Depuis 2019, le LMDC (Laboratoire matériaux & durabilité des constructions de Toulouse) était engagé dans deux projets de recherche : accompagner la rénovation de Notre-Dame de Paris et faire avancer plus largement les recherches pour contribuer à la préservation de tout édifice ancien en pierre. Des chercheurs et enseignants-chercheurs étaient impliqués, d’une part dans le chantier scientifique créé par le CNRS et le ministère de la Culture, en collaboration avec l’établissement public en charge de la conservation et de la restauration de Notre-Dame de Paris, et, d’autre part, dans un projet ANR (Agence nationale de la recherche) nommé DEMMEFI.
Sur le premier projet, leur travail, mené au sein du groupe de travail « Structures », a porté sur l’évaluation mécanique des structures porteuses de la cathédrale affectées par l’incendie : les murs, les arcs-boutants, les voûtes en pierre et, la dernière année, sur la charpente en chêne, détaille Nathalie Domède, enseignante-chercheuse, référente scientifique sur ce projet. Ce qu’elle retient aujourd’hui de ces travaux ? D’abord que les chercheurs ont pu jouer le « jeu » qui leur était imposé, émettre des recommandations sur la base de tous les calculs qu’ils ont été amenés à faire, et ce, au fur et à mesure de l’avancement des travaux, « délai qui n’est pourtant pas la temporalité de la recherche », aime-t-elle souligner.
Un important travail mené sur les voûtes
L’un des plus importants pans de leurs travaux a concerné les voûtes (lire l’article dans The Conversation (« Estimer la solidité des voûtes de Notre-Dame après l’incendie »). « Un travail de pointe, car il a fallu comprendre comment l’ensemble fonctionnait mécaniquement, alors que ces voûtes sexpartites sont complexes, avec notamment des doubles courbures », explique Pierre Morenon, responsable des études numériques au sein de la cellule de transfert de technologie interne au LMDC, Toulouse Tech Transfert (TTT).
Les recommandations faites durant tout le chantier ont été très diverses : elles pouvaient aller dans le sens de la conservation de l’existant ou, à l’inverse, prôner l’utilisation de pierres neuves en remplacement de pierres qui avaient parfois chuté de 35 mètres. Ou encore être plus techniques, comme ça a été le cas lorsqu’il a fallu corriger « une fragilité qui avait été générée à l’occasion d’une reconstruction effectuée sous Viollet-le-Duc, en rajoutant un arc pour bloquer une voûte ». Dans le même ordre d’idées, les chercheurs ont pu faire des recommandations pour surépaissir les pierres des voûtes du vaisseau central situées à 30 m de hauteur, qui avaient été délaminées sous l’effet du feu, sur 1 à 3 cm, ce qui nuisait à leurs fonctions structurelles sachant que ces pierres étaient déjà très fines à l’origine : seulement de 12 cm d’épaisseur pour 30 m de portée.
Engager davantage la construction neuve à s’appuyer sur des matériaux qui étaient utilisés avant le béton
Dans le cadre du projet ANR, il s’agissait par ailleurs de créer une nouvelle méthodologie pour pouvoir se prononcer avec précision sur l’état structurel d’un édifice maçonné après un incendie, alors que la faisabilité d’un tel diagnostic était encore entravée par plusieurs verrous scientifiques, entre autres parce que les effets des hautes températures et du refroidissement sur les caractéristiques thermomécaniques des matériaux constitutifs de la maçonnerie (pierre et mortier) étaient encore peu connus. C’est un doctorant qui a été missionné sur ces travaux, sous la direction de Nathalie Domède et l’encadrement de Pierre Morenon. Pour élaborer cette méthode, Colin Guenser s’est appuyé à la fois sur des travaux expérimentaux et numériques, mais aussi sur deux méthodes complémentaires (lire l’article « Nathalie DOMÈDE – La science au service du patrimoine »). Sa thèse a donné lieu au développement d’un outil de calcul hybride qui permet de modéliser les effets des hautes températures sur le comportement des murs et des voûtes en pierre de la cathédrale. Il ouvre donc une perspective intéressante, celle de pouvoir analyser l’aptitude au service de tout autre édifice gothique après un incendie.
Cette aventure-là a été extrêmement gratifiante, car c’est un sujet qui parle à tout le monde, donc suscite beaucoup de reconnaissance au-delà de celle de nos pairs.
Aujourd’hui, quand on les questionne sur le bilan de ces travaux, le retour de ces chercheurs est unanime, il est « positif ». « Même si nous étions davantage sur une prestation qu’une recherche, car il y avait avant tout des objectifs opérationnels, ce diagnostic ‘immédiat’ que nous avons été amenés à poser ouvre la porte à de la recherche plus poussée », résume Nathalie Domede. « Nous avons apporté un éclairage scientifique très détaillé : des nouveaux outils et un nouveau regard sur certaines pratiques qui ont permis des évolutions sur le chantier », complète Pierre Morenon, qui souligne que, plus largement, « ces connaissances peuvent profiter aussi à la construction neuve. Nous pourrions ainsi proposer de nouvelles approches aux architectes : d’une part, pour faire des diagnostics de bâtiments, d’autre part, pour mieux construire. Et ce, d’autant plus que nous militons au LMDC pour utiliser à nouveau ces matériaux environnementalement vertueux pour de la construction neuve. »
« Notre-Dame est une opportunité pour toute la communauté scientifique, car elle a permis de financer la recherche dans ce domaine, qui a été à l’origine d’une montée en compétences de tout le monde et va servir aussi bien les chercheurs que les bureaux d’études », conclut le professionnel. « Cela nous a aussi appris à travailler ensemble et cette aventure-là a été extrêmement gratifiante car c’est un sujet qui parle à tout le monde, donc suscite beaucoup de reconnaissance au-delà de celle de nos pairs. »
Réveiller Notre-Dame tout en éveillant le grand public à la science
Les chercheurs ont contribué, par le biais de ces travaux, à œuvrer pour la culture scientifique grand public. En effet, ces travaux ont été mis en avant dans un ouvrage, « La science à l’œuvre », alors que les calculs effectués par les chercheurs ont servi par ailleurs à la conception d’une expérience immersive qui était proposée jusqu’au printemps 2024 à la Cité de l’architecture et du patrimoine à Paris, dans le cadre de l’exposition « Notre-Dame de Paris, des bâtisseurs aux restaurateurs ».
Le visiteur pouvait en effet se téléporter dans le jumeau numérique de la cathédrale grandeur nature grâce à un dispositif de réalité virtuelle mobile. Cette expérience immersive à l’échelle 1/1, menée par un guide conférencier, plongeait des petits groupes au cœur des données scientifiques et de la restauration : l’exploration avant, puis après l’incendie du 15 avril 2019, sur les toits, dans la nef ou les chapelles de Notre-Dame, permettait de découvrir certains vestiges calcinés, puis, grâce à la simulation, d’être confronté aux actions de l’eau et du feu sur la structure de la cathédrale, ou encore de comparer le bâti à différentes périodes et de manipuler des éléments comme ont pu le faire les équipes de chercheurs durant le chantier de restauration.
Rédaction : Camille Pons, journaliste