L’Académie des Sciences d’Outre-mer interpelle le Sommet de la Francophonie – Académie des sciences dʼoutre-mer

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L’Académie des Sciences d’Outre-mer (ASOM) interpelle le Sommet de la Francophonie

L’Académie des Sciences d’Outre-mer (ASOM) entretient depuis l’origine des liens très étroits avec la Francophonie dont plusieurs des illustres bâtisseurs, tel le Président Léopold Sédar Senghor, ont compté ou comptent parmi ses membres. Plus de 35 ans après le Premier Sommet convoqué en 1986 à Versailles, à l’initiative du Président François Mitterrand, elle se réjouit de la tenue, en France, les 4 et 5 octobre prochain, de la XIXe Conférence des Chefs d’État et de gouvernement des pays ayant le français en partage. Elle entend concourir à son succès. Consciente de l’importance stratégique que revêt ce Sommet à la fois pour la France, pour la communauté francophone dans son ensemble et pour l’avenir de la Francophonie elle-même, l’ASOM a souhaité partager avec les plus hauts responsables de cet Ensemble ses analyses, ses questionnements, voire ses inquiétudes et quelques suggestions.

Précédée, le 5 juin 2024, d’une visite au Château de Villers-Cotterêts, la Journée « Francophonie » organisée le 7 du même mois, au 15 rue La Pérouse, a démontré, par la forte mobilisation et les échanges de haut niveau qui s’en sont suivis, l’attachement renouvelé à la cause francophone de la centaine de participants (académiciens, représentants des structures et institutions francophones, partenaires, experts et personnalités invitées). Le présent mémorandum livre les principales réflexions et recommandations issues de ces travaux (cf. site de l’ASOM), appelés à se poursuivre.

Nous avons l’honneur de vous les soumettre en tant que contribution de l’ASOM aux efforts à l’œuvre en Francophonie.

I Francophonie et mutations du monde

  1. Compte tenu des mutations accélérées que connaît le monde, notamment le basculement de la richesse de l’Ouest à l’Est et au Sud, le déploiement universel de l’ère numérique et de l’IA, l’urgence climatique et l’enrichissement démographique de l’Asie du Sud et de l’Afrique ; compte tenu de la reconfiguration en cours de l’ordre international avec le développement de nouvelles alliances et solidarités tant au Sud qu’au Nord ; compte tenu aussi des graves menaces de tout genre et des crises multiformes auxquelles sont confrontés les pays membre de la Francophonie; compte tenu enfin du certain effacement que connaît aujourd’hui cette dernière dans son espace et sur la scène internationale,

Pour que la Francophonie puisse demeurer un partenaire apprécié au sein de la communauté internationale et un recours efficace pour ses Pays membres au XXIe siècle, il est indispensable que le XIXe Sommet délibère et se positionne clairement sur ces questions jugées prioritaires et arrête des politiques et des plans d’action afférents substantiels.  

  1. L’OIF partage avec toutes les Organisations multilatérales les effets dévastateurs des crises mondiales des deux premières décennies du XXIe siècle : la crise économique et financière des années 2007 à 2009, l’intensification du terrorisme et la pandémie de la Covid, auxquelles se sont ajoutées plus récemment l’invasion russe en Ukraine et la réponse militaire israélienne à Gaza – et aujourd’hui au Liban – par suite de l’attentat terroriste du Hamas de septembre 2023. Cet enchaînement d’événements a absorbé l’attention des dirigeants et les ressources disponibles. Il a contribué à marginaliser les organisations multilatérales, en perte d’efficacité et de crédibilité

L’ASOM estime, en conséquence, que le prochain Sommet doit prévoir un calendrier de redressement du budget de l’OIF, affronter les problèmes qui affaiblissent cette dernière et limitent son rayonnement, fixer un cap clair. En contrepartie, l’Organisation doit aider les États et les gouvernements à se réengager explicitement et avec détermination dans le projet francophone dans toutes ses dimensions, notamment par une série de rencontres et de conférences ministérielles – dont une 4e Conférence des ministres de la Justice – qui ont le bon effet de remobiliser tous les acteurs, la société civile, les réseaux institutionnels, les médias, la haute fonction publique et les responsables politiques du secteur et finalement les plus hautes instances

