Partenariats éditoriaux : atteindre et capter des communautés engagées

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De nombreuses personnes influentes se sont mobilisé·es après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron qui a plongé la France dans une crise politique. Sur les réseaux sociaux, la mobilisation s’est organisée par l’intermédiaire, entre autres, de posts sur Instagram réalisés à plusieurs et cross-postés (publiés sur plusieurs comptes simultanément) pour augmenter leur visibilité. Contre l’extrême-droite, des événements conjoints ont aussi été organisés à l’image du rassemblement du 3 juillet place de la République, à Paris, à l’initiative, entre autres, de médias indépendants comme Mediapart, Blast et StreetPress.

L’alliance fait la force dans ce contexte contre l’extrême-droite mais pas seulement. Face aux GAFAM, les médias ont davantage intérêt à s’organiser ensemble et à s’allier. Ces stratégies de recommandation permettent de donner plus de visibilité à leurs contenus mais aussi aux médias. Plusieurs ont ainsi réaffirmé leur ligne éditoriale et leur positionnement.

L’avantage de ces collaborations est qu’elles tentent de s’affranchir des algorithmes des réseaux sociaux en s’en écartant ou en essayant de les déjouer. Meta prend de plus en plus de décisions qui invisibilise les médias sur ses plateformes et n’encourage pas la diffusion d'une information vérifiée et sourcée. D’autant que produire du contenu sur les réseaux sociaux a un coût. Les médias indépendants particulièrement ne peuvent pas se permettre de surinvestir sur une stratégie qui n’aura pas de résultats directs voire pas du tout. 

De l’autre côté de la Manche, le média britannique Monocle, lancé en 2007 par Tyler Brûlé dont chaque numéro se vend à plus de 80 000 d’exemplaires, a depuis longtemps fait le choix de ne pas être sur les réseaux sociaux. Face à Google et Facebook, ils·elles ne trouvent pas l’intérêt d’investir ces plateformes. Les besoins logistiques, et donc financiers, que demandent l’alimentation d’un compte Instagram ou Snapchat sont bien trop importants.

L’un de ses fondateurs avait rappelé lors d’une conférence que son média n’a pas le « luxe » d’employer cinq personnes sur ce type de mission sans que celle-ci ne génère de revenus. Ainsi, ils·elles privilégient le bouche à oreille pour se faire connaître ou encore des événements sponsorisés pour être au contact des lecteur·ices.

Réseaux sociaux : beaucoup d’investissement pour peu de résultats 

Quitter les réseaux sociaux est une décision qu’a aussi pris récemment le média Voxe, une newsletter d’actualité quotidienne aux 68 000 abonné·es. À la place, ils·elles souhaitent se concentrer sur des stratégies plus organiques, notamment de recommandation entre médias. « En trois ans de réseaux sociaux, on a gagné 1 200 abonné·es à la quotidienne », analyse Léonore de Roquefeuil, fondatrice de Voxe. Leur communauté sur les réseaux sociaux était en grande partie déjà celle de leur newsletter.

« Ce n’est pas quelque chose qu’on utilisait comme source d’acquisition ou en tout cas pas dans ce contexte là, ajoute-t-elle, si on avait voulu qu’Instagram soit un vrai levier, on aurait dû investir dessus et en faire un vrai média parallèle. » Le mode d’écriture et les narrations privilégiés sur les réseaux comme Instagram permettent rarement de transposer un contenu créé pour un média directement sur la plateforme. À noter, qu’il faut également toujours adapter ses posts aux changements des algorithmes et se renouveler si ceux-ci veulent performer. 

Exemple de recommandation de média dans la newsletter de Voxe.

L’engagement des personnes qui suivent un compte sur les réseaux sociaux est aussi moins important que celles qui suivent une newsletter par exemple. Pour créer une véritable communauté sur une plateforme, il faut être proactif, répondre aux commentaires, créer des espaces de discussion. En somme, répondre au cahier des charges défini par les plateformes.

« Chez nous, un clic sur un lien dans la newsletter, ça vaut 200 likes sur Instagram », explique Léonore de Roquefeuil. Les communautés derrières des médias sont généralement engagées puisqu’elles adhèrent à un projet et le soutiennent, souvent financièrement. « Notre audience, par rapport à des audiences beaucoup plus grosses, est quatre à cinq fois plus réactive et on remarque que les petites communautés sont proportionnellement très engagées », abonde la fondatrice. 

« Auto-alimenter nos communautés »

Pour promouvoir le média, Voxe décide de se concentrer sur des partenariats avec d'autres, une stratégie qu’ils·elles développent déjà depuis longtemps. Ainsi, ils·elles ont recommandé dans leur newsletter des médias comme Vert, Komando ou encore Snowball mais aussi des contenus d’influenceur·ses comme la newsletter de Louise Aubery.

