Qu'entend-on par sobriété énergétique ?
Sobriété énergétique : une notion devenue populaire récemment
Le plan de sobriété énergétique, annoncé le 14 août par le Président de la République, a été présenté ce 6 octobre. Il entend organiser la réduction de 10% de la consommation énergétique en deux ans dans un contexte de risque de pénurie d’énergie hivernale.
De l’appel aux écogestes sur l’éclairage et la température de chauffage à l’organisation de systèmes de rationnement et de quotas pour les entreprises[1], les plans de sobriété et de délestage semblent pouvoir recouvrir un très large panel de mesures, plus ou moins contraignantes pour les consommateurs finals. Il interroge ainsi nécessairement le degré d’obligation à faire peser sur les différents secteurs, afin de minimiser le risque de pénurie de gaz et d’électricité.
Elisabeth Borne résume la problématique ainsi dans son éditorial introductif du plan de sobriété : « La sobriété, c’est un concept simple : des économies choisies plutôt que des coupures subies. ». Il s’agit donc d’indexer graduellement le degré de contrainte ou d’incitation à la sobriété au risque de tension sur le réseau électrique et de déficit d’approvisionnement et de soutirage des stocks gaziers.
Sobriété versus Efficacité énergétique : quelles différences?
Ainsi, la sobriété c’est tant l’appel aux écogestes que les mesures restrictives imposées. Conceptuellement, le délestage d’un consommateur en électricité ou l’interruption d’approvisionnement d’un consommateur en gaz sont des mesures de sobriété, adaptées à une situation d’urgence.
S’il faut déjà distinguer différentes formes de sobriété en fonction de leur degré de contrainte, il faut également préciser que les objectifs de sobriété énergétique concernent, au-delà des risques de pénuries d’approvisionnement hivernale, la lutte tout aussi urgente contre le dérèglement climatique.
Dans ce dernier cas, il est nécessaire de distinguer la sobriété énergétique de l’efficacité énergétique, qui participent toutes deux à réduire la consommation énergétique globale. L’efficacité énergétique mobilise généralement des opérations plus longues et plus difficiles à mettre en œuvre, c’est pourquoi le concept est moins mis en exergue dans le cadre des risques de pénuries hivernales.
Pour faire simple, l’efficacité énergétique c’est engager des travaux d’isolation d’un bâtiment, tandis que la sobriété énergétique consisterait à réduire la température du bâtiment à 19°C. Le premier nécessite des travaux structurels lourds à engager à partir de maintenant, tandis que la seconde implique un changement de comportement mobilisable quasi immédiatement.
Point de droit : comment se distinguent les notions de sobriété énergétique et d’efficacité énergétique ?
Si la temporalité de mobilisation des solutions est différente, il est toutefois nécessaire de mettre activement en œuvre des mesures relevant des deux ressorts dans le cadre de l’objectif de réduction de 40% de la consommation énergétique en 2050[2], aligné sur les objectifs de neutralité carbone.
Du point de vue du droit positif, les deux notions intègrent la liste des moyens, codifiée à l’article L100-2 du Code de l’énergie, permettant d’atteindre les objectifs de la politique énergétique consacrés à l’article L.100-1 du Code de l’énergie : « 1° Maîtriser la demande d'énergie et favoriser l'efficacité et la sobriété énergétiques[3] ».
La stratégie nationale bas-carbone définit la sobriété énergétique comme la « réduction de la consommation d’énergie par des changements d’ordre comportemental[4] ». Ces derniers sont réalisés de manière volontaire ou contrainte. Dans ce dernier cas, ils peuvent restreindre les libertés des citoyens ou des acteurs économiques en prenant notamment la forme d’interdictions, de limitations ou d’obligations.
Si le concept de sobriété s’est plus récemment ancré dans les textes juridiques, l’efficacité énergétique fait l’objet d’une légifération de plus long terme, notamment sous l’impulsion des directives européennes.
La première directive relative à l’efficacité énergétique est adoptée le 25 octobre 2012 et définit ce concept comme « le rapport entre les résultats, le service, la marchandise ou l'énergie que l'on obtient et l'énergie consacrée à cet effet ». Elle vise une amélioration de l’efficacité énergétique de 20% d’ici 2020, prolongé depuis par l’objectif de 32,5% à horizon 2030.