II La langue française dans le pluralisme et la diversité, son usage, sa place et son avenir

  1. Certes les perspectives sont bonnes concernant le nombre de locuteurs francophones dans le monde, situés sur les cinq continents, compte tenu en particulier des prévisions de l’accroissement démographique, notamment en Afrique dont la population devrait doubler d’ici 2050. Néanmoins les inquiétudes sont sérieuses, partout dans l’espace francophone, quant au maintien de l’utilisation effective du français, en particulier de la part des jeunes. Une langue doit être utile pour permettre l’accès au monde et à la modernité. L’affaire n’est pas jouée. La France, qui abrite à son tour, après nombre de capitales sur tous les continents, le prochain Sommet, parce qu’elle est le berceau de la langue française, a une responsabilité particulière à l’égard de cette dernière. Or nombreux sont ceux qui s’interrogent sur sa volonté d’être un élément moteur de la stratégie résolue désormais requise dans ce domaine. Il lui faut être exemplaire. Les Français le sont-ils ? Il est temps de réagir. D’où la forte mobilisation intervenue en faveur de la révision de la loi Toubon pour en renforcer le champ et la portée.
  1. Le Québec a connu dans ce sens, récemment, un important réaménagement de son dispositif en matière de promotion et de protection de la langue française ; en Afrique, où il s’agit, dans un contexte de bi- ou de plurilinguisme affirmé, de conjuguer français et langues locales ou nationales, les politiques linguistiques connaissent un profond renouvellement.
  1. La place du français dans les institutions internationales et en particulier européennes reste, dans ce combat, déterminante. Résister à la commission dans sa volonté d’imposer l’anglais comme seule langue de travail ? Ne faut-il pas conserver au français son statut de langue officielle et de travail, privilégier la traduction et l’interprétation ? Il s’agit d’un choix vital pour la Francophonie, mais aussi d’un combat déterminant pour sauver « Babel » et la liberté de nos choix.
  1. La question des GAFAM présente, enfin, une acuité particulière. Avec une production culturelle ou voisine jamais égalée dans l’histoire, une politique de co-production qui les installe sous toutes les latitudes, des systèmes technologiques rendant disponible cette vaste production en temps réel, une mise en marché planétaire, la mise à disposition d’espaces d’accueil de la production des plus jeunes générations, les GAFAM constituent une machine à absorber la diversité culturelle et linguistique du monde. Ils s’y emploient avec grand succès. La réaction de la Francophonie se fait attendre. Elle est retenue et sans grande ambition. Elle n’organise pas la réplique comme elle l’a fait pour l’audiovisuel global, la diversité culturelle, menacée par l’OMC.
  1. Et nous saluons l’ouverture de la Cité internationale de la langue française dans le Château de Villers-Cotterêts magnifiquement restauré, qui offre un parcours pédagogique passionnant, montrant toutes les facettes de notre langue partagée, dans son histoire comme dans le monde, en recourant précisément aux dernières technologies.

Recommandations :  

1° Sur le français dans le monde :  Encourager toutes les mesures en faveur de son développement avec deux priorités :

  Le renforcement, dans les pays francophones, en particulier dans tous les États africains membres de l’OIF, des systèmes éducatifs en français, de l’enseignement primaire au supérieur ;

 L’ASOM recommande que la Francophonie se mobilise, comme elle l’a fait pour la pleine reconnaissance de la diversité culturelle et apporte un soutien majeur et durable au système public d’éducation à tous les niveaux, en particulier dans tous les États africains membres de l’OIF. Afin de mettre en œuvre cette politique, la Francophonie peut compter sur l’Institut de la Francophonie pour l’éducation et la formation domicilié à Dakar, à l’excellence universellement reconnue. Elle peut aussi compter sur des programmes de l’AUF.

La production et la promotion des contenus numériques en français partout dans le monde, de manière à assurer, dans ce domaine, une souveraineté en français, notamment en matière scientifique. 