Pour établir ces partenariats, Voxe envoie un kit de communication au partenaire pour qu’il comprenne l’identité et la ligne éditoriale du média. Ils·elles écrivent ensuite un texte intégré à la newsletter. Le procédé est le même pour Voxe qui écrit les textes pour promouvoir l’autre média. Les partenaires décident d’un nombre d’abonnements à atteindre qui se situent souvent entre 50 et 500 environ. Tant que l’objectif n’est pas atteint, ils·elles continuent à mettre en avant le média dans leurs newsletters. 

Les liens vers les médias sont ensuite trackés pour « pouvoir mesurer si le texte a donné envie de cliquer, est-ce que l’audience réagit et est intéressée par notre produit et ensuite est-ce que nous sommes capables de garder cette audience derrière », explique Léonore de Roquefeuil. Si le partenariat est bien ciblé et les éléments de langage utilisés pour décrire le média sont bons, les lecteur·ices s’y intéressent. La conversion de ces cibles dépend ensuite de leur attachement au produit mais aussi par exemple de l’UX de la page d’accueil. « Chez nous, le parcours de conversion est assez fluide », affirme la fondatrice de Voxe

Le média indépendant sur l’écologie Vert, dont la newsletter quotidienne compte 80 000 abonné·es, a aussi mis en place des stratégies similaires. Ils·elles ont notamment réalisé un partenariat avec le média urbain d’investigation StreetPress dans leurs newsletter respectives. 48 000 personnes sont inscrites à la newsletter mensuelle « Faf » de StreetPress, qui décrypte l’extrême-droite.

Ils·elles ont expliqué à leur communauté le lien entre leurs deux sujets. Ces deux médias traitent des thématiques qui sont complémentaires mais qui ne se concurrencent pas. « Cette stratégie permet de faire connaître un média ami mais aussi d’auto-alimenter nos communautés », explique Loup Espargilière, rédacteur en chef de Vert. L’opération semble avoir été efficace, « c’était vraiment intéressant comme partenariat et on le refera volontiers », affirme-t-il. 

Créer des partenariats en utilisant son expertise

Les recommandations entre newsletters ne sont pas le seul moyen de faire connaître son média. Créer du contenu avec ou pour un autre média, qui n’a pas le même modèle économique mais qui a une grande audience, permet d'accroître sa visibilité mais aussi celle des sujets dont l'on traite. Vert a noué un partenariat au début de l’année dernière avec Konbini pour réaliser une chronique vidéo régulière publiée sur Instagram sous format réel.

« Je prends une thématique liée à l’écologie et je la décrypte en essayant de faire simple, court, pédago et si possible pas chiant », explique Loup Espargilière. La dernière chronique publiée a réalisé presque deux millions de vues. « Ça donne de l’exposition à nos contenus qui est sans commune mesure avec ce qu’on pourrait faire tout seuls et pour Konbini, cela leur fait du contenu de qualité et expert sur l’écologie, affirme-t-il. Chacun apporte un savoir-faire très spécifique et cela marche super bien. »

Réels de Vert sur Instagram. À droite, des réels réalisés avec Konbini.

Ces initiatives ne sont d’ailleurs pas seulement réservées au web et aux newsletters. En mars, les revues Gaze et Fisheye ont proposé un abonnement conjoint d’un an à un prix attractif pendant une durée limitée. Leur collaboration était axée sur la photographie puisque les deux revues proposent une iconographie très travaillée. Elles partagent toutes les deux un intérêt pour la photographie avec des prismes différents, le féminisme pour Gaze et la photographie contemporaine et émergente pour Fisheye

L’alliance de différents médias indépendants permet aussi de créer un réseau commun. « Chez Voxe, on est très dans une dynamique entraidons nous entre personnes du même écosystème », acquiesce Léonore de Roquefeuil. Recommander des médias spécialisés sur une thématique, qui ont des modèles économiques indépendants, peut créer un cercle vertueux.

Ces initiatives donnent aussi l’impression aux lecteur·ices d’un front uni de médias indépendants,  puissants, face à des médias généralistes traditionnels qui captent une grande partie de la scène médiatique. « On est dans un moment où il faut que la presse indépendante prenne une place croissante dans le paysage médiatique, ça va passer par ce type d'initiatives qu’il faut multiplier à tout prix », affirme Loup Espargilière. 

Pour aller plus loin :

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Médianes, le studio, accompagne les équipes de

Vert

et de

StreetPress

, notamment dans le développement de leur modèle économique et leur stratégie marketing.

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Agathe Kupfer est journaliste indépendante. Pour Médianes, elle analyse les stratégies marketing et éditoriale des médias.

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Agathe Kupfer