaient pas prévu le 100% fibre (FttH) dès le début, puisque le Plan France THD (PFTHD) recommandait de faire 80% de FttH seulement à l’origine pour les premières phases. Or l’État a fermé le guichet du plan fin 2017 sans prévenir les collectivités, lesquelles ont dû attendre le plan de relance de l’été 2020 et la réouverture du guichet pour déposer leur seconde phase.
Considérant par ailleurs le temps de lancement des procédures de commande publique ad hoc, de contractualisation avec l’État… on peut estimer que la fermeture du PFTHD fin 2017 est responsable d’un retard de trois à cinq ans selon les procédures choisies par les différentes collectivités.
Cependant, en dépit de ces différentes difficultés, il y a nettement plus de zones départementales publiques que de zones départementales privées couvertes ou presque.
Concernant les zones privées, le précédent Gouvernement ayant abandonné toute intention de sanctionner Orange pour non-respect de ses jalons de déploiements, et Orange étant de loin le principal opérateur devant déployer en zone privée, il n’existe plus vraiment d’outils pour contraindre l’opérateur, surtout en zone très dense (ZTD, opérateurs privés). Seule une interdiction forte et durable de fermer le cuivre en l’absence de fibre pourrait pousser l’opérateur historique à la complétude en ZTD.
Il convient donc de refuser l’apport du moindre euro d’argent public en ZTD (et en zone AMII aussi d’ailleurs), pour deux raisons :
- Du point de vue de Bruxelles, ce serait illégal au regard du régime des aides d’État ;
- Les opérateurs privés ont librement choisi de faire ces zones et trois d’entre eux (Orange, SFR et Free) se sont opposés à toute intervention publique sur ces zones.
Pour la zone AMII, il convient que l’Arcep fasse respecter avec force l’obligation de complétude réglementaire des points de mutualisation dans un délai maximal de cinq ans. L’Arcep a bien effectué des mises en demeure, mais très tardivement.
Le cas des raccordements complexes
Il est question d’un coût de 1,5 à 2 milliards d’Euros, pour un demi-million de raccordements complexes. Mais le volume et le coût ne seront parfaitement connus qu’au fil du temps, puisque les raccordements sont toujours en cours. À ce stade de nombreuses zones n’ont « basculé » que moins de la moitié des raccordables à la fibre vers cette nouvelle technologie. Or, ce n’est souvent qu’au moment de la tentative de raccordement que l’on en constate le caractère « complexe » du raccordement
Sur le domaine public, pour répondre à cette problématique de raccordement complexe, la proposition de « GC Co » – dispositif mutualisé de financement du génie civil porté par la Banque des Territoires – est bénéfique puisqu’elle ne mobilise pas un euro d’argent public (péréquation).
Sur la partie privative, il sera nécessaire d’engager, en revanche, un dispositif d’aide public, éventuellement sous conditions de ressources et lié à la fermeture du cuivre : en effet, c’est parce que le passage du cuivre vers la fibre est imposé à tous qu’il faut aider celles et ceux qui n’avaient pas prévu initialement de « basculer » vers la fibre. En revanche, même si elle doit être gérée par l’État pour assurer l’égalité de traitement, l’aide devrait être abondée par les opérateurs privés.
Les errements du mode STOC
Pour rappel, le mode STOC (Sous-traitance opérateur commercial) désigne donc le mode opératoire qui a été généralisé pour le raccordement des abonnés sur les réseaux de fibre.
Dans ce modèle, comme présenté précédemment, l’opérateur d’infrastructures (ou opérateur d’immeuble) ne réalise donc pas le raccordement lui-même mais délègue le déploiement des derniers mètres de fibre et l’opération de raccordement chez le client à l’opérateur commercial, soit les fournisseurs d’accès internet précédemment évoqués (Orange, Bouygues, Free, SFR), via un contrat de sous-traitance (désigné sous le terme de « contrat STOC »).
Ce fonctionnement a très rapidement entrainé des impacts négatifs lors des raccordements : dégradations des armoires techniques et boitiers de raccordements, clients déconnectés, routes optiques communiquées par l’exploitant du réseau non respectées, non-raccordement de certains clients, actes de vandalisme sur les réseaux FttH etc.
Pour rappel, la proposition de loi « Chaize » vise à contraindre les opérateurs télécoms et leurs sous-traitants à garantir la qualité des raccordements réalisés jusqu’à l’abonné tout en évitant les dégradations quotidiennes constatées sur les équipements de réseaux optiques (armoires techniques, câbles, boitiers…).
