Des Pyrénées-Orientales à la Haute-Saône, de la Charente à la Seine-Saint-Denis, quatorze membres du Groupe de gauche de l’Assemblée des Départements de France se retrouvent à Nevers, les 28 et 29 mars. Un lieu et une date qui ne doivent rien au hasard : le 28 mars 1964, François Mitterrand accédait à la présidence du Conseil général de la Nièvre. Un jour décisif dans la vie du futur président de la République, et dans l’histoire du département, qu’il a transformé en champ d’expérimentation de l’un de ses combats majeurs, la décentralisation.
À l’occasion du 60e anniversaire de l’élection de François Mitterrand à la présidence du Conseil général de la Nièvre, le Groupe de gauche de l’Assemblée des Départements de France se réunit à Nevers, les 28 et 29 mars, pour un séminaire consacré à l’héritage du « père » de la décentralisation, dont la Nièvre fut le laboratoire. Le Groupe de gauche présentera les grandes lignes du « Manifeste des 32 », un appel des 32 présidents de gauche à une nouvelle décentralisation « juste et citoyenne » (1).
« Dès son arrivée à la présidence de la République, en 1981, François Mitterrand avait fait de la décentralisation une de ses priorités », rappelle Jean-Luc Gleyze, président du Groupe de gauche et du Conseil départemental de la Gironde. « Comme il l’écrivait alors, ce « désir exprimé par nos concitoyens d’un changement profond des structures et des compétences des collectivités locales » a pris forme dès 1982, avec les grandes lois du 2 mars et du 22 juillet. Nos communes, nos départements, nos régions sont devenus des acteurs essentiels de la solidarité humaine et territoriale, au plus près de la vie des Français, en son cœur même. »
Ces deux jours de séminaire nivernais sont l’occasion de se replonger dans la genèse de la décentralisation patiemment mûrie par François Mitterrand durant ses dix-sept années de présidence du Conseil général. Dans la salle qui porte son nom, à l’Hôtel du Département, l’historien Jean Vigreux a évoqué le lien affectif qui s’est noué entre François Mitterrand et les Nivernais, tandis que Jean Glavany, qui fut l’un de ses proches collaborateurs à l’Élysée et l’un de ses ministres (2), a narré ses années « auprès de François Mitterrand », préférant à la chronologie un bouquet d’anecdotes illustrant le viscéral attachement du Nivernais d’adoption à son département.
Invité du séminaire, Gilbert Mitterrand, l’un des fils du président, a ajouté à la conférence le ressenti unique de son regard d’enfant : « La Nièvre, je n’y ai jamais vécue, mais je l’ai toujours connue. Avec sa carrière politique, mon père n’était pas très présent, mais cela me semblait normal car je n’avais toujours connu que cela, depuis ma naissance, alors à l’école, quand on me demandait où était mon père, je répondais toujours « il est dans la Nièvre ». J’ai vécu toutes les élections dans la Nièvre, sauf celle de 1981. J’y ai des souvenirs de vacances à Champagne, on devrait plutôt dire Metz-le-Comte. Je me suis marié à Château-Chinon… la première fois (sourire). J’ai assez de souvenirs pour en parler toute une après-midi. La Nièvre, pour mon père, ce n’était pas des racines, mais c’était devenu un territoire, sa terre. Il n’avait pas de désir de possession ; ce qu’il voulait, c’était appartenir à cette terre. »
1. Celle-ci sera publiée par la Fondation Jean-Jaurès jeudi 4 avril.
2. Il préside également l’Institut François-Mitterrand, co-organisateur du séminaire avec le Conseil départemental et le Groupe de gauche de l’Assemblée des Départements de France.
Photos de la conférence de Jean Vigreux et Jean Glavany
« L’héritage nivernais de François Mitterrand » à voir aux Archives départementales
En fin de journée, l’exposition consacrée à « L’héritage nivernais de François Mitterrand » a été inaugurée aux Archives départementales. Visible jusqu’à fin avril, elle se distingue notamment par sa conception « participative ». Depuis mi-novembre, une à deux journées par semaine, Marie-Hélène Brochet, militante socialiste depuis 55 ans, Christine Hivert retraitée des Archives et élue en charge de la culture à La Charité-sur-Loire et à la communauté de communes des Bertranges, et Bastien Parizé, étudiant à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) ont uni leurs efforts pour « éplucher » les journaux et les documents du Conseil général abrités aux Archives départementales. Ce travail croisé, passionnant pour tous trois, s’est complété par un appel auprès des Nivernais, militants socialistes surtout, qui ont prêté des photos, objets et autres souvenirs, le temps de l’exposition.
Député de la Nièvre en 1946, conseiller général de Montsauche en 1949, maire de Château-Chinon en 1959, le Charentais François Mitterrand a été adopté par les Nivernais. Par milliers, il les a rencontrés, écoutés, au cours de ses innombrables visites dans les communes, que ce contemplatif esthète mettait à profit pour s’émerveiller des paysages. Sensible au sort d’un département que la guerre avait affaibli, dans lequel le chantier de l’adduction de l’eau et de l’électricité était titanesque, le président du Conseil général a ferraillé avec les préfets, représentants d’un État alors tout-puissant, pour arracher des parcelles de pouvoir au bénéfice de la Nièvre.