L’ASOM préconise que le Sommet s’engage dans une vraie politique des contenus numériques qui ne saurait se limiter à l’importante question de la « découvrabilité ». Il est devenu urgent et indispensable que la Francophonie coordonne l’ensemble de ses appuis financiers à la production numérique dans les pays africains et dans tous les autres membres de l’OIF, voire se dote d’un fonds commun de soutien, alimenté par des contributions nationales, par celles d’institutions régionales, internationales et/ou privées.

 Il conviendra ensuite de rendre disponible cette production sur une plateforme mondiale francophone, en s’appuyant, par exemple, sur la plateforme de TV5 Monde, puis d’assurer la promotion continue de cette dernière et de ses contenus auprès du public mondial. Dans cette perspective, les centres de techniques linguistiques de la Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts seront aussi de première importance. Il est indispensable que l’organisme européen qui doit œuvrer précisément en ce domaine présente toutes les garanties utiles pour son fonctionnement, en français.

 2° Sur la langue française dans les organisations internationales :

 L’ASOM considère qu’il est temps de se saisir de cette question dans sa globalité. Elle demande au Sommet d’exiger que soit garanti le respect effectif du statut de la langue française, ainsi que de son usage dans les organisations internationales, en particulier au sein de l’ensemble des Institutions européennes (Conseil, Commission, Parlement, Cour de justice, Cour des comptes…), qu’il s’agisse des documents écrits ou des réunions de travail. Elle attend beaucoup, à tous ces égards, des nouvelles technologies liées à l’Intelligence artificielle (IA), en particulier en ce qu’elles apportent une réponse opérationnelle pour la traduction et l’interprétation à tous ceux qui arguent de l’inéluctabilité du recours à l’anglais au nom de la simplification et des économies.

 3° Sur les politiques linguistiques dans les pays francophones :

 –  L’ASOM suit avec grande attention les efforts déployés, en France, pour adapter et renforcer dès cette année, à l’occasion du Sommet des 4 et 5 octobre 2024, le cadre légal constitué par la loi Toubon sur l’emploi du français, en particulier dans les services publics. Il s’agira aussi de prévoir les moyens requis pour en garantir la pleine application ; 

  –  Elle se félicite, de même, de toute décision tendant à faire adopter, dans chaque pays, une politique nationale précisant de façon actualisée et dans des contextes culturels différenciés les modalités de l’usage du français et de sa promotion en lien avec les stratégies déployées, s’il y a lieu, en matière de plurilinguisme et à veiller au respect de telles dispositions.

 4° Sur les dictionnaires francophones :

 L’ASOM préconise de favoriser, en prévoyant les moyens adéquats, l’élaboration du dictionnaire des parlers francophones proposé par l’Académie des sciences d’outre-mer, seul outil scientifique visant à couvrir toutes les aires francophones, avec une dimension étymologique et historique, et de coordonner sa réalisation avec les autres dictionnaires existants.

III La dimension politique de la Francophonie, ses valeurs et la paix

  1. La Francophonie est une communauté de valeurs qui, avec la langue, forgent son identité. Ces valeurs reposent notamment sur les principes et engagements concrets souscrits consensuellement dans la Déclaration de Bamako sur « les pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone » du 3 novembre 2000, qui sonne comme une profession de foi : « la Francophonie et la démocratie sont indissociables : il ne saurait y avoir d’approfondissement du projet francophone sans une progression constante vers la démocratie et son incarnation dans les fait ». Ce corpus normatif et de référence pour l’action a été complété par la Déclaration de Saint-Boniface du 13 mai 2006 sur « la prévention des conflits et la sécurité humaine ».
  2. À un moment où ces valeurs et ce message sont un peu partout mis en cause – dans un cadre de concurrence ouverte avec d’autres forums qui n’ont pas les mêmes références – aussi bien dans les pays du Nord qu’au Sud, voire ouvertement contestées, y compris au sein de son propre espace, comme en témoignent les putschs et les coups de force qui fleurissent dans un contexte de lutte contre le terrorisme et de retour des conflits armés, la Francophonie doit se remobiliser plus résolument que jamais autour d’elles, d’autant qu’elle a toujours fait de leur promotion et de leur respect un des facteurs essentiels de la paix : « la démocratie et le développement sont indissociables ; ce sont là les facteurs d’une paix durable ». La Francophonie, c’est la paix par la démocratie.
  3. Il convient par là également d’essayer de dissiper les doutes et les critiques qui s’élèvent depuis quelques années sur ce qui serait une gestion de l’OIF elle-même et de ses instances plus ou moins aléatoire et complaisante à l’égard de situations mettant en cause ou violant ces valeurs, avec l’abandon, en partie et selon les cas, du mécanisme de sauvegarde prévu au chapitre 5 de la Déclaration. Comment éviter ces maux ou les contrer plus rapidement ? Les participants se sont interrogés sur les voies possibles pour maintenir le lien avec ces États aux pratiques non conformes, tout en ne cédant pas sur les fondamentaux. La Francophonie se doit en effet d’être exemplaire, ne plus pratiquer le « deux poids, deux mesures ». 