Ainsi, l’abonné pourra bénéficier, à son domicile, d’une installation conforme tout en limitant drastiquement le risque de pannes et de coupures. A défaut, il sera en droit de suspendre le paiement de son abonnement auprès de son fournisseur d’accès Internet et même le résilier.
Cette proposition de loi n’a pas été « reprise » à l’Assemblée nationale lors de la précédente législature, les députés de la majorité ayant reçu pour mot d’ordre de ne pas s’en emparer et les parlementaires LR n’ayant pour le moment pas jugé opportun de l’inscrire à leur calendrier politique. Des associations telles que l’UFC-Que choisir déplorent cette absence de mobilisation.
Afin de maintenir la pression sur le Parlement, l’AVICCA propose par ailleurs une lettre conjointe avec DF à l’attention du Président du Sénat ou du Président de la commission des affaires économiques pour être auditionnée par ladite commission.
Un mode d’entretien des réseaux à rénover
L’entretien du réseau est défaillant depuis des années et les élus locaux s’en plaignent régulièrement, mais cela ne semble pas émouvoir davantage Orange. En atteste l’absence d’entretien de son propre parc par Orange : en moyenne 30% des poteaux d’Orange ont dû être changés par les collectivités pour pouvoir y déployer la fibre. Sur certains tronçons de la Loire ou de la Corrèze, les taux de remplacement ont dépassé les 70%.
Les collectivités se mobilisent dans des conditions particulièrement difficiles pour maintenir les réseaux en bon état. Et pourtant, le moins que l’on puisse constater, les embûches sont nombreuses. On peut citer pêle-mêle :
- Le changement de tarification du FttH imposée par l’Arcep post-2015 ;
- L’absence de retour d’expérience sur le mode STOC et les dégâts qu’il cause ;
- La hausse plus rapide que prévue du coût de l’offre de génie civil d’Orange ;
- L’absence d’entretien (élagage) des supports aériens par Orange, sachant que les RIP concentrent 83% des supports aériens utilisés pour les déploiements en fibre optique ;
- L’arrêt du service universel par l’État en 2020 ;
- L’absence de péréquation pour l’exploitation alors qu’il y a eu une péréquation sur la construction, ce qui est incohérent puisque Orange a longtemps bénéficié d’un fonds de péréquation payé dans un premier temps par la puissance publique, puis par la communauté des opérateurs privés ;
- Les effets de plus en plus fort du changement climatique et ses conséquences sur les réseaux aériens.
Les RIP n’ont pas les mêmes difficultés selon la topologie de l’habitat et donc des réseaux, l’exposition aux aléas climatiques ou encore la capacité du RIP à avoir construit des réseaux en souterrain plutôt qu’en utilisant les supports aériens. Certains acteurs locaux éprouvent donc des difficultés difficilement surmontables pour entretenir correctement leur réseau.
Il pourrait être pertinent de remettre en place une péréquation pour les RIP sur le modèle du Fonds d’Amortissement des Charges d’Electrification (Facé) qui avait été créé pour compenser la faiblesse des investissements des opérateurs privés sur les réseaux de distribution de l’électricité dans les zones rurales.
Rétablir le service universel pourrait aussi être une option à envisager. Le service universel des communications électroniques avait été établi au niveau européen lors de la libéralisation du secteur pour permettre à chaque Etat de garantir à tous ses résidents l’accès à un ensemble de services de base déjà accessibles à la majorité de la population et essentiels pour participer à la vie sociale et économique. Orange a rempli ce rôle jusqu’en 2020.
Par voie de conséquence, au travers des obstacles à l’entretien des réseaux, c’est leur résilience qui s’en trouve affectée. A noter que, s’agissant de la gestion de crise, en cas de catastrophe (tempête, inondation, feux de forêts…), la préfecture a toujours le réflexe de n’interroger qu’Orange et pas les autres opérateurs, ni les acteurs publics des déploiements de fibre optique.
Extinction du cuivre
Alors que la complétude n’est pas atteinte et que les raccordements à l’abonné sont plus que chaotiques, peut-on se permettre de lancer le chantier de décommissionnement du réseau de base ? La complétude et la qualité des raccordements doivent être assurées avant tout retrait du réseau « cuivre ».
Nombreuses sont les communautés de communes qui, comme celle de Beaune (moins de 40 nouveaux raccordements par mois en moyenne depuis un an !), demeurent insuffisamment couvertes pour espérer fermer le cuivre.