Soixante ans après son élection, les membres du Groupe de gauche de l’Assemblée des Départements de France appellent à une nouvelle décentralisation. « Il est urgent de rendre le pouvoir aux citoyens », souligne Fabien Bazin, président du Conseil départemental de la Nièvre. « François Mitterrand l’avait parfaitement compris, lorsque son élection à la tête du Conseil général de la Nièvre signifiait pour lui le début d’un long et patient combat pour l’autonomie des départements. » Comme le montre l’exposition aux Archives, la politique, comme la vie, est un éternel recommencement.
Photos de l’exposition aux Archives départementales de la Nièvre
Exposition « L’héritage Nivernais de François Mitterrand »
Une histoire d’amour entre un homme et un territoire
Fabien Bazin, président du Conseil départemental, s’exprime :
« Toutes et tous, nous sommes redevables d’un héritage. Notre héritage, celui que nous portons dans la Nièvre, nous oblige. Parce que c’est celui de François Mitterrand, homme d’État sans doute, mais d’abord homme de ce territoire qu’il a conquis, parcouru, aimé, façonné.
Pendant près d’un demi-siècle, pas une commune où il ne soit passé et repassé encore ; pas un maire qu’il n’ait rencontré, écouté, accompagné ou qui n’ait reçu, une fois que l’Élysée l’eut happé, un de ces petits messages qu’il aimait adresser du bout du monde ; pas un coin de cette terre qu’il n’ait observé, humé, labouré au meilleur sens du terme, celui qui dit l’amour du paysan pour le sol qu’il connaît, qui lui résiste parfois mais qu’il creuse, retourne et anoblit par son travail quotidien.
François Mitterrand aimait nos forêts, dont il parlait si bien, nos montagnes, ce Morvan, ce mont noir dont il avait fait à la fois son refuge et sa source de vie. Il aimait plus encore les caractères que cette terre dure avait forgés, leur solidité de granit, leur franchise et leur fidélité. Des peuples nivernais, le ligérien à l’ouest, l’éduen à l’est, il s’était fait le représentant au sens le plus fort, le plus complet du terme, au point d’une certaine manière de se confondre avec eux.
Il aimait ces longues routes entre chaque village, ces repas un peu lourds durant lesquels se racontaient ces anecdotes dont il était friand, ces moments de solitude permis par ces espaces habités seulement par le brouillard et par la neige, ou ces échappées belles depuis sa fenêtre du numéro 15 de l’hôtel du Vieux Morvan sur ces vallons soudain inondés de soleil.
Héritage humain donc d’une époque et plus encore d’un homme pour qui la politique était d’abord l’établissement d’un rapport étroit, d’un dialogue permanent avec les autres, à commencer par les plus petits, les plus humbles.
Héritage et donc message et conception de la République qui doit continuer à nous inspirer envers et contre tout le ballet médiatique, cynique et contrefait auquel se résume parfois aujourd’hui cette chose pourtant merveilleuse qu’est la démocratie.
Héritage humain ? Héritage politique aussi, bien sûr ! Celui d’un parlementaire durant 35 ans, d’un conseiller départemental durant 32 ans, d’un maire durant 22 ans, d’un président du Conseil général durant 17 ans qui fit de cette dernière expérience le laboratoire du tsunami démocratique que sera en 1982 la décentralisation, une œuvre émancipatrice loin, très loin encore d’être achevée.
Héritage d’un homme d’État qui, une fois à l’Élysée, n’oubliera jamais la Nièvre, contribuant, avec l’appui de Pierre Bérégovoy, à la réalisation de ces grands équipements qui structurent encore notre département, du grand site national de Bibracte au circuit de Magny-Cours, des scieries de Sougy à l’autoroute A77, pour ne prendre que ces quelques exemples.
C’est de cet héritage-là que parle la trop modeste exposition que nous avons conçue pour fêter ce 60ᵉ anniversaire de cette histoire électorale, politique, mais surtout de cette histoire d’amour entre ce Charentais de Jarnac et les rudes gaillards de Montsauche ou de Château-Chinon, entre ce jeune résistant entré par la droite en politique et la Nièvre rebelle et républicaine…
Et c’est cet héritage qu’il nous revient, qu’il me revient d’assumer et d’entretenir et dont je tirerai ce soir un seul élément, peut-être le cœur du legs de François Mitterrand : faire de la politique, c’est additionner et non soustraire ! C’est fédérer, et non séparer ! C’est rassembler, dans la fidélité à ce que l’on est, sans jamais se lasser.
Tel est le legs d’un homme dont l’engagement en politique fut l’affaire de toute une vie. Une vie dense, longue, hachée d’échecs et de moments de découragement, mais marquée en 1981 du sceau du destin, une vie partagée de bout en bout – et c’est toujours notre fierté – avec la Nièvre et les Nivernais.
Qu’il me soit permis pour conclure de remercier celles et ceux qui ont permis la réalisation de cette exposition : Bastien Parizé, notre jeune doctorant, Christine Hivert, Marie-Hélène Brochet, les services de l’imprimerie et de la communication et notre directeur des Archives, Erwann Ramondenc, pour ce travail d’équipe, dans un esprit d’équipe.
Vive la Nièvre, vive la Nièvre mitterrandienne, vive la Nièvre républicaine ! »