L’ASOM invite, en conséquence, le Sommet des Chefs d’État et de gouvernement des Pays membres de la Francophonie à :

 réaffirmer solennellement son attachement au corpus de valeurs consacré dans la Charte de la Francophonie et dans les Déclarations de Bamako et de Saint-Boniface, ainsi que sa détermination à se le réapproprier et à le mettre en œuvre, valorisé et sauvegardé en tant que de besoin au moyen des mécanismes dédiés, en particulier au chapitre 5 de la Déclaration de Bamako dans tous ses volets notamment préventif (évaluation permanente, alerte précoce, dialogue et facilitations), ou encore, dans les cas avérés de crise ou de rupture de la démocratie ou de violations graves ou massives des droits de l’Homme, par l’accompagnement des processus de transition démocratique. Il ne s’agit pas, pour autant, de renoncer aux « mesures spécifiques » prévues par le texte, en faisant mieux valoir les notions de sécurité humaine et de la responsabilité de protéger. Cette réappropriation, destinée à promouvoir une culture commune et à faciliter la prise des mesures appropriées par les instances, concerne également les autres acteurs de la Francophonie, APF, opérateurs, société civile, universités, réseaux institutionnels, tous également responsables de ce corpus à l’élaboration duquel ils ont puissamment contribué et qu’il leur revient en tant que de besoin de réinventer.

 décider d’amplifier, y compris dans un souci de prévention structurelle, les programmes et les instruments originaux développés depuis près de 35 ans par la Francophonie, tous acteurs confondus, en matière d’investissement institutionnel, d’accompagnement des élections, d’aide à la gestion d’une vie politique apaisée et à l’intériorisation de la culture démocratique et de celle des droits de l’Homme. Il convient de toujours mieux prendre la mesure des dynamiques endogènes, en associant plus systématiquement les acteurs de terrain (sociétés civiles, autorités traditionnelles…), avec le recours en tant que de besoin aux langues locales. Le rôle déterminant dans cette stratégie des réseaux institutionnels qui rassemblent les Institutions de même nature dans tout l’espace francophone a été mis particulièrement en exergue, tout comme l’importance réitérée de la mise en place d’un observatoire sur l’indépendance de la justice, ou encore l’appui aux nouvelles formes de démocratie citoyenne et continue. Il a été de même rappelé la contribution essentielle de l’APF pour aider à s’assurer d’élections libres, fiables et transparentes.  

favoriser une articulation optimale et un renforcement mutuel du dispositif de prévention et de sauvegarde du chapitre 5 de la Déclaration de Bamako et du mécanisme spécifique de vigilance démocratique porté par l’APF et par certains des réseaux institutionnels, en étroite collaboration avec l’ONU et les autres organisations régionales partenaires avec lesquelles la Francophonie pourrait à nouveau prendre l’initiative de se concerter.

 – engager, dans le même temps, compte tenu des évolutions politiques préoccupantes qui parcourent le monde et son espace et en particulier de la nécessité de s’assurer d’un consensus renouvelé sur le concept de démocratie et ses éléments constitutifs, une vaste délibération autour des textes normatifs de Bamako et de Saint-Boniface. On doit féliciter la Secrétaire générale de la Francophonie d’avoir posé cette question aux instances inférieures. Mais il ne peut s’agir que d’une première étape. Seuls les Chefs d’État et de gouvernement ont la légitimité de s’emparer de cette problém

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