Cette directive met en œuvre le principe essentiel de primauté de l’efficacité énergétique, défini à l’article 12 (18) du Règlement 2018/1999 comme « le fait de prendre le plus grand compte, lors de la planification énergétique et des décisions concernant la politique et les investissements en matière d'énergie, des mesures d'efficacité énergétique alternatives efficaces du point de vue des coûts visant à rendre l'offre et la demande d'énergie plus efficientes, en particulier moyennant des économies d'énergie rentables au stade final, des initiatives de participation active de la demande et une conversion, un acheminement et une distribution plus efficientes de l'énergie, qui permettent tout de même d'atteindre les objectifs de ces décisions[5]».
Quels sont les leviers juridiques pour déployer la sobriété énergétique ?
Sobriété énergétique: la question de l'électricité sur le domaine public
Bien que le dernier rapport du Haut Conseil pour le climat constate un manque de mesures en vigueur relatives à la sobriété énergétique, on relève certaines dispositions contraignantes sur l’interdiction de l’éclairage extérieur[6] et publicitaire[7] sous certaines conditions la nuit, ainsi que l’interdiction des « systèmes de chauffage ou de climatisation consommant de l'énergie et fonctionnant en extérieur » sur le domaine public[8].
Un projet de décret avait été annoncé pour l’application de l’article 31 de la Loi n°2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat, qui inscrit au nouvel article L143-6-2 du code de l’énergie la possibilité pour le ministre en charge de l’énergie, en cas de menace pour la sécurité d’approvisionnement, d’ « interdire toute publicité lumineuse ». Ce décret a été publié le 18 octobre dernier (décret n°2022-1331 du 17 octobre 2022) et prévoit effectivement que les publicités lumineuses[9] soient éteintes en cas de « menace grave et imminente sur la sécurité d'approvisionnement en électricité[10] » et en cas de risque pour l’équilibre du réseau électrique révélé par les analyses prévisionnelles de RTE. Ces dispositions s’appliquent immédiatement pour les publicités dont l’éclairage est pilotable à distance et au 1er juin 2023 pour toutes les autres.
Sobriété énergétique: transports et jets privés
Récemment, c’est également la question des « jets privés » qui s’est inscrite au cœur du débat médiatique. Une proposition de loi n°259 déposée le 20 septembre par le groupe parlementaire « La France Insoumise » envisage d’interdire la circulation de jets privés « sur le territoire et l’espace aérien français[11] » à compter du 1er janvier 2023 et pour l’ensemble des vols internes ou internationaux, à l’exception des vols d’évacuations sanitaires, concernant la sécurité nationale, des jets militaires et des jets appartenant à l’Etat et « exclusivement affectés à un service public ».
Il convient de rappeler que l’article 145 de la Loi n°2021-1104 du 22 août 2021 (loi « climat-résilience ») prévoyait déjà d’inscrire à l’article L6412-3 du code des transports l’interdiction des liaisons aériennes pour lesquelles un trajet pouvait être assuré en train, à condition qu’il n’y ait pas de correspondances, que les liaisons soient régulières et que la durée soit inférieure à deux heures trente[12]. Cette disposition doit faire l’objet d’un décret en Conseil d’état précisant les conditions d’application.
L’interdiction en question se fonde sur l’article 20 du Règlement (CE) n°1008-2008 qui prévoit que « 1. Lorsqu'il existe des problèmes graves en matière d'environnement, l'État membre responsable peut limiter ou refuser l'exercice des droits de trafic, notamment lorsque d'autres modes de transport fournissent un service satisfaisant. ». Les mesures ne doivent pas être discriminatoires, ni provoquer une distorsion de concurrence, être plus restrictive que nécessaire et dépasser trois ans sans être réexaminées. La Commission européenne a annoncé le 17 décembre 2021 ouvrir une enquête sur ce projet d’interdiction de vols, à la suite notamment d’une plainte déposée par l’Union des aéroports français (UAF).
L’étude des interdictions envisagées pour les publicités lumineuses et les vols intérieurs pour lesquels il existe une liaison en train de moins de 2h30 illustrent ainsi, en matière de mesures de sobriété énergétique, qu’au-delà de l’appel aux écogestes et au bon sens de l’ensemble des secteurs, il peut être édicté des interdictions ou des limitations affectant certains acteurs et certaines activités économiques.
Le Ministre délégué en charge de l’énergie, Roland Lescure, évoquait fin août la possibilité de mettre en place un système de quotas comparable au Système d’échange de quotas d’émission de CO2 pour limiter les consommations de gaz des industriels.
Sans présager de la nature des mesures qui seront